Une des plus grandes qualités d’un être humain, est, selon moi, la capacité à « rebondir », à vaincre des situations traumatiques, quand il est face à l’adversité, ou qu’il doit supporter, affronter et continuer à vivre après avoir subi un choc, un trauma, une perte importante, un deuil précoce, un abandon, des maltraitances, des violences en tous genres, la guerre, etc. Cette capacité se nomme la résilience.

Les premières recherches centrées sur les survivants de l’holocauste s’interrogeaient sur la manière dont les personnes qui ont connu des traumatismes aussi forts, ont pu s’en sortir et reprendre une vie normale. En France, Boris Cyrulnik a été le premier à s’y atteler, en s’intéressant à ces blessés de l’âme, qui ont transformé leur souffrance en une rage de vivre. Ces personnes ont refusé leur rôle de victimes passives, et ont préféré affronter leur destin. Ce psychiatre délivre un message d'espoir : « le malheur n'est pas une destinée, rien n'est irrémédiablement inscrit, on peut toujours s'en sortir ».

Résilience : par quel miracle ?

Les processus qui permettent de reprendre son développement après un coup du sort nous concernent tous, car ils obligent à penser la vie en termes de devenir, d’évolution. D’ailleurs, environ une personne sur deux subit un traumatisme au cours de son existence, qu’il s’agisse d’un inceste, d’un viol, de la perte précoce d’un être cher, d’une maladie grave ou d’une guerre.

On repère trois principaux facteurs favorisant une évolution résiliente :

1. Le tempérament de l’enfant : naturellement, pour surmonter les chocs, des déterminants génétiques existent, mais il est impossible de déterminer génétiquement que tel ou tel enfant aura une évolution résiliente, même s’il est très tonique.

2. Le milieu affectif dans lequel la personne baigne au cours des premières années de sa vie. Statistiquement, un enfant au tempérament souple, confiant, capable d’aller chercher de l’aide à l’extérieur, est mieux armé. Or, ce rapport au monde dépend étroitement du climat familial. Tous les résilients ont eu, même si ce fut une période courte, une période sûre au cours de laquelle il y a eu un attachement positif entre la mère et l’enfant et un sentiment que l’enfant aux yeux de la mère est cher et important. La mère doit créer autour du bébé une atmosphère sensorielle, rythmée, et favoriser un dialogue avec des mots mais aussi, au-delà des mots. L’enfant à partir de l’âge de 10 mois environ, apprend une certaine manière de se faire aimer : par des sourires, en babillant, en cherchant les regards et les paroles des adultes. La réponse de ces derniers créera un attachement stable. Aussi, même s’il arrive malheur à sa mère, que D.ieu préserve, le jeune enfant aura acquis un mode de conquête de l’autre. Les enfants ont aussi besoin de sentir des parents qui s’entendent bien, une mère rendue heureuse par son père, par sa vie. Cette ambiance va créer autour de l’enfant, un climat chaleureux et sécuritaire.

3. Un environnement soutenant : la présence d’un réseau relationnel extérieur qui peut soutenir l’enfant – d’autres enfants, des adultes rassurants. La famille est dépendante d’une société et appartient à un ou des groupes. Chaque personne a besoin pour son identité personnelle, pour son développement, de groupes, de réseaux, de communautés, qui sécurisent. Cette dimension sociale compte beaucoup. Elle dépend de rencontres avec des personnes qui vont guider et soutenir l’enfant résilient, on les appelle les tuteurs de résilience ou tuteurs de développement. L’enfant va s’accrocher à un adulte ou à un aîné, placé sur son chemin, qui va lui apporter de l’aide, de l’affection et de l’estime. Ces tuteurs de résilience rendent possible la reprise du développement après que l’enfant ait subi un traumatisme. Un parent, un éducateur, un bénévole œuvrant dans une association d’aide à l’enfance, un psychologue… toute personne qui va croire en lui, stimule son développement, l’aide à reprendre confiance en lui et à construire un projet d’avenir.

Si un enfant a connu un revers au cours de ses premières années, c’est quand même rejouable avec d’autres acteurs, plus tard, comme pour le cas d’enfants orphelins. Ce sera certainement plus long, moins spontané, mais possible !

Mécanismes internes de la résilience  

La résilience repose sur plusieurs facteurs, certains sont biologiques, d’autres personnels (la confiance en soi, l’ambition), ou sociaux (soutien et réconfort). En fait, les résilients mettent en place une série d’attitudes de protection. Les défenses psychologiques cherchent à maintenir l’équilibre face aux tensions. Bruno Bettelheim fait référence à la notion de clivage durant sa déportation pendant la Shoah, quand le moi se divise en une partie socialement acceptée et une autre, plus secrète qui l’aide à vivre, à espérer. 

La résilience amène l’engagement comme un défi, la signification (qui est la positivité de soi). Et aussi la révolte, le refus d’être condamné au rôle de victime passive : « J’ai en moi la force de réagir, aussi je vais me battre, chercher à comprendre ». Le déni permet de ne pas voir une réalité dangereuse ou de banaliser une blessure douloureuse, et aide aussi l’individu à ne pas apparaître en tant que victime. « J’ai été blessé, violé … mais je vais m’en sortir ». Le déni sert à se protéger de la pitié des autres, à préserver sa dignité et sa propre image. Mais dans leur monde intime, ces personnes pleurent, souffrent, rêvent… 

Une forte dose de mégalomanie est observée chez les résilients. Les enfants blessés ressassent en silence : « Un jour je m’en sortirai, un jour je leur montrerai ». Ils ont des rêves grandioses, fous. Qu’ils taisent. Le rêve n’est autre que la volonté d’atteindre un objectif, un autre état que l’état présent. L’humour est aussi un mode de défense, qui permet de ne pas se complaire dans la tristesse.

Beaucoup de résilients sont créatifs afin d’exorciser le malheur. La création implique la mise en place dans le monde de quelque chose de nouveau, qui n’existait pas auparavant. Le créateur ne choisit pas l’autoroute, il emprunte des petits sentiers, quitte les chemins balisés. Là-bas, il va réinventer quelque chose, « tricoter un processus de résilience » jusqu’à sa mort. La blessure est enfouie, maîtrisée, transformée, mais elle ne guérit jamais complètement. 

La résilience et le Judaïsme

Croire en D.ieu rend plus heureux. On se sent accompagné - donnée essentielle de la résilience. La solitude endommage plus que la maltraitance ! La croyance n’est pas rectiligne, il y a des hauts et des bas. L’enjeu est de faire confiance à D.ieu, d’avoir la foi en Lui et d’accepter que grâce à Lui, nous puissions nous relever et qu’Il nous offre une espérance illimitée. Cette espérance est nécessaire pour vivre, voire indispensable afin de tenir fermement durant les moments d’épreuve et de doute.

Tout au long de son histoire, le peuple Juif a développé des stratégies de survie et de résistance aux diverses agressions. Il a appris à se focaliser sur le sens de son existence, et la conscience de ses priorités. Il a fait preuve de créativité, d’intellectualisation, de volonté, d’espoir, pour pouvoir vivre, et lutter contre les traumatismes d’hier, celui de la Shoah, comme ceux d’aujourd’hui en Israël en état de guerre permanent. Les enfants d’Israël louent l’Éternel pour le mal comme pour le bien qu’Il leur envoie. Le peuple Juif en Égypte a réussi à garder son individualité grâce à la préservation de l’étude de la Torah, des noms et de l’habillement - outils de résilience par excellence. La célébration de la fête de Pessa’h marque le retour à la liberté et à notre patrie historique qu’est Israël !  

Notre objet de résilience, notre bien commun, c’est notre Torah, c’est notre pays, c’est aussi d’être et de vivre avec son autre frère Juif. Le peuple Juif est un peuple solidaire, qui a réussi à mettre en place, ce que nous avons appelé les tuteurs de résilience, une entraide entre ses membres. Dès qu’un malheur est annoncé, le peuple bouleversé souffre, comme une famille blessée. Notre peuple, nous devons l’aimer, en prendre soin. 

Trouver du sens, c’est donner à l’autre, à son mari, à ses enfants, ses amis, sa communauté, son peuple. L’existence n’est qu’une succession d’instants à vivre. Il faut s’y ancrer pleinement à chaque fois, à l’aide de la méditation, de la prière et de l’étude de la Torah. Alors le bonheur n’est pas loin...