Avec la Paracha de Vayé'hi, nous achevons la lecture du premier livre de la Torah, le livre de Béréchit. Paracha après Paracha, nous avons découvert des portraits de personnages extraordinaires, les patriarches et les matriarches, décrits dans toute leur complexité, et qui incarnent jusqu’à aujourd’hui des modèles en matière de « 'Avodat Hachem » « service de D.ieu ». À cet égard, nos maîtres nous enseignent que chaque homme, à chaque génération, doit s’assigner la tâche de se hisser à leur hauteur, et se répéter quotidiennement « Quand vais-je parvenir à égaler le niveau des Patriarches ? ». Telle doit être l’ambition de chaque Juif.

Les patriarches incarnaient à la fois des modèles à titre individuel, dans leur exigence de raffinement moral et spirituel, mais aussi dans leur capacité à inspirer leurs contemporains et fédérer autour d’eux une collectivité de destins. À une époque où la foi en un D.ieu unique était une « idée neuve » dans le monde, où la brutalité, et la force étaient les apanages du pouvoir, les « Avot » ont proposé à leurs contemporains un idéal de civilisation radicalement différent et profondément audacieux, en rompant avec tous les codes de leur époque. Si l’on devait traduire en termes modernes leur force d’inspiration, leur charisme, et la responsabilité collective qui reposaient sur leurs épaules, nous pourrions dire qu’ils incarnaient une force de leadership unique dans l’histoire.

Pour mesurer l’exploit réalisé par les patriarches, il faut commencer par mesurer combien leur mission était, à l’origine, particulièrement difficile, et leur probabilité de réussite, si l’on s’en tenait à une analyse rationnelle, faible. En effet, face à de grands changements, l’aversion au risque est bien souvent très forte chez les hommes qui ressentent une tendance naturelle à l’inertie, et qui préfèrent bien souvent le confort acquis de l’état présent, fût-il médiocre, plutôt que l’aventure hypothétique du changement et du progrès. Le Yétser Hara’ (mauvais penchant) les encourage en ce sens et leur sert une longue liste d’arguments de nature à les décourager ou les dispenser de certains objectifs auquel ils pourraient aspirer.

Pourtant, l’exemple des patriarches nous rappelle que lorsque l’homme est suffisamment déterminé à s’engager dans une voie, il peut parvenir, pour lui-même comme pour ceux qui le suivent, à des résultats prodigieux qui vont bien souvent au-delà même de ses espérances.

La vertu qui permet d’atteindre de tels objectifs se nomme le « Ratson »,  que l’on pourra traduire dans notre contexte comme la « volonté » ou la « détermination ».

Nos Sages nous enseignent notamment dans le Zohar que « Toutes les choses du monde ne dépendent que de la volonté », ce qui correspond à la fameuse expression « Ein Davar Ha’omèd Lifné Haratson » « Rien ne résiste à la volonté ». Armé de sa volonté et de sa détermination, l’homme peut réaliser des exploits inouïs, il peut parfois même « forcer » le réel à réaliser sa volonté. Grâce à ses efforts et à son travail, à sa ténacité et sa conviction, l’homme peut ainsi découvrir en lui-même des compétences et un potentiel qu’il ignorait, et atteindre les objectifs les plus ambitieux.

Voilà pourquoi, dans tout projet, aussi bien matériel que spirituel, l’homme doit consacrer du temps et de l’énergie à renforcer « sa volonté » comme le suggère le Rav Wolbe. Il s’agit de la première étape fondamentale qui conditionne le succès de toute réussite ultérieure.

Mais, comment y parvenir ? Comment peut-on travailler une disposition d’esprit et de caractère aussi immatérielle et intangible que la « volonté » ?

Il s’agit en premier lieu de « donner corps » à cette volonté en la verbalisant, en la visualisant, et en prenant à cœur de réussir, en y investissant son désir et sa prière. Toute réussite authentique (celle qui ne laisse pas un goût amer a posteriori en raison des difficultés ou des sacrifices qu’eÀlle a supposés pour y parvenir), suppose l’agrément préalable de D.ieu et Sa bénédiction. Seule la prière, et le dialogue avec Hachem permettent d’obtenir l’aide indispensable de la Providence divine afin de réussir. Il s’agit d’une condition préalable fondamentale afin de ne pas investir son énergie dans une voie sans issue.

La « volonté » suppose ensuite de mobiliser ses forces, ses compétences, sa réflexion, et, bien sûr, son travail. Il convient ainsi de concentrer son énergie sur un objectif précis et fuir la dispersion. Plus les efforts sont accomplis en direction d’un objectif clair et précis, plus on maximise les chances de réussite. À l’image d’un laser qui concentre toute son énergie vers un point précis, l’homme est invité à concentrer son action sur un périmètre d’action circonscrit afin d’être le plus efficace possible, et obtenir le meilleur résultat. C’est ainsi que le patriarche Ya'acov, avant de partir chez Lavan, est resté 14 ans dans les tentes de Chem et Ever afin d’étudier la Torah nuit et jour, sans même dormir nous dit notre tradition. Cette étude ininterrompue lui a permis d’acquérir une force spirituelle exceptionnelle, et constituait un préalable indispensable pour affronter les épreuves qui l’attendaient chez Lavan.

Enfin, l’homme doit parfois user de ruse et de stratégie pour renforcer sa volonté, en créant autour de lui un contexte matériel contraignant qui va l’aider à accomplir ses objectifs. Prenons un exemple, un bon moyen pour arriver à l’heure à la prière est de se porter volontaire pour ouvrir la synagogue le matin ; ou encore, celui qui souhaite lire des Téhilim supplémentaires le matin après la prière peut s’astreindre à ne pas parler, ou à ne pas se lever sa place tant qu’il n’a pas rempli son objectif.

Dans le même état d’esprit, mais pour des cas bien particuliers (à discuter avec un Rav au préalable), nos Sages ont prévu le principe des vœux et des serments qui imposent à l’homme de nouvelles obligations impératives qui ont force de loi. Dans des cas extrêmes (ce n’est pas recommandé par nos Sages), celui qui souffre d’une grande faiblesse dans un domaine particulier, peut formuler un vœu qui lui créera une contrainte de nature à l’aider à parvenir à son objectif (ne plus fumer, limiter sa consommation d’alcool…).

Un passage de notre Paracha illustre ce principe. Ya'acov demande à Yossef au début de notre texte de jurer qu’il ne l’enterrera pas en Égypte. Pourquoi l’obliger à jurer ? Yossef a suffisamment démontré son respect et son amour pour son père depuis son jeune âge. Aussi, un simple engagement de sa part aurait dû suffire.

Le Ramban explique que Ya'akov ne craignait pas que son fils se dérobe à la volonté de son père, mais il craignait que ses responsabilités ou des circonstances extraordinaires se dressent devant lui et lui rendent impossible le respect de son engagement. Il aurait pu se dire « À l’impossible, nul n’est tenu ! ». Aussi, Ya'akov souhaite se prémunir lui-même ainsi que son fils de cet écueil. Voilà pourquoi il demande à Yossef de jurer, afin de créer un contexte où il lui est impossible de ne pas respecter son engagement.

L’homme a parfois tendance à confondre « impossible » et « difficile ». Les Sages du Talmud (Témoura 3b) autorisent ainsi un homme à faire le vœu d’accomplir une Mitsva afin précisément de se créer une forte stimulation à l’accomplir et ne pas s’en exempter au motif qu’elle serait « trop difficile » ou « impossible ». (R. A. Twersky).

D.ieu ne nous demande pas l’impossible. Il connaît les ressources des êtres humains et Il sait précisément ce que nous pouvons faire ou ne pas faire. Là où notre esprit, ou l’inertie inhérente à la nature humaine, nous poussent à la démission, l’Éternel nous encourage à travailler sur notre volonté, la renforcer afin de dévoiler qui nous sommes « vraiment ».

À travers la description de la vie des patriarches, des défis exceptionnels qu’ils ont rencontrés sur leur chemin et qu’ils sont parvenus à relever avec succès, la Torah nous rappelle ainsi les grandes richesses qui logent en chacun de nous. Elle nous donne des clefs, pour, nous aussi, chacun à notre niveau, être capable de donner le meilleur de nous-mêmes et d’amener ceux qui nous entourent à atteindre leur plein épanouissement. Notre tradition permet ainsi à chacun de devenir un leader potentiel (auprès de sa famille, de ses amis, de sa communauté ou dans son environnement professionnel) dont l’exemple pourra servir de modèle pour se rapprocher toujours davantage du Maître du monde, et donner la pleine mesure de toutes nos capacités.

Puisse l’Éternel nous aider dans cette voie et nous permettre de révéler les merveilleux trésors enfouis en nous !