Il existe mille définitions de ce qu’est un juif. Et il est très difficile d’en choisir une car elle ne peut être que réductrice. Un juif c’est… le témoin du divin sur terre, le dépositaire du message de D.ieu pour l’humanité, l’homme qui traverse les civilisations en portant la morale absolue. D’autres définitions sont plus concrètes et pragmatiques : un juif est une personne née d’une mère juive ou qui a adopté le judaïsme en se convertissant et pris sur lui la pratique des  commandements y étant liés.  

Mais il y a une facette du juif qui est fascinante sans être la première citée, et que je ne connais qu’aux descendants d’Avraham : c’est la faculté sublime de ne pas “acheter” ce que la réalité semble nous vendre. Expliquons-nous :

La Torah, au détour de plusieurs commandements, nous exhorte à ne pas nous laisser “rouler” par notre interprétation des événements, mais à faire l’effort de lire autrement la réalité qui défile sous nos yeux. 

On nous demande de juger “au bénéfice du doute” l’attitude d’un frère juif, même si les données semblent accablantes.

Exemple : M. Levy que vous connaissez comme un homme pieux et qui fréquente la synagogue, entre sous vos yeux, alors que vous êtes de l’autre côté du trottoir, dans un “Mac Do” Taref. Vous avez l’obligation de le juger favorablement et de lui trouver mille raisons pour lesquelles il aurait pu entrer dans ce lieu. Autre cas de figure : Mme Cohen, honorable dame pratiquante de votre communauté sort, sous vos yeux ébahis, d’un petit magasin louche qui affiche en lettres fluo qui s’allument et s’éteignent ”Tatouages Body Art” ! Il faudra se remuer les méninges et se battre avec l’inclinaison fatale de notre entendement pour ne pas tirer de conclusions hâtives et faciles, comme : “Chacun son mauvais penchant... Elle, ce sont les tatouages néo-gothiques…”

C’est d’ailleurs dans cette perspective que s’inscrivent les interdits de médisance, le Lachone Hara’. Car médire, c’est porter un jugement sans appel sur l’autre et le faire savoir autour de nous verbalement. C’est enfermer l’autre dans notre jugement. En nous taisant, en ne répétant pas ce qui brûle les lèvres - même si la personne en question nous a fait du mal ou s’est mal comportée à notre égard - nous nous élevons au-dessus de notre entendement et de notre logique, qui “crie” vengeance. 

L’épreuve du jardinier

La petite anecdote (vécue) que voici viendra illustrer le mécanisme machiavélique du trompe-l'oeil de nos certitudes :  l’autre jour, une semaine avant la fête de Pessa’h, j’ai demandé à un jardinier de venir nettoyer mon petit bout de jardin. 

Il arrive avec un visage de Tsadik, des Tsitsit le long de son pantalon de travail, un regard franc et honnête et me donne un prix tout à fait convenable. Je fixe donc un rendez-vous avec lui et il revient le lendemain avec 4 enfants de 6 à 11 ans (dont deux sont les siens), ses petits aides de camp, qui vont ramasser les branchages et feuilles mortes amoncelées...

Mon mari avant de quitter la maison me laisse la somme convenue en liquide et je mets les billets dans la poche de mon tablier. 

A un certain moment je vais sortir la petite liasse et les compter et bien sûr, remettre la somme dans ma poche. 

Mais au moment de payer mon jardinier, après 3 heures de travail, je glisse les doigts dans ma poche et… les billets n’y sont plus ! La situation est ultra inconfortable. La panique monte : je soulève sans y croire un fouillis sur la table, vérifie et vide mes poches pour la énième fois, en vain… Je signe vite un chèque au jardinier, en le remerciant distraitement, toute aux prises avec mon malaise. Faisant une demi-heure plus tard la narration de mes malheurs à mon mari, je me rappelle soudain d’un détail : lorsque j’ai recompté l’argent alors qu’ils travaillaient, un des petits aides-jardinier était à côté de moi et l'a vu. Tout s’enclenche alors parfaitement : il n’a pas résisté à la tentation et c’est obligatoirement lui le voleur ! 

Mes proches essayent de me dissuader de faire l'irréparable, mais je ne résiste pas à mon besoin de “justice” immédiate : je téléphone au jardinier Tsadik, je lui demande de fouiller les enfants. La suite est un classique : dix minutes après mon appel, en ouvrant à tout hasard mon armoire, je découvre avec effroi les billets, déposés là par ma propre main, sous une pile d’habits, sans doute par sécurité. C’est ensuite les excuses au jardinier et aux enfants, et l’amer dépit devant mon impatience à tirer des conclusions et à démasquer à tout prix les coupables. Je me jure qu’on ne m’y reprendra plus, mais le lendemain, immanquablement, un nouveau test m’attend. Sous une autre forme, déguisé sous d’autres costumes, mais le principe est le même : vais-je réussir à résister au miroir des évidences ? 

Pas facile d’être juif !

L'irrésistible attraction des certitudes

Chez les juifs, 1 plus 1 ne font pas obligatoirement 2 et cet exercice demande un entraînement excessivement difficile mais passionnant. Et ce, à deux niveaux : dans nos rapports à l’autre comme nous l’avons vu, mais aussi dans la lecture historique des faits. Les épisodes où le peuple juif est mis à l'épreuve parsèment notre Livre :

- Il y a plus de 2500 ans, en Babylonie, des juifs pieux tombaient dans le panneau et étaient persuadés que les malheurs qui leur arrivaient étaient à imputer à l’audace mal placée d’un Rav, Mordekhaï, qui narguait dangereusement un ministre et que son attitude frondeuse leur retombait dessus sous forme de décrets d'anéantissement. 

- Avant cela, les Meraglim envoyés pour explorer la Terre Promise traverseront le pays de long en large, l’observeront ainsi que les habitants qui la peuplent, et se tromperont amèrement dans leur lecture des faits : “On enterre à tour de bras dans cette contrée, il y a des funérailles et des enterrements à chaque coin de rue, et des géants menaçants y habitent, nous regardant comme d’insignifiants lilliputiens". Ils concluront dans un compte-rendu resté fameux jusqu’à aujourd’hui: “Cette terre dévore ses habitants…”  

Pas de yogis en Israël

Chez le peuple juif, il n’y a pas d’éloge de la lévitation, d’envolées mystiques. Par contre, interpréter avec justesse la réalité est un exercice constant auquel on doit s’astreindre, sans avoir besoin de décoller dans l’air ou de mortifier sa chair. On doit le faire dans son quotidien, avec les matériaux que ce dernier nous fournit, en sachant que les évidences sont trompeuses. 

Mordekhaï saura lire avec exactitude les événements qui ont lieu à Chouchane et trouver la véritable cause de leur tournure dramatique : la complaisance des juifs ayant participé 12 ans auparavant au banquet du roi A’hachvéroch aura déclenché les décrets et non pas l'intégrité sans appel du Gadol Hador.

Kalev ben Yefouné et Yéhochoua bin Noun, contrairement aux autres explorateurs, “n’achèteront” pas le scénario facile d’une terre cruelle, impossible à conquérir parce que peuplée de géants terrifiants. Les enterrements en chaîne qui avaient lieu avaient été synchronisés par la Providence pour faire diversion et permettre aux explorateurs de parcourir la terre sans être inquiétés (Rachi) et c’est cette version, la véritable,  que Kalev et Yéhochoua transmettront au peuple, bien différente de celle larmoyante, désespérée (et erronée) de leurs coéquipiers. 

Chez nous, la stature spirituelle de nos dirigeants se mesure entre autres par leur faculté à lire les évènements dans leur verticalité, en y insérant la Main de D.ieu et en ne se laissant jamais éblouir par les évidences. 

Inspirons-nous en ! Et avant de nous laisser mener par le bout du notre “infaillible” jugement, faisons une halte, en forme de prière, et rappelons-nous qu’il est si facile de se tromper.