L’habit revêt une place de choix dans nos vies : il définit notre rang social, participe à notre bien-être psychique et exprime même certains pourtours de notre personnalité. Dans le Talmud, il est dit qu’une tenue vestimentaire élégante dégage de l’aura autour de soi (Baba Batra, ch. 9). Et puis, nous le reconnaîtrons, un beau costume ou une belle robe peut changer la donne dans bien des cas.

Le vêtement pourrait-il dissimuler nos tares, tromper l’œil de notre miroir ? Serait-ce son but ? Après tout, n’est-ce pas l’une des supériorités de l’homme sur l’animal – de tromper son entourage ? 

La Torah en est consciente, et nous enjoint d’être en adéquation avec notre vêtement, c’est-à-dire d'être au niveau de son habit et pas au-delà. Pourquoi la Torah ne nous laisse-t-elle pas rêver, nous inventer, s’imaginer soi-même et laisser aux autres l’illusion d’une image inventée par le tissu brodé qui nous revêt le corps ?

Tentons de comprendre comment le vêtement communique. 

Habillez-moi selon ma nature !

Rabbi Yo’hanan disait : “J’appelle mes vêtements ceux qui m’honorent.” (Traité Chabbath, p. 113) Rabbi Yo’hanan était un Sage réputé de l’époque du Talmud, il rédigea le Talmud de Jérusalem à lui seul. À plusieurs endroits dans la littérature talmudique, il est question d’un habit typique des Sages, c’est à cet habit que Rabbi Yo’hanan faisait référence, et il disait s’en voir honoré. 

Pour tenter de saisir plus précisément l’idée de la Torah, posons-nous la question suivante : que serait-il advenu à son époque si un homme inculte s’était vêtu du même habit réservé exclusivement aux Sages dans une région dans laquelle il était méconnu ? Le long manteau noir des rabbins de nos jours aux deux boutons à l’arrière du veston avec son Hombourg sur la tête ? Et bien, on l’aurait sûrement honoré tout autant qu’un véritable érudit en Torah…

La Guémara (Baba Kama p. 58) rapporte d’ailleurs à ce sujet l’histoire d’un Sage nommé Eli’ézer Zéiri, qui était vêtu de chaussures noires en signe d’affliction pour la destruction du Temple et qui débarqua dans une ville dans laquelle il était un parfait inconnu. Le doyen de la cité le remarqua et lui demanda pourquoi il était vêtu de la sorte. L’érudit lui répondit naïvement qu’il était habillé ainsi en souvenir du Temple anéanti. Il lui rétorqua aussitôt : “Penses-tu être au niveau de ces ressentis-là ?!” puis, pensant qu’il s’enorgueillissait publiquement, il entreprit de lui faire passer un sale quart d’heure, jusqu’à ce que le pauvre rabbin lui prouve l’étendue de sa sagesse.

Qu’est-ce que cela pouvait bien faire au doyen de la ville si Monsieur untel se prenait pour plus vertueux qu’il ne l’était vraiment ?

L’habit ne fait donc-t-il pas le rabbin ?

Il n’est certainement pas anodin que le protagoniste de cette histoire fut le doyen de la ville, l’autorité rabbinique en poste, comme s’il était question de protéger son village d’une quelconque tromperie d’un prétendu érudit en Torah. Car effectivement, l’habit trompe !

C’est précisément pour cela que la Michna (Avot 4, 20) nous met en garde et dit : “Ne regarde pas la cruche mais ce qu’il y a à l’intérieur” pas seulement pour nous dire de ne pas sous-estimer l’autre mais aussi de ne pas le surestimer, Chabtaï Tsvi et Bar Kokhba en sont les exemples historiques les plus clinquants.

Première déduction : ne pas tromper la galerie avec un habit qui traduirait une fausse identité, l’habit des Sages, n’est réservé qu’aux Sages - à défaut d’apprendre des ignorants... Certains diront même que cela s’apparenterait à du Guézèl Da’at – la tromperie intellectuelle. (Rabbi Chimichon Mikouti, traité Chévi’it)

Mais la seconde déduction a des étendues bien plus dramatiques : un jeune étudiant en Torah vêtu de son chapeau est perçu malgré lui comme un représentant de la Torah sur Terre bien qu’il ne connaisse pas plus de la moitié d’un traité du Talmud. Chacun de ses faits et gestes est épié au ralenti comme sur un podium de haute couture par les amoureux de la Torah qui n’ont pas la chance de l’étudier en Yéchiva, mais aussi par ses détracteurs… L’habit est un blason qui pèse lourd dans ce cas. Gare au ‘Hilloul Hachem !

L’habit, le miroir de l’âme

Cependant, il se pourrait que la Torah veuille également nous prévenir d’un phénomène existentiel qui se cache derrière toute tenue vestimentaire - celui de l’amalgame entre l’être et le paraître. En d’autres termes : se mentir à soi-même.

Car c’est précisément parce que l’habit est si individuel, si singulier et qu’il projette une image de soi caractéristique vers le monde extérieur qu’il peut, s’il est indûment manié, corrompre notre propre esprit à force d’apercevoir une allure qui ne correspond en rien à notre personnalité dans les miroirs vitreux qui nous entourent. Ne sommes-nous pas différents en tenue de soirée, que la semaine au travail ? Combien la jeunesse se fourvoie-t-elle avec des styles identitaires qui vont jusqu’à en modifier sa physionomie ? Je suis cool parce que je suis fashion, classe parce que je porte du Hugo Boss, vertueux parce que je porte du biodégradable…

Rien d’étonnant en fait : l’âme humaine est ainsi faite. Comme nous dit la Torah, dans Adam – l’homme –, il y a Adamé, littéralement “celui qui veut ressembler”. Nous aspirons à ressembler à nos idéaux, à faire corps avec nos opinions. C’est dans ce même ordre d’idée que le 'Hinoukh, un de nos grands maîtres de l’époque médiévale, écrivait “L’homme est influencé par son (propre) comportement et son cœur suit sans cesse ses pensées et les actions qu’il exerce” ('Hinoukh, commandement 16). Au point où le Talmud enseigne que les pontifes officiant dans le Temple étaient considérés comme “pontifes” uniquement lorsqu’ils étaient vêtus de leur habit traditionnel (Traité Zéva’him p.18), comme si le vêtement réveillait l’essence fondamentale qui sommeillait en eux.

L’habit communique au-delà des mots avec l’environnement extérieur mais également avec soi-même. Ainsi, la pudeur vestimentaire n’est pas seulement une question d’inhibition des pulsions, elle est également une façon d’entretenir une image cohérente de soi-même face à soi-même…