À l’approche des Yamim Noraïm (Jours Redoutables), l’individu peut avoir tendance à ressentir un peu de désespoir. Chaque année, il s’efforce de faire Téchouva, de se rapprocher d’Hachem, d’améliorer ses Middot ou ses relations interpersonnelles, de développer son étude de la Torah, ou autres domaines. Pourtant, après une brève période d’inspiration, il refait les mêmes erreurs et constate les mêmes faiblesses, à chaque fois. Bien sûr, il faut viser un changement réaliste et durable. Mais le sentiment de désespoir qui accompagne les échecs peut être plus dommageable encore que l’échec lui-même.

Afin d’apaiser ces sentiments, sans pour autant éliminer le besoin d’un véritable changement, rapportons une idée évoquée dans le Séfer Abir Yossef écrit par Rav Eliah Méïr Wachtfogel[1]. La Guémara de Chabbath précise que les habitants de Sodome étaient les plus sereins au monde. La Tossefta ajoute que c’est la raison pour laquelle Loth alla y vivre ; il fit le tour de toutes les nations et constata qu’à Sodome, l’ambiance était la plus paisible.

Pourquoi les habitants de Sodome étaient-ils si sereins ? Nous savons qu’ils étaient très cruels et égoïstes — des traits de caractère qui ne semblent pas bien corréler avec la sérénité. Rav Wachtfogel affirme, à propos de la Ménou’hat Hanéfech, que Loth vivait auparavant avec une autre personne qui personnifiait bien cette qualité — Avraham Avinou. Loth vit en Avraham un homme en paix avec lui-même, libre et satisfait de la vie.

Comment Avraham a-t-il pu atteindre une telle sérénité ? La plupart des gens vivent sous tension constante entre leur corps (Gouf) et leur âme (Néchama) : le corps a certains désirs et objectifs, et l’âme a des objectifs très différents, souvent contradictoires. C’est une bataille constante entre les deux forces — dès lors que la Néchama entre en la personne, elle devient malheureuse, parce qu’elle méprise la bassesse physique du 'Olam Hazé et aspire à l’existence spirituelle du 'Olam Haba.  Le corps, quant à lui, souhaite assouvir les plaisirs physiques de la vie et n’a aucune envie de s’élever vers les Cieux.

C’est une bataille et une tension qui existent chez tout être humain. C’est pourquoi la grande majorité des gens ne sont pas calmes, sereins et satisfaits. L’individu se sent et agit tantôt plus spirituellement et tantôt plus physiquement. Par ailleurs, il peut avoir un comportement différent s’il est à la synagogue ou à la maison d’étude et s’il est au travail.

Avraham Avinou a résolu le problème — il était totalement spirituel. Il consacra sa vie à parfaire sa Néchama et n’avait aucune attirance pour les plaisirs matériels. Par conséquent, il n’y avait pas de tension, ce qui signifiait qu’il vivait dans un état constant de sérénité.

Loth enviait la sérénité d’Avraham, mais il avait un problème — il était loin de se soucier uniquement de ses désirs spirituels. Il convoitait toujours les plaisirs de la chair. Par conséquent, il se tourna vers les seules autres personnes qui vivaient avec une grande sérénité — les habitants de Sodome qui, à l’instar d’Avraham, ne menaient aucun conflit entre leur corps et leur âme. À une différence près : leur Ménou’hat Hanéfech était diamétralement opposée à celle d’Avraham. Ils étaient totalement engloutis par les plaisirs physiques, au point que leur âme était complètement ignorée. Par conséquent, ils ne ressentaient aucune tension entre les désirs de leur Gouf et ceux de leur Néchama puisque le corps avait gagné la bataille. Ils choisirent d’oublier complètement leur Néchama et se focalisèrent uniquement sur leurs besoins et leurs désirs corporels. C’est un choix terrible, mais il génère la sérénité. Il n’y a plus de tension. Loth a donc choisi Sodome — c’était l’endroit le plus paisible et le plus satisfait du monde et il lui était alors possible d’imiter cette sorte de sérénité.

Bien que la plupart des gens n’en viennent pas à ignorer complètement leur âme, il peut arriver qu’une personne vive dans un état d’ignorance béate, parfaitement inconscient du fait que sa vie est mal gérée, parce que son bien-être spirituel est négligé.

Par exemple, le fait d’utiliser la technologie moderne de manière appropriée est un sujet très pertinent dans la génération actuelle. Une personne peut être littéralement accaparée par son téléphone ou tout autre support technologique, sans même réaliser que cela nuit à sa vie de diverses façons — cela peut l’éloigner d’Hachem, nuire à son étude de la Torah, à ses relations interpersonnelles, etc. Si la personne ne voit même pas le problème, alors elle continuera sereinement dans cette voie, et elle a peu d’espoir de rédemption. Cette personne est paisible, mais en réalité, elle imite la sérénité de Sodome, et non celle d’Avraham Avinou. Par ailleurs, même en étant véritablement « accro » à son téléphone, si elle réalise au moins les problèmes que cela entraîne, elle éprouvera une certaine culpabilité quand elle utilisera son téléphone au lieu d’étudier ou de passer du temps avec sa famille. La culpabilité peut être hostile si elle conduit au désespoir, mais d’un autre côté, elle prouve que l’individu est au moins sujet à une lutte intérieure entre les désirs de son âme et ceux de son corps.

Quand une personne sait qu’elle est en lutte et que, par conséquent, elle manque de sérénité, elle a toujours l’espoir de tourner la page et de reprendre le contrôle de sa vie. De plus, ces luttes mènent à la grandeur. On a une fâcheuse tendance à penser que les Guédolim sont nés avec un niveau angélique, qu’ils sont un paradigme de perfection, que leur niveau fut atteint tout naturellement.

À ce propos, Rav Its’hak Hutner écrivit une lettre à un jeune homme, pris au piège par le Yetser Hara', ayant trébuché et s’en sentant très coupable. Rav Hutner l’encouragea à se répéter que toutes les grandes figures de notre peuple avaient rencontré des défis similaires et qu’elles devinrent illustres, parce qu’elles s’étaient battues pour les surmonter. Il ajouta que les domaines de lutte sont justement ceux où l’on peut atteindre les plus hauts niveaux et provoquer la plus grande sanctification du Nom Divin. Rav Tsadok Hacohen écrit aussi que là où l’individu échoue, il peut par la suite grandir et c’est en rectifiant cette faiblesse particulière qu’il atteint son but unique dans le monde.

Cela nous enseigne deux choses : premièrement, une personne ne doit pas désespérer, même si elle sent qu’elle échoue à maintes reprises, et deuxièmement, que sa lutte est en fait la clé de sa grandeur.  

Puissions-nous mériter d’apprécier nos luttes intérieures et de grandir à travers elles.

 

[1] Roch Yéchiva de South Fallsburg. Idée rapportée par Rav Issakhar Frand.