Je me souviendrai toujours de la “bénédiction” que m’avait faite un jour une Rabbanite lorsque j’étais jeune fille :

- Je te souhaite une maison pleine de bruit et de désordre !

- Mais pourquoi me souhaitez-vous quelque chose d’aussi négatif ?, lui ai-je demandé.

- Négatif ? Mais enfin, si ta maison est pleine de désordre et pleine de bruit, c’est le signe que de nombreux enfants y jouent et qu’ils y mettent la pagaille de façon heureuse !

Puis, pour préciser le fond de sa pensée, elle prit un air grave et me dit :

- Tu t’imagines ce que signifierait, que D.ieu préserve, une maison calme et rangée en permanence… Une maison triste et sans enfants…

Sur le coup, ce qui m’avait paru être une malédiction (je pensais encore à l’époque que la maison idéale ressemblait à celle du catalogue Ikea !) est peut-être la plus belle bénédiction que j’ai reçue de ma vie[1].

Dans notre Paracha, il est écrit : “Mais si vous ne M'écoutez point, et si vous cessez d'exécuter tous ces commandements; si vous dédaignez Mes lois (...) voici ce que Je vous ferais : Je susciterais contre vous d’effrayants fléaux, la consomption, la fièvre, qui font languir les yeux et défaillir l'âme; vous sèmerez votre semence sans la récolter, vos ennemis la consommeront.”[2]

Et la Paracha poursuit encore avec 30 versets de malédictions très dures à se figurer...

Et pourtant, Rabbi Chimon bar Yo’haï a interprété chacune des malédictions de façon positive. Le Talmud[3] nous relate l'histoire de Rabbi El’azar, fils de Rabbi Chimon, qui est allé à la rencontre de Rabbi Yonathan et Rabbi Yéhouda afin de recevoir de leur part une bénédiction. Or, voici qu’ils lui disent : “Que tu sèmes sans jamais récolter” et poursuivirent ainsi avec une liste de choses désagréables sans discontinuer.
 “Quoi ?”, se dit Rabbi El’azar, profondément choqué par ce qu’il entend ! Lorsqu’il fut de retour chez son père et lui raconta toutes les malédictions qu’il avait entendues, son père sourit et dit : “Tu te trompes ! Ce sont bel et bien des bénédictions ! En effet “Que tu sèmes sans jamais récolter” signifie que tu aies des enfants qui ne mourront pas”, et Rabbi Chimon continua ainsi de décoder toutes les malédictions, en expliquant la bénédiction qui se cache derrière.

De même, le Ba’al Hatanya, quelques centaines d’années plus tard, s’est aussi évertué à interpréter chacune des “malédictions” en bénédiction. Par exemple, concernant le verset "dix femmes cuiront du pain dans un seul four"[4], il l’interprète ainsi : les dix femmes représentent notre âme (qui est composée de dix dimensions), et le pain représente l’étude de la Torah. Ainsi, nous dit le Ba’al Hatanya, les Juifs étudieront avec une telle intensité que leur âme sera consumée dans leur amour ardent pour Hachem, tel le pain qui est consumé dans le four.

C’est bien joli de décoder les bénédictions qui s’y cachent, mais finalement, pourquoi les choses ne sont-elles pas formulées de façon positive tout simplement ? Pourquoi Rabbi Yonathan et Rabbi Yéhouda ont donné leur bénédiction de façon détournée ? Et pourquoi D.ieu a écrit des malédictions dans la Torah si Son intention réelle était de nous bénir ?

Les maîtres de la ‘Hassidout expliquent que si D.ieu est bon et qu'Il orchestre nos vies avec bienveillance, alors il ne peut y avoir que deux sortes d’événements qu'Il nous envoie : soit de bonnes choses que nous percevons comme bonnes, soit de bonnes choses que nous percevons comme mauvaises.

Parfois, quand D.ieu nous communique Son amour, nous ne le comprenons pas toujours clairement. En effet, après avoir entendu une mauvaise nouvelle ou après avoir subi une expérience désagréable, on a plutôt envie de Lui demander : “Dis-moi Hachem, était-ce un bisou ? Parce que ça m'a paru plutôt une gifle…”.

Il est connu que le Rav Ovadia Yossef avait l’habitude de donner une petite claque à ceux qu’il affectionnait particulièrement (voire même une claque plus forte pour certains !). Lorsqu’on lui a demandé d’où venait cette habitude, il a répondu : “Parce que quand quelqu’un nous aime, il va parfois nous exprimer son amour d’une façon qui peut nous paraître désagréable”.

Rabbi Chimon bar Yo’haï était un Sage d’une profondeur inégalée. C’est lui qui a dévoilé la mystique juive (le Zohar), qui donne la vraie description des choses dans leur essence, sans aucun voile ou couche extérieure. Ce n’était donc pas difficile pour lui de voir de façon claire et absolue la vraie essence de toute chose : le Bien absolu. Même ce que nous percevons comme mauvais est en vérité l’expression la plus élevée de l’amour d’Hachem.

Alors, comment s’inspirer de Rabbi Chimon bar Yo’haï et arriver à percevoir le bon caché dans le mauvais ? Comment voir le cadeau qui se cache derrière un emballage affreux ?

Nos Sages nous enseignent que, plus l’on sera convaincu qu’il n’y a que le Bien qui se dissimule derrière même les choses les plus douloureuses, plus nous parviendrons à lever le voile qui dissimule ce Bien.

Prenons l’exemple d’une jeune fille dont les fiançailles sont rompues. Si elle reste persuadée que D.ieu l’a sauvée d’un mariage voué à l’échec, d’un ‘Hatan qui n’est pas fait pour elle, alors, par ce mérite, l’histoire lui prouvera que c’était vrai et qu’elle a échappé à une erreur qui lui aurait été fatale. Mais si elle reste campée sur cette idée que “ce n’est pas juste et pourquoi Hachem m’a fait ça ?? Je n’ai rien fait pour mériter une telle chose…”, non seulement elle risque d’être empoisonnée toute sa vie par ce sentiment de frustration, mais surtout, la vraie nature des choses ne se dévoilera probablement jamais à elle.

Mais qu’ai-je bien fait pour mériter cela ?”. Cette phrase peut traduire deux sentiments totalement opposés. Le premier serait celui de l’injustice et de la colère, comme pour dire “cela ne devrait pas m’arriver à moi, D.ieu a dû faire une erreur !”, ou bien cela peut traduire : en quoi cet événement cache quelque chose de bon pour moi ? Quel est le bien ultime qui se cache derrière cette histoire ? Le fait de se poser la question de cette façon, c’est exactement cela qui va permettre au Bien de se dévoiler et de se ressentir.

Le Talmud[5] nous dit que les gens qui sont capables de garder leur Emouna (foi) malgré leur souffrance mériteront de voir D.ieu dans toute Sa gloire lorsqu’Il se dévoilera. Ces personnes, qui ont une confiance totale en Hachem, ne laisseront jamais leur déception entacher leur conviction que tout ce qui vient de D.ieu est bon. Et puisqu’elles ont le mérite de voir Hachem de façon entière dans tout ce qu’elles vivent (les bons comme les mauvais événements), elles auront ainsi le mérite de voir Hachem de façon entière lorsqu’Il se dévoilera totalement au temps du Machia’h.

Bien qu’Hachem soit bon et qu'Il orchestre nos vies avec bienveillance, toutefois, souhaitons-nous malgré tout qu’Il nous envoie toujours de bonnes choses que nous percevons comme bonnes, et jamais de bonnes choses que nous percevons comme mauvaises !


[1] Je peux d’ailleurs vous témoigner que son souhait s’est accompli à la perfection Baroukh Hachem !

[2] Vayikra (26-14,16)

[3] Mo’èd Katan 9a

[4] Vayikra (26-26)

[5] Yoma 23a