La Paracha de Michpatim débute par la conjonction de coordination « vé » au sens de « et puis ». Elle vient ainsi, nous rappelle Rachi, souligner que les versets qui vont suivre, relatifs notamment aux lois sociales, de justice qui ont vocation à réguler les relations entre les hommes, sont intimement liés aux versets qui les ont précédés, en l’occurrence, les dix « commandements » (ou paroles) reçus au Mont Sinaï.

Ainsi, de même que les 10 commandements ont été donnés directement par D.ieu au Mont Sinaï, de même les grands principes de justice sociale sur lesquels une société doit être bâtie ont été donnés aux hommes directement par D.ieu au Mont Sinaï.

Il était important de faire ce rappel car, en matière de spiritualité, l’homme peut avoir parfois tendance à faire une distinction entre les efforts qu’il doit faire dans le cadre de ses relations avec D.ieu et ceux qu’il doit faire dans ses relations avec les hommes. Nous pouvons être tentés de pondérer davantage les premiers au détriment des seconds.

Rappelons, à cet égard, une petite histoire qui s’est produite au début du vingtième siècle. À cette époque vivait, en Europe de l’Est puis en Israël, un très grand maître de la Torah, le Rav Haïm Ozer Grodzinsky. Il était un des « Gdolé Hador » « Un Grand de la Génération », un très grand Maître. Et, un jeune étudiant de Yéchiva rêvait de le rencontrer. Il en fit la demande à son Rav qui réussit à lui organiser une rencontre avec ce Tsadik. Aussi, l’étudiant se prépara avec une très grande attention à cette rencontre. Pensant que le Maître allait l’interroger sur ce qu’il étudiait à la Yéchiva, le traité compliqué de Yévamot, il consacra ses jours et ses nuits à réviser et se préparer afin de faire la meilleure impression possible.

Précisons, par ailleurs, qu’il s’agissait d'une époque où les communautés juives, et notamment les étudiants en Torah, vivaient dans une très grande pauvreté.

Le jour J arriva, et l’étudiant se présenta devant le grand Maître. Ce dernier l’accueillit avec beaucoup de chaleur et de bienveillance et, en guise d’interrogation, il se contenta de lui poser trois questions : Quand as-tu pris ton dernier repas ? As-tu une couverture pour te chauffer ? As-tu d’autres chaussures pour passer l’hiver ? Et, de fait, l’élève n’avait ni d’autres paires de chaussures, ni d’argent pour en acquérir de nouvelles. Le Rav sortit alors quelques billets de son tiroir et les donna à l’élève pour qu’il s’achète de nouvelles chaussures pour passer l’hiver.

Voilà, la Torah des Grands d’Israël : se préoccuper de son prochain, en commençant par se préoccuper de son bien-être matériel, avant même de lui donner des leçons de morale, ou de s’intéresser à sa spiritualité.

Cette anecdote, ô combien riche d’enseignements, nous rappelle que face à la précarité de son prochain, face à sa faiblesse, la Torah nous demande de veiller, avant tout, à lui assurer les moyens d’une existence digne et apaisée.

Le Rav Israël Salanter, le maître de l’éthique juive, avait une formule bien connue qui résumait merveilleusement cette idée « les besoins matériels de mon prochain sont mes besoins spirituels ».

Nous pourrions dire ainsi que la loi juive, l’étude de la Torah et de la Halakha sont le chemin, mais le souci de l’autre, et le raffinement de nos Middot, de nos traits de caractère sont le but et l’objectif poursuivis par la Torah, afin de construire une société juste et vertueuse.

Les hommes pensent parfois pouvoir atteindre l’objectif sans passer nécessairement par la Halakha. C’est là une erreur, car la véritable justice échappe bien souvent à l’esprit humain. Il est vrai que nous pouvons avoir parfois de bonnes intuitions et agir naturellement conformément à ce que la Torah prescrit, mais sur le long cours, et face à la diversité des situations que nous pouvons rencontrer, seule la Torah peut nous guider de manière fiable et vraie.

En effet, en matière de justice, l’esprit humain est parfois tenté par des directions diverses. Faut-il donner à chacun la même chose ? Ou bien donner à chacun selon son mérite ? Selon ses efforts ? selon ses résultats concrets ? L’esprit humain pourrait justifier avec conviction chacune de ces options. Face à ces zones grises où nous sommes partagés entre différentes vérités, seule la Torah peut nous aider à savoir comment décider de la meilleure façon. Il en va de même pour tous les domaines de la vie. “L’Éternel a dit à Ya'akov Ses paroles, Ses statuts et Ses lois de justice à Israël. Il n’a pas agi ainsi avec les autres nations.” (Psaume 147,19. Cf. R. E. Munk)

Revenons à la vertu de la générosité et du souci de l’autre, pour souligner que l’on ne mesure probablement pas le mérite de tous ceux qui se donnent sans compter pour prendre soin des plus faibles, des plus pauvres ou encore des personnes âgées.

Il faut non seulement une grande énergie, mais aussi beaucoup de détermination, de conviction, et d’amour du prochain pour être capable de se préoccuper d’autrui, en affrontant parfois des résistances et en devant faire fi de son propre « Kavod », son propre « amour-propre », pour préserver la dignité de ceux que l’on aide, et qui n’ont plus la force ou la lucidité de le faire eux-mêmes.

En nous préoccupant d’autrui, nous “imitons” à notre modeste mesure les soins que D.ieu déploie à notre endroit pour nous aider et nous protéger. Aussi, on pourrait dire que chaque fois que l’on donne à l’autre, on donne également à Hachem ; chaque fois que l’on renforce notre relation avec notre prochain, on renforce notre relation à D.ieu.