Ethan a 37 ans, il est titulaire d’un Master en économie des marchés et occupe le poste de cadre sup’ dans un grand groupe européen. Père de deux petits garçons et marié à une femme charmante, Ethan a tout pour être heureux, du moins sur le papier… Car en réalité Ethan souffre de ce qu’il appelle lui-même « ce besoin de reconnaissance permanent » qui lui gâche la vie. Constamment en attente de la validation de ses supérieurs, Ethan a l’impression de ne jamais être assez à la hauteur de leurs attentes. 

Les gens comme Ethan, qui souffrent d’un manque de reconnaissance compulsif sont nombreux, surtout dans une société devenue ultra-compétitive et performante. Se libérer du regard des autres apparaît comme un nouveau défi dans nos sociétés postmodernes. Alors comment parvenir à ne pas dépendre de l’approbation des autres ou en d’autres mots : s’apprécier soi-même ? Il semblerait que la Torah ait là encore son mot à dire.

« L’enfer, c’est les autres » nous disait Sartre dans son Huit clos, il ne croyait pas si bien dire. L’OMS (l’Organisation mondiale de la Santé) déclare officiellement : « Les taux de suicides sont également élevés dans les groupes vulnérables confrontés à la discrimination. » ( https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/suicide)

Discriminer, c’est mettre de côté, rabaisser. En somme, la discrimination est l’ennemie de la reconnaissance. Et si la discrimination est capable d’avoir un impact si dramatique sur les gens, c’est qu’elle touche à des ressorts humains très profonds, voir essentiels. Abraham Maslow, considéré aujourd’hui comme le père de l’approche humaniste en psychologie, fera le schéma de ce que les manuels appellent la pyramide de Maslow qui traite de la hiérarchisation des besoins vitaux d’un individu. Il place la reconnaissance au niveau de l’estime de soi.

Comment le coronavirus réhabilite la pyramide des besoins de Maslow                         La Pyramide de Maslow

Maslow nous révèle par là que le besoin de reconnaissance est intrinsèquement lié à l’estime que l’on se porte à soi-même, d’où son impact. Et comme tout trait de la personnalité fondamentale d’un homme, il se forge dans le substrat du bercail où les parents, premiers référents de l’enfant vont lui donner ce sentiment de valeur propre car c’est bien dans leurs yeux que l’enfant va construire son estime de soi. 

Mais il arrive que les parents n’aient pas su (ou pu) donner pleinement la reconnaissance requise à l’affermissement de la personnalité de leur enfant, soit par des manquements, soit par des trop-pleins démesurés. C’est alors que l’enfant sera en quête de cette approbation au travers des nouveaux référents qui croiseront son chemin : ses professeurs, mais aussi et surtout ses fréquentations.

Et bien qu’il soit vrai que les parents ne sont pas toujours responsables des travers de la personnalité de leurs enfants, il n’empêche qu’un nombre non négligeable d’entre eux naissent entre les murs de la maison lors de la petite enfance. C’est ce qui donnera des accros du Like sur Facebook, des Followers sur YouTube ou des Hashtags sur Instagram. Mais également des mordus des compliments du boss, des félicitations des collègues ou des rires des copains… beaucoup de gens à qui plaire, mais surtout beaucoup de gens de qui dépend leur estime d'eux-mêmes !

Le reconnaissance sociale - ce clown à deux têtes

Voilà donc le paradoxe de la reconnaissance - d’un côté salutaire lorsqu’elle renforce positivement l’idée que l’on se fait de soi-même, de l’autre ravageuse lorsqu’elle enchaîne les personnes au harnais parfois cruel du regard des autres. 

La Torah accorde une valeur indéniable à l’entourage social d’une personne. Plusieurs commandements sont tournés vers l’harmonie en société. Du fameux « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19) au « Un homme doit toujours être mêlé aux autres » (Kétouvot 17), la Torah ne cache pas qu’un homme a besoin des autres pour s’accomplir. Cette apostille qui est l’apanage de tous est particulièrement ad hoc en ce qui concerne le judaïsme qui nécessite obligatoirement une communauté pour évoluer.

Cependant, elle délivre en filigrane de sa loi, le moyen de s’épanouir sainement en devenant le référent privilégié de son évaluation personnelle. Elle place des exercices à haute teneur en défis quotidiens dans la vie des Juifs pour qu’ils les bravent et s’en trouvent exaltés. Le combat du réveil le matin pour la prière, celui pour la Cacheroute entre midi et deux, les luttes internes incessantes pour ne pas médire, mentir ou transgresser les innombrables lois liées à la parole. Le Chabbath, les fêtes etc. tant d’exercices pédagogiques qui ont pour but secondaire de refléter aux yeux de l’homme sa valeur propre. Le libérer du consentement des autres en lui donnant les moyens de s’auto-évaluer au jour le jour.

La Torah – une application qui boost 

Une Michna (fin du traité Makot) nous enseigne que dans son souci de rendre Son peuple méritant, D.ieu lui multiplia Ses commandements. Seulement, en hébreu “méritant” se dit « Zakay » tout comme son synonyme « Gagnant ». On pourrait ainsi lire que D.ieu voulut que que nous soyons gagnants dans cette affaire ; pour ce faire, Il multiplia donc les occurrences.

Le conseil que la Torah nous donne dans un premier temps serait d’apprécier notre valeur compte tenu des réussites quotidiennes qu’elle nous procure, savoir retirer de la satisfaction de nos victoires personnelles au quotidien. Là, l’estime de soi n’est plus dépendante de l’appréciation aléatoire d’autrui ou des phénomènes de modes sociétales mais de son propre effort, sincère et indulgent.

Mais il semblerait qu’elle ait un second conseil à nous délivrer, plus foncier cette fois, un conseil qui concerne chaque Juif, qu’il soit grand ou petit, religieux ou non.

Rabbénou Yona (1200-1264) écrit dans l’un de ses ouvrages sur l’éthique juive :« Le premier des fondements doit être que le Juif connaisse sa valeur propre ainsi que celle de ses pères et l’affection que leur portait le Créateur. Et qu’il s’efforce toujours d’être digne de cet amour au point où s’il se surprend à une inclinaison à la faute, qu’il se dise « un homme si important que moi, fils des rois d’Israël, comment pourrais-je ? »

On rapporte au nom du Ba'al Chem Tov qu’il se souhaitait d’aimer le plus pieux des Juifs autant que D.ieu aime le plus dur des mécréants…

Si la reconnaissance est cruelle et ingrate lorsqu’elle dépend des hommes comme disait Sartre, elle est constante et assurée lorsqu’elle issue de D.ieu. Il suffit juste de changer son référentiel, placer D.ieu à la place des hommes.

Et la Torah va même jusqu’à nous en donner la clé. 

Le Ramha’l écrivait dans son célèbre Méssilat Yécharim (chap. 17) : « Quant à la purification de la pensée dans le service divin, il convient d’intensifier la réflexion sur la grande illusion et (le mensonge) qui s’attache aux honneurs. Aussi en s’habituant à les fuir, l’homme sera purifié, au moment du service divin, de la pensée des compliments et des louanges qui font la gloire des hommes. C’est alors que sa pensée s'orientera exclusivement vers son Maître, notre unique gloire, notre bien absolu et notre perfection. Rien hormis Lui, ainsi qu’il est écrit « C’est Lui ta gloire, c’est Lui ton D.ieu » (Deutéronome 10, 21)