Lors de certaines fêtes juives, nous avons l’habitude de lire l'une des cinq méguilot[1]. Il y a toujours un lien entre la fête et la méguila qui est lue. Pendant Souccot, les Achkénazes lisent Kohélet, livre écrit par le roi Chelomo. Il évoque tous les plaisirs dont on peut jouir dans le Olam Hazé (dans le cadre de la loi juive). Il conclut que tout est insignifiant et futile dans ce monde, hével havalim – vanité des vanités.

Les commentateurs se demandent quel est le rapport entre le message véhiculé pas Kohélet et la fête de Souccot. En effet, il paraît plutôt contredire l’essence de ce ‘hag ; Souccot est décrit comme zman sim’hatenou. C’est un moment de grande joie, plus encore que toutes les autres solennités. Kohélet, en revanche, semble prôner l’inverse puisque l’on y souligne constamment la vacuité de ce bas monde.[2]

Pour répondre à leur question, il nous faut tout d’abord mieux comprendre cette joie qui singularise la fête de Souccot. Rav Yaacov Neiman zatsal, sans son ouvrage Darké Moussar souligne que l’une des principales caractéristiques de cette fête est l’obligation de quitter notre demeure et de vivre dans une habitation temporaire. Ceci ne semble pas très propice à un sentiment de joie ; quitter notre maison confortable et sécurisante pour aller dans une soucca légère et instable est plutôt pénible…

En réalité, une personne ne peut connaître la vraie sim’ha que quand elle réalise que les plaisirs de ce monde-ci sont illusoires et ne procurent pas bonheur et épanouissement véritables. Le fait de quitter sa maison pour aller dans la soucca permet ainsi de reconnaître que les conforts physiques du Olam Hazé ne peuvent apporter de joie réelle[3].

Pourquoi ne peut-on jamais expérimenter une véritable sim’ha à travers les plaisirs matériels ?

L’être humain est constitué d’un corps et d’une âme. Tous deux aspirent au bonheur ; le corps le ressent en assouvissant des désirs physiques dont on ne peut jouir que dans le Olam Hazé, tandis que l’âme a des aspirations « spirituelles » focalisées sur le lien avec Hachem, qui est récompensé principalement dans le Olam Haba.

L’âme est capable d’élever le corps au point de le soumettre à elle ; elle l’aide ainsi à se rapprocher d’Hachem. Par exemple, si l’on récite la bénédiction avant de manger, on élève cet acte physique banal en quelque chose de spirituel.

Mais, si une personne a pour objectif principal de satisfaire ses plaisirs physiques, son âme ne sera aucunement épanouie, puisque ses aspirations sont ignorées. Une attache trop forte au monde matériel empêchera donc l’individu de connaître la joie véritable.

Nous pouvons à présent comprendre le lien entre la joie de Souccot et le message apparemment pessimiste du livre de Kohélet. Le roi Chelomo n’affirme pas que la vie est insignifiante en soi, mais il parle d’une vie centrée sur l’assouvissement des désirs physiques.

Nous l’apprenons d’une guemara qui relève une contradiction au sein du livre de Kohélet. Dans le deuxième chapitre, le roi Chelomo écrit : « La sim’ha, que fait-elle ? »[4], laissant entendre son caractère futile. Or, dans le huitième chapitre, il nous dit : « J’ai prôné la joie… »[5]. La guemara précise que la joie superficielle est celle qui ne provient pas d’une mitsva, celle qui prend racine dans le Olam Hazé ; tandis que la joie digne de louanges est une « sim’ha de mitsva », liée à la spiritualité[6].

Les enseignements de Souccot et Kohélet vont de pair. Tous deux montrent que la seule façon d’atteindre la vraie sim’ha est de reconnaître que les plaisirs de ce bas monde ne satisferont jamais l’âme qui aspire à se lier à Hachem.

Puissions-nous mettre ces leçons à profit dans nos vies et mériter de ressentir la sim’ha de Souccot.



[1] Les cinq méguilot sont Kohélet, Esther (lue à Pourim), Chir HaChirim (lue à Pessa’h), Ruth (lue à Chavouot) et Eikha (lue à Ticha BéAv).

[2] Certains pensent qu’ils sont effectivement en contradiction et que Kohélet est lue à ce moment pour éviter que la joie de Souccot ne nous mène à des débordements. Une approche différente sera développée dans cet article.

[3] Darké Moussar, p. 284.

[4] Kohélet, 2:2

[5] Kohélet, 8:15.

[6] Chabbat, 30b.