Le concept de gadol hador tel que nous l’expliquent nos Sages n’est pas une innovation où un concept moderne. Il prend sa source aux confins mêmes de l’apparition du peuple juif sur la scène historique. Le gadol hador, ou Grand de la génération est le guide spirituel par excellence du peuple d’Israël.

Le premier d’entre eux était sans conteste Avraham avinou qui révéla l’existence de D. au monde entier. Avant l’apparition d’Avraham, Hachem était considéré comme le D. du ciel ; Avraham le fit reconnaître également comme D. de la Terre. C'est-à-dire qu’il fit reconnaître Son règne sur le monde environnant. Avraham amena au judaïsme des foules entières ainsi qu’il est enseigné : «Rabbi ‘Hounia disait :  Avraham convertissait les hommes et Sarah [son épouse] convertissait les femmes. » (Midrash rabba, Béréchit, Lekh Lékha)

Ensuite lui succéda son fils Yits’hak, qui enseigna au monde entier la rigueur dans le service divin ainsi que la crainte de D. alors que son père s’était distingué par l’attribut de bonté qui se traduisait notamment par une hospitalité hors pair. Enfin Ya’acov avinou, pilier de la vérité et donc par définition de la Torah et de son étude, donna naissance aux douze tribus qui constituèrent le peuple d’Israël.

Si nous faisons un saut dans l’Histoire, nous arrivons directement à Aharon hacohen qui dirigeait le peuple juif dans l’exil égyptien jusqu’au moment où D. désigna Moché rabbénou comme libérateur du peuple juif. Ce passage de relais entre Aharon hacohen et son petit frère, est l’occasion pour nous de relever l’extraordinaire grandeur d’âme d’Aharon hacohen, qui, en apprenant l’élévation de son jeune frère au poste le plus élevé n’en ressentit aucune amertume. Bien au contraire, D. lui-même témoigna à son propos, au moment de sa rencontre avec Moché rabbénou  : « Et il te verra et il se réjouira » ( Chémot 4,14). Cette grandeur d’âme est caractéristique des dirigeants authentiques du peuple juif, qui ne recherchent pas la grandeur personnelle mais se mettent entièrement au service de D. et du peuple juif.

Bien évidemment, lorsque nous parlons de dirigeant authentique, nous ne pouvons pas ne pas parler de Moché Rabbénou, l’homme le plus humble qu’ait connu l’Univers comme il est dit : « Et l’homme Moché était le plus humble parmi tous les hommes qu’ait portés la Terre » ( Bamidbar 12,3). Bien que l’on nous enseigne que Moché rabbénou avait autant d’importance que tout le peuple juif, il n’en était pas de même à ses propres yeux. Lorsqu’à la suite de la faute du veau d’or, Hachem propose à Moché rabbénou de détruire le peuple juif, et de faire un nouveau peuple juif à partir de lui, non seulement Moché refuse mais il demande même à Hachem, au cas où il refuserait de pardonner au peuple juif, de l’effacer du livre de la Torah… « Et maintenant, pardonne leur faute et si Tu ne veux pas, efface-moi du Livre que Tu as écrit » (Chémot 32,32)

Moché rabbénou est le Gadol hador par excellence, celui qui a reçu la Torah de D. Lui-même et qui la transmet avec patience et dévouement à tout le peuple juif et plus particulièrement à son principal disciple, Yéhochoua bin Noun. Ce dernier sera désigné par D. Lui-même comme successeur de Moché rabbénou, du fait de ses grandes qualités. Ainsi nous voyons que la direction du peuple juif est assurée par un enchaînement de dirigeants de premier plan qui ont tous comme caractéristique d’être des serviteurs d’Hachem de très haut niveau, éloignés de toute recherche d’intérêts personnels.

Pour nous rapprocher de l’époque contemporaine, nous étudierons le cas de Mordékhaï hayéhoudi, qui était le Gadol hador de sa génération. Or à son époque, une grande question s’était posée : fallait-il oui ou non participer au festin du roi A’hachvéroch ? Les hommes politiques juifs de l’époque, comme l’explique Rav Galinski dans son livre sur la Méguilat Esther, ( maamar ’al émounat ‘hakhamim) recommandèrent vivement au peuple juif la participation au festin d’A’hachvéroch. En effet, il était impensable de déplaire au roi qui souhaitait affermir son règne naissant en étalant aux yeux de tous sa puissance et sa richesse. Mais n’est pas détenteur du Da’at hatorah (connaissance et compréhension authentique de la Torah) qui veut… Seuls les dirigeants véritables de la génération (les Guédolim), inspirés par l’esprit divin, sont à même de donner les directives nécessaires à la survie et au bien-être du peuple juif. Mordékhaï hayéhoudi avait saisi les véritables enjeux de ce festin, qui n’étaient autres qu’une rébellion ouverte contre Hachem, au sens où le roi A’hachvéroch considérait que la prophétie de Jérémie concernant la reconstruction du Temple au bout de soixante-dix ans, ne se réaliserait pas ( puisque soixante-dix ans s’étaient écoulés depuis la destruction du premier Temple d’après ses calculs erronés); et par conséquent, le roi A’hachvéroch souhaitait fêter ce qu’il considérait comme une « victoire » sur le D. d’Israël. L’invitation que le roi avait lancée aux juifs, n’était rien d’autre qu’un immense piège : il s’agissait de faire fauter les juifs en les faisant participer à une beuverie géante et à une orgie de la pire espèce, en tentant de les entraîner sur le terrain de la luxure et de la débauche… Il s’agissait de faire boire les juifs dans les ustensiles sacrés du Beth hamikdache (!) et d’obtenir leur caution morale à la mascarade mise en place par le roi A’hachvéroch puisque ce dernier allait revêtir ni plus ni moins, les habits du Cohen gadol

Tout ceci, les hommes politiques juifs de l’époque ne l’avaient pas vu. Tout ce qu’ils avaient perçu, c’était le discours biaisé d’A’hachvéroch qui semblait les flatter dans leur orgueil national par son invitation officielle. Seul un Gadol de la dimension de Mordékhaï, était à même de percevoir le terrible danger qui planait au-dessus de la tête du peuple juif en cas de participation à ce festin qui s’avérait n’être finalement rien d’autre qu’un ‘Hilloul Hachem (profanation du Nom divin) de grande ampleur.

Pour en venir enfin à notre époque, il faut savoir que le peuple juif a toujours été dirigé par les Guédolé Torah (les Sages de la génération), au nombre desquels on peut compter et la liste n’est bien évidemment pas exhaustive : le Rambam, le Ramban, le Gaon de Vilna, le Ba’al Chem Tov etc, et ceci jusqu’à l’apparition en Allemagne, au début du 19ème siècle, de la Haskala, qu’on appelle à tort, le mouvement des Lumières juif. Bien loin d’apporter des lumières, ce mouvement initié par Moïse Mendelssohn, n’a fait que remettre en cause l’autorité des rabbanim et des Grands de la Torah, en imposant progressivement au peuple juif une direction laïque, dont nous souffrons encore aujourd’hui. En effet, il n’est pas de plus grand malheur pour le peuple juif, peuple saint, peuple de la Torah, que de se voir imposer une direction laïque. Comme l’explique rav El’hanan Wasserman, ( principal élève du ‘Hafets ‘Hayim, un des Guédolim contemporains ) dans Kovets maamarim, le peuple juif ne peut espérer vivre en paix avec ses voisins, notamment dans le contexte moyen-oriental, lorsque ses principaux dirigeants politiques déclarent ouvertement la guerre au Créateur de l’univers.

Les Guédolim contemporains, et parmi eux le Ben Ich ‘Hai qui a fondé la Yéchiva Porat Yossef à Jérusalem, puis plus tard le ‘Hazon Ich ont posé les bases modernes d’une vie juive conforme à la Torah en erets-Israël. Le ‘Hazon Ich, de par son étude intense de la Torah et de par ses directives éclairées, a beaucoup contribué à développer le monde de la Torah et à faire de Bné-Brak ce qu’elle est aujourd’hui, à savoir une métropole de Torah. Le rav Chakh a été également un grand dirigeant du peuple et a su faire entendre la voix de la Torah dans le concert politique israélien.

Bien sûr, nous ne pouvons terminer cet exposé sans parler de la figure exceptionnelle de Maran, Rabbi Ovadia Yossef Zatsal. A son propos, il a été dit : « Mi Maran haBeth Yossef ‘ad Maran, lo kam ké Maran ». « Depuis rabbi Yossef Karo (auteur émérite du Choul’han Aroukh) jusqu’à rabbi Ovadia Yossef, il n’y eut personne d’aussi grand ». En effet, Rabbi Ovadia Yossef a redonné toute leur actualité aux décisions halakhiques de Rabbi Yossef Karo, qu’on surnommait Maran (notre Maître, puisque ses décisions halakhiques ont été acceptées par l’ensemble du peuple juif). Il a remis à l’honneur la psika ( processus décisionnel halakhique) séfarade. De par sa personnalité unique et son assiduité dans l’étude hors du commun, il a réussi à susciter l’émergence d’un monde de la Torah séfarade qui se pose aujourd’hui en rival crédible du monde de la Torah ashkénaze. On ne compte plus les Talmoudé-Tora (écoles primaires religieuses), les Yéchivotes, les Collélim (structure d’étude pour hommes mariés avec bourse d’étude) remplis presque exclusivement de juifs séfarades.

 Tel est l’impact des Guédolim, aptes à changer le visage d’une génération et à apporter la parole de D. aux âmes assoiffées de vérité…