Un capitaine de navire s’adresse à un matelot avant d’embarquer. 

« Bon, voyons, que ferais-tu si une tempête incroyable se déclenchait en pleine mer ? » 

« Je jetterais l’ancre immédiatement à la mer » répond le matelot.

« Ok, très bien, mais que ferais-tu si une autre tempête encore plus incroyable se déclenchait à la suite » demande le capitaine

« Je jetterais une autre ancre immédiatement à la mer » répond le matelot

« D’accord, et dis-moi, que ferais-tu si une autre tempête encore plus forte que les précédentes se déclenchait » demande le capitaine

« Je jetterais encore une autre ancre à la mer » répond le matelot

« Hum…d’accord…mais, dis-moi, où vas-tu chercher toutes ces ancres que tu jetterais à la mer ??? »

« Capitaine ! Du même endroit où vous allez chercher toutes ces tempêtes incroyables ! »

(Source : Torah with a twist of humor, Joe Bobker)

Ce trait d’humour illustre l’impératif pour chaque homme de conserver son bon sens et son esprit critique, aussi bien vis-à-vis de ses contemporains que vis-à-vis de ses supérieurs.

Or, c’est là précisément, une des caractéristiques d’Avraham Avinou qui a été à l’origine de son parcours spirituel. Il a su se séparer des croyances de son époque, il a su s’affranchir de la vulgate de sa génération pour développer sa propre pensée et s’inscrire en faux contre l’idolâtrie qui était l’idéologie dominante.

Pour le comprendre, nous pouvons relire les longs développements que consacre Maimonide à la question de l’idolâtrie et notamment son apparition dans le monde. Le grand maître médiéval explique ainsi qu’à l’origine l’humanité était croyante mais qu’elle commit une grave erreur à l’époque d’Enoch : elle pensa que pour servir D.ieu, il fallait également servir Ses créatures et notamment les astres. Et ainsi, la pente fatale vers l’idolâtrie s’est mise en place jusqu’à ce que naisse Avraham Avinou.

Ecoutons ce que nous dit Maïmonide (Le livre de la connaissance, les lois sur l’idolâtrie, chapitre 4) : 

« Dès que [Abraham] fut sevré, il commença à s'occuper l'esprit, dès son enfance, il se mit à réfléchir jour et nuit, et rencontra cette énigme : Comment est-il possible que cette planète soit continuellement en mouvement et n'ait pas de chef ? Et qui, en effet, la fait tourner, puisqu'il est impossible qu'elle tourne sur elle-même ? De plus, il n'avait ni maître ni personne pour lui transmettre quelque chose, car il était enfoncé dans l'Ur des Chaldéens parmi les adorateurs insensés des étoiles. Son père et sa mère, comme tout le peuple, adoraient les étoiles, et lui, bien que les suivant dans leur adoration, occupait son cœur et réfléchissait jusqu'à ce qu'il atteignît le chemin de la vérité, et, par sa pensée correcte, il a compris la règle de la vertu par son bon sens. Il comprit qu'il n'y a qu'un seul D.ieu, qu'il dirige la planète, qu'il a tout créé et que dans tout ce qui est, il n'y a pas d'autre divinité que lui. Il savait que le monde entier était dans l'erreur, et que la cause de leur erreur était que leur adoration des étoiles et des images avait entraîné la perte de la vérité dans leur conscience. Et, quand Abraham eut quarante ans, il reconnut son Créateur. Après être parvenu à cette compréhension et à cette connaissance, il commença à contredire les fils d'Ur des Chaldéens, et à organiser des disputes avec eux, les mettant en garde, disant : "Il détruisit les images et commença à prêcher au peuple en l'avertissant qu'il n'y a pas lieu d'adorer autre chose que le Dieu de l'univers, et que c'est à Lui seul qu'il faut se prosterner, offrir des sacrifices et des offrandes composées, afin que les créatures du futur le reconnaissent. De plus, il est juste de détruire et de briser toutes les images, afin que toute la population de l'avenir ne soit pas induite en erreur comme ceux qui s'imaginent qu'il n'y a de Dieu que ces images. » 

A l’origine du monothéisme et de la foi d’Avraham, point de révélation, point de prophétie, point d’élection, mais de la raison, du bon sens et une observation fine de la nature. Ces propos de Maimonide ont une portée 

Comme l’observe Nehama Leibowitz (En méditant la sidra), ces lignes de Maimonide sont d’autant plus passionnantes qu’elles viennent combler un grand silence de la Torah qui n’évoque à aucun moment les réflexions intérieures du patriarche, ni même ses échanges avec ses contemporains. 

Le texte biblique saute sur ses aspects pour débuter avec la révélation de l’Eternel à Abraham au début de notre parasha : « L’Éternel avait dit à Abram: "Éloigne-toi de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, et va au pays que je t'indiquerai. Je te ferai devenir une grande nation; je te bénirai, je rendrai ton nom glorieux, et tu seras un type de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, et qui t'outragera je le maudirai ; et par toi seront bénies toutes les nations de la terre." (Genèse, 12, 1-3).

Ces versets ont ceci de spécifique qu’en quelques lignes, ils posent les jalons de l’aventure éternelle du peuple juif : atteindre l’universel en approfondissant notre particularisme. Les nations de la terre seront bénies non pas parce que Avraham va leur ressembler et qu’il va renoncer à son identité, mais précisément parce qu’il va se séparer d’elles, parce qu’il va aller au bout de sa démarche spirituelle, et qu’il sera alors en mesure de s’ouvrir à elles pour les rapprocher de l’Eternel et susciter la bénédiction divine.

En omettant de s’étendre sur les échanges qu’Abraham a eu avec sa génération, la Torah nous rappelle en outre que ce qui l’intéresse ce n’est pas tant les arguments des impies, ni les débats parfois stériles que l’on s’évertue à avoir avec eux. Ce qui intéresse Hashem c’est le parcours personnel et intérieur de l’homme à Ses côtés, sa capacité à bâtir un avenir auprès de Lui, à approfondir autant que possible ce lien merveilleux qui nous unit au Maître du monde. C’est précisément grâce à ce travail que l’homme apporte la bénédiction et la lumière à sa famille, à sa génération, et à l’humanité.

« L’ouverture à l’universel », voici un crédo bien connu de notre modernité qui prône pour y parvenir l’effacement des différences et des particularismes entre les civilisations, les cultures,  et à présent les genres. Le message de la Torah est tout autre : c’est précisément en développant son particularisme et sa proximité avec l’Eternel selon les commandements qu’Il nous a donnés, que le peuple Juif pourra apporter la bénédiction au monde et à l’humanité.

Le jeune Simon se plaint auprès de David son camarade 

« Je n’ai eu que des mauvaises notes à l’école cette année, je suis sûr que la maîtresse était antisémite ! ». 

« Ne dis pas ça ! Tu ne travaillais peut-être pas assez ? » 

« Non, non, elle était antisémite. D’ailleurs à partir de maintenant je ne dirai plus à aucun professeur que je suis Juif, je vais m’inventer une nouvelle identité ! » 

La nouvelle année s’achève, Simon avait dissimulé son identité à tous ses professeurs. Il retrouve David qui ne manque pas de l’interroger 

« Alors, cette nouvelle identité t’a permis d’avoir de meilleures notes ? » 

« Non… » répondit à voix basse Simon. 

« Moi, je n’ai rien changé mais j’étais premier de la classe, tu sais ! » 

Et Simon de lui objecter « Oh, vous les Juifs, vous arrivez toujours à vous en sortir ! »