Paris est fascinant. Les Parisiens l’ont peut-être oublié, tout occupés à leurs activités, dans la grisaille et dans les bouchons, mais pour un touriste, la ville est une explosion culturelle et esthétique. Les noms des stations de métro scandent des personnalités et des événements historiques. En sortant de ses bouches surchauffées, on découvre des monuments laissant abasourdis les visiteurs, même s'ils ne viennent pas d’un tout petit hameau là-haut sur la montagne.

Les immigrés ont su lire cette ville comme nul autre, car un regard extérieur est toujours plus enclin à capter les ondes d’un lieu. Surtout lorsqu’on a une sensibilité à fleur de peau.

Nathan Korb, alias Francis Lemarque, fils d’émigrés juifs qui parlaient vraisemblablement yiddish à la maison, va écrire l’une des plus belles chansons sur la ville, « À Paris », qu’interprétera Montand. Moustaki, juif gréco-égyptien, écrit à Piaf « Milord », Gainsbourg emprunte à Verlaine sa mélancolie parisienne et son spleen, Dassin chante les Champs-Elysées, Jean Tenenbaum change son nom en Jean Ferrat pour chanter Aragon, Monique Serf dite Barbara décrit les quartiers de Paris mieux qu’une Française, et même Michel Berger, déjà né dans la capitale, nous dira à quel point « Ça balance pas mal à Paris.. ».

Bref, la ville inspire. 

Si vous montez dans les autobus à deux étages de Paris-Vision (j’assume !), installez-vous en haut, au mois d'août, ciel immaculé, alors que la ville est vide - de Parisiens -, vous verrez alors défiler en une heure les points clefs de la capitale, et les yeux en redemandent. Le Louvre, les Tuileries, le Pont Mirabeau, la Seine, La Madeleine… Kitsch, me direz-vous, le parcours du touriste casquette à visière et gourde en bandoulière ? Peut-être, mais faites-le avec vos enfants ou vos petits-enfants, c’est un bonheur. 

Place de la Concorde

Une station à ne pas manquer : La Place de la Concorde. Elle s’appelait en 1793 Place de la Nation, et c’est là, aux yeux de tous les Français, qu’eut lieu un événement historique des plus dramatiques. L’audio-guide n’en parle pas. Et pourtant. On trouve des comptes-rendus presque journalistiques de ce fameux lundi 21 janvier 1793 :

« Sur la place de la Nation, le roi sort de la calèche. Il regarde la guillotine. Il a un instant de révolte quand le bourreau Sanson lui annonce qu’il doit lui lier les mains. Il y consentira finalement. Elles seront attachées avec son propre mouchoir. Il monte l’échelle. Parvenu sur la plateforme de l’échafaud, il échappe au bourreau Sanson et s’adresse à la foule : « Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France. » Les tambours commencent leur roulement et couvrent la fin de la phrase. Louis XVI est emmené sur la planche. La tête du roi est tranchée. »

Dans les retranscriptions historiques, certains rapportent que la foule huait son roi sur le chemin du supplice, de même que Marie Antoinette, emmenée elle aussi à l’échafaud dans la carriole des condamnés à mort, 9 mois plus tard. D’autres historiens au contraire, rapportent que la foule, en état de choc, prenant soudain conscience avec effroi de ce qu’il allait se passer, était dans un silence absolu. La République allait immoler la Monarchie, et la Concorde se recueillait. 

La fin du Yétser

Cette description historique de la fin tragique du roi de France rappelle étrangement l’un de nos textes (Talmud traité Souka 52) décrivant les derniers moments du Yétser Hara’ (mauvais penchant). Lui aussi, monarque, despote, haï, adoré, incontournable, qui empoisonne l’existence et pourtant lui donne tout son goût, aura son heure. Et comme Louis XVI, il déclinera toute responsabilité devant les crimes qu’on lui impute. Il mourra se déclarant innocent et n’ayant agi que pour le bien de l’homme. Il sera mené à l’échafaud, aux yeux de la foule rassemblée. Tout le monde sera là : vous, moi, amis et inconnus, voisins, réunis en Place Che’hitat Hayétser et on retiendra son souffle. Voici les mots du Texte :

« D.ieu, à la fin des temps, va exécuter le Yétser Hara’ en présence des méritants et des impies ; les premiers, le voyant comme une montagne, vont pleurer en disant : ‘c’était si difficile et j’ai réussi à le surmonter’, et les impies, en sanglotant, diront : ‘c’était si facile, à peine un cheveu, et je ne l’ai pas fait.’ » 

A sa mort, le brouillard qu’il propageait pour nous troubler se dissipe et soudain, c’est l’éclaircie : chacun de nous saura avec une clairvoyance absolue, sans aucune confusion, s’il a réussi ou échoué face à lui. Mauvaise foi, excuses, prétextes, doutes seront balayés. Et les sanglots de la foule, comme un aveu spontané, révéleront la véritable nature de nos intentions. On ne pourra plus tromper personne, ni se tromper soi-même. Le Yétser Hara’ sera mort. 

Chef d’œuvre de la Création

L’exécution du Yétser n’est pas une mince affaire. L’événement est bien trop grave, bien trop solennel pour qu’il se déroule à la va-vite, à l’aube naissante en un duel improvisé, ou au crépuscule d’un peloton d’exécution. A personnalité de taille, cérémonie de taille, et c’est D.ieu Lui-même qui va Se charger de son exécution, en plein jour, en public.

Car l’entité n’est pas simple. Le Yétser est l’élément le plus précieux de la Création ; le jour où il apparaît - le 6ème - recevra lui seul le qualificatif de Tov Méod (très bien), comme expliqué par le Ramban. Car en fin de compte, c'est lui qui dépose sur notre tête la couronne d’excellence de l’Homme. C’est le don ultime de D.ieu à Sa créature aimée. Le Yétser, cette potentialité à l’imperfection, à la faute, est la touche finale du chef d’œuvre. Sans lui, nous ne serions qu’un être animé, animal, ultra-sophistiqué, mais programmé. Ce Yétser, c’est la part de liberté que le Saint, béni soit-Il a extraite de Son trône et qu’Il nous a offerte, avec tout ce que ce cadeau comporte de défis, de dangers, mais aussi de proximité maximale avec le Divin. Sa mort marquera donc un changement radical dans l’aventure humaine et l’entrée dans une autre ère. 

Dernière station

Le tour est terminé. Tout le monde descend. 

On lance un dernier regard sur la magnificence des lieux. 

Paris est la vitrine d’une civilisation grandiose. La dernière que nous devons sans doute traverser avant la ligne d’arrivée. Ces devantures cossues, ces monuments imposants, cette histoire de France, cette culture flamboyante ont laissé leurs traces dans le monde entier.

Montagne ou cheveu ?

En tous cas, n’y pénétrons pas. Visitons-là en touriste, pas plus. Le Juif éternel, prudent et avisé, ne fait que passer, serrant contre lui sa besace, contenant bien autre chose qu’une architecture époustouflante ou qu’une lignée de rois à chiffres romains. Le Juif, lorsqu’il parvient à ne pas se laisser séduire ou influencer par tant d’éclat, apporte aux siens et à l’humanité un monument autrement somptueux et indestructible : la transmission de la Parole de D.ieu. Et avec elle, il traverse l’Histoire, sans faillir, jusqu'au grand et terrible jour de la fin des temps, où le Yétser Hara’ sera exécuté…