Quel est le trait de caractère le plus significatif des grands hommes de l’histoire juive ? La piété, l’humilité, la bonté ? 

Et s’il s’agissait avant tout de la combativité, du fighting spirit ?

Il est vrai que notre patriarche Avraham a marqué l’histoire par sa bonté, notre maître Moché par son humilité, mais auraient-ils acquis leurs lettres de noblesse sans combattre avec acharnement leurs faiblesses ? Un Midrach [1] raconte qu’un roi envoya ses sculpteurs tailler le portrait de Moché dans le but d’en examiner les traits. Quelle ne fut pas sa stupeur lorsque le roi s'aperçut que la physionomie de l’homme le plus sain(t) du monde était conforme à celle d’un bourreau ! Le Midrach d’en conclure un enseignement fondamental : l’homme n’est pas le fruit de sa génétique mais de ses efforts.

Le Ram’hal, (1707-1746) au début de son anthologique Messilat Yécharim [2] conduisant l’homme au plus haut niveau de piété morale, écrit : « L’homme a été placé dans un monde matériel qui l’éloigne de la spiritualité… Ce n’est que s’il fait la guerre à son mauvais penchant qu’il peut espérer s’en extraire et s’approcher de D.ieu. » La combativité serait une condition de base pour n’importe quelle évolution dans le domaine du spirituel. C’est l’ascétisme légendaire d’un Rav Steinman ou l’assiduité hors du commun d’un Rav ‘Ovadia Yossef, mais cela concerne également les moindres de nos avancées dans la pratique du judaïsme, si insignifiantes nous paraissent-elles. Du combat contre la paresse du matin pour se rendre à la prière en Minyan, au fait de se retenir de dire du mal d’untel, en passant par le fait de tendre la main à un Juif dans le besoin : tout dans notre vie peut-être le sujet d’un combat. Les bonnes Middot (traits de caractère) d’une personne, son assiduité dans l’étude de la Torah ou sa crainte du Ciel, sont l’aboutissement d’efforts perpétuels. Et paradoxalement, plus l’homme s’élève, plus son mauvais penchant grandit avec lui [3] afin que son libre arbitre y trouve toujours son compte.

Tant et si bien qu’il n’est pas superflu de se pencher sur l’art de la guerre en tant que tel afin d’y puiser les stratégies gagnantes. Ainsi, le plus sage des hommes, le roi Salomon, disait déjà : « C'est en suivant un plan habile que tu dois entreprendre la guerre » [4]. Nous suivrons ce conseil que les Sages ont destiné au service divin.

Sur les traces d’un guerrier

Qu’est-ce qu’un champion ?

On prête à Winston Churchill l’adage suivant : « Un champion, ce n’est pas une personne qui gagne chacune de ses batailles, mais quelqu’un qui, même s’il ne cesse de perdre, remonte toujours sur le champ de bataille dans l’espoir de gagner cette fois-là. » Ceux qui connaissent les faits d’armes du leader britannique sont épatés d’apprendre qu’après tant de défaites cumulées - la bataille des Dardanelles, la campagne de Norvège, la crise de l’Inde etc. -, l’homme eut encore l’audace de se retrousser les manches et de se mesurer au troisième Reich et même d’en être l’un des principaux vainqueurs. Le roi Salomon l’enseignait à propos de la pratique du judaïsme : « le juste tombe sept fois, et se relève. » [5] La première règle du combattant : il n’abandonne jamais !

Si un champion se trouve à un moment donné en tête d’affiche, cela n’a pas toujours été le cas. On ne naît pas champion, on le devient. Comment y est-il arrivé ?

Make a Champ !

Le général Sun Tzu écrivait dans son ancestral ouvrage l’Art de la guerre : « La victoire est le fruit d’un travail acharné et des préparatifs minutieux avant la bataille, et non pas une simple coïncidence ». Nous retrouvons cette même notion à l’approche des fêtes, qui sont pour nous de grands moments de bataille avec notre penchant, tant pour s’élever spirituellement que pour faire régner une atmosphère adéquate. À ce propos, il est stipulé qu’il est d’usage d’étudier un mois au préalable les lois de la fête à venir pour bien s’y préparer [6]. Nous retrouvons également cette coutume intéressante avant la réalisation de n’importe quelle Mitsva (commandement), tirée des texte Kabbalistiques - le Léchèm Yi’houd qui vise à se mettre en condition. Ce texte figure dans la plupart des livres de prières. La seconde règle du combattant : la préparation !

Mais être prêt ne suffit pas car pour gagner un combat, encore faut-il avoir des réflexes et de l’instinct. Comment développe-t-on cela ?

Sois fort comme le lion 

Manny Pacquiao, huit fois champion du monde de boxe dans six catégories différentes, livrait un jour : « La répétition est la mère de la perfection. Répète, répète, répète encore jusqu’à ce que ça devienne une seconde nature ». Ces paroles font écho à celles du Ram’hal qui disait dans son Messilat Yécharim « Le cœur s’aligne avec les actions de l’homme. » [7] Il conseille à l’homme léthargique dans le service divin de s’habituer à pratiquer sans relâche, même sans entrain, pour faire naître en lui le zèle et l’ardeur. Le simple fait de pratiquer les Mitsvot inlassablement est une garantie pour y accéder. La troisième règle donc : la répétition !

Un jeune Padawan, tu seras !

Que manque-t-il à notre apprenti combattant pour livrer son premier combat ? Un entraîneur. Sans maître, il lui sera impossible de s’auto-évaluer convenablement. L’homme n’est pas objectif face à lui-même, il ne voit pas ses défauts et toute sa technique risque de se détériorer avec le temps. C’est ce que disait l’invaincu Floyd Mayweather Jr. : « Un bon entraîneur vous dira ce que vous voulez entendre. Un grand entraîneur vous dira ce que vous avez besoin d’entendre ». Les maximes des Pères nous l'enseignent depuis notre plus jeune âge : « Fais-toi un Rav et sors du doute ! » [8] Seul un Sage véritablement empreint de Torah est à même de guider un homme dans ses choix spirituels et de lui ôter toute hésitation. La quatrième règle : avoir un Maître !

Vole comme le papillon et pique comme l’abeille 

Armé de la sorte, notre poulain ne risque pas de faire long feu sur le ring. Que lui manque-t-il ? Une stratégie. « La stratégie est le guide qui nous permet de prendre des décisions et d’optimiser nos chances de succès », disait John P. Kotter, professeur émérite à la Harvard Buisness School. Là aussi, Rabbi Yéhouda Halévi, dans son œuvre monumentale du Kouzari [9], expliquant la nécessité d’adopter une stratégie intelligente pour dompter son mauvais penchant, recommandait : « L’homme pieux est un chef obéi par ses sens et par ses facultés psychiques et corporelles ; il les gouverne comme on gouverne une cité. Il dompte ses forces concupiscentes et les empêche de s'abandonner aux passions, après avoir été équitable envers elles et leur avoir fourni de quoi satisfaire leurs besoins toujours avec modération : la nourriture, la boisson, les bains et ses apprêts. Il dompte aussi les facultés irascibles, qui cherchent à avoir le dessus et à dominer, après leur avoir accordé leur dû et leur avoir donné leur part de victoires utiles dans des controverses scientifiques et doctrinales, dans des remontrances qu'il accorde aux méchants... » Le Talmud, dans son style succinct, lance la même idée : « Face au mauvais penchant, il faut éloigner avec la main gauche et rapprocher avec la droite [10] ». La faiblesse humaine est avant tout humaine, elle fait partie de nous, et si nous ne souhaitons pas subir le revers d’un contre, il est impératif d’y aller graduellement. Ça fait partie de la stratégie de combat, on ne donne pas tout dans les premiers rounds sous peine de brûler son cardio… La cinquième règle : avoir une stratégie de combat !

Prendre du plaisir pour réussir 

Puis il y a ce qui fait la différence entre les champions et les masterclass. La tactique. 

Le légendaire entraîneur de basket, John R. Wooden, déclara un jour à ses poulains : « Quand vous prenez plaisir à vous entraîner, vous ouvrez la porte à l’excellence. » Et bien, dans le service divin, c’est pareil. On rapporte que le Ari zal fut questionné sur son incroyable niveau spirituel. Il aurait répondu que cela lui venait du fait qu’il se réjouissait à chaque fois qu’il prononçait une bénédiction. Chez les Sages du Talmud [11], nous voyons que chacun, selon sa sensibilité, s’était attaché à une Mitsva particulière qu’il réalisait de tout son cœur. Maïmonide [12] expliqua même que c’est précisément pour cette raison que D.ieu ordonna tant de commandements, une tactique permettant à chacun d’y trouver son compte et de s’élever grâce à la Mitsva qui lui est chère (sans lésiner sur les autres bien sûr). La sixième règle : adopter une tactique de combat !

Il suffit au guerrier de maîtriser toutes ces règles pour s’assurer la victoire, mais en ce qui concerne le service divin, ces clés ne font pas tout. Il manque l’essentiel : l’aide divine. Néanmoins, sans leur acquisition, elle ne s’obtient jamais…

 

[1] Ramené par le Tiféret Israël, traité Kiddouchin chapitre 4

[2] Messilat Yécharim, chapitre 1

[3] Traité Soucca, p. 32

[4] Proverbes 24, 6

[5] Proverbes 24, 16

[6] Traité Méguila, p.32, Pessa’him p. 7

[7] Chapitre 2

[8] Maximes des Pères, 1, 16

[9] Le Kouzari, part. 3, alinéa 5

[10] Traité Sanhédrin p.107

[11] Traité Chabbath p. 118

[12] Makot, dernière Michna