"Aime ton prochain comme toi-même"[1] : Rabbi 'Akiva affirme qu’il s’agit du principe fondateur de la Torah tout entière !

On retrouve cette idée que toute la Torah se concentre autour du thème des relations avec autrui avec Hillel le Sage. Un homme désireux de se convertir au judaïsme demanda à Hillel de lui enseigner toute la Torah le temps qu’il se tienne "sur un pied", c’est-à-dire le plus brièvement possible ! Devinez quelle fut sa réponse ? "Ce que tu n’aimes pas, ne le fais pas à autrui. C’est là toute la Torah. Le reste n’est que commentaire"[2].

Alors si c’est tellement primordial d’aimer dans le judaïsme, il y a lieu de se poser la question : "Finalement, c’est quoi l’amour ?" Est-ce vraiment possible d’aimer comme la Torah nous le demande ?

La réponse du Rambam : Aimer l'autre, c’est se mettre à sa place

“Chacun se doit de se préoccuper du bien-être et des biens de son prochain comme de ses propres biens. Il est recommandé à tout un chacun d’honorer ses amis de même qu’il souhaite être respecté. L’amour et la compassion pour les autres doivent s’appliquer à tous les niveaux et dans toutes les circonstances. Nous nous devons de préparer à assurer pour l’autre ce que nous souhaitons pour nous-mêmes.” [3]

En d’autres termes, le Rambam nous dit qu’aimer c’est savoir se mettre à la place de l’autre.

Le niveau le plus basique de cette forme d’amour, c’est la compassion, c’est-à-dire compatir lorsque notre ami a de la peine, et, par conséquent, faire de son mieux pour lui éviter tout désagrément.

Mais il existe un niveau plus élevé et bien plus difficile à réaliser : il s’agit d’être capable de se réjouir lorsque l’autre bénéficie d’une heureuse nouvelle ! C’est parfois beaucoup plus difficile à réaliser. Imaginons-nous une jeune fille qui attend désespérément de se marier. Puis, un jour, sa meilleure amie l’appelle pour lui annoncer qu’elle va se marier. Est-elle capable de se réjouir réellement pour elle ? Si oui, alors c’est là la plus belle forme d’amour, selon le Rambam !

La réponse du Ba’al Chem Tov : Plus tu aimeras les autres, plus D.ieu t’aimera

Voici comment le Ba’al Chem Tov, le père fondateur de la ‘Hassidout, interprète ce verset : “De la même façon que tu considères ton prochain, Hachem te considère. Plus tu aimeras les autres, plus D.ieu t’aimera.”

En effet, il est écrit dans les Téhilim : “D.ieu est ton ombre”. Connaissez-vous Lucky Luke, l’homme qui tirait plus vite que son ombre ? Hachem réagit ainsi avec notre comportement : Il réplique d’en haut ce que nous performons en bas. Si nous jugeons positivement notre prochain, D.ieu nous juge positivement. Si nous sommes généreux avec ceux qui sont dans le besoin, Hachem sera généreux envers nous. Si nous sommes remplis de compassion pour notre ami, Il le sera aussi envers nous etc.

Pour le Ba’al Chem Tov, c’est la relation d’amour entre les hommes qui va servir de réceptacle à la bénédiction d’Hachem sur terre. Plus nous serons capables de nous aimer les uns les autres, plus Hachem nous fera bénéficier, en retour, de Son amour infini.

La réponse de Rabbi Na’hman de Breslev : aimer, c’est juger l’autre positivement

Rabbi Na’hman de Breslev fait un jeu de mots entre “ton prochain” et “le mal qui est en toi” (en hébreu, cela peut se lire de la même façon : רעך). Tout comme Hachem nous juge favorablement, en faisant l’impasse sur notre mauvais comportement, et est longanime avec chacun d’entre nous, nous devrions essayer d’adopter le même comportement avec les autres. Ainsi, aimer signifie que, tout comme nous justifions nos propres fautes et que nous nous aimons et nous respectons toujours, nous pouvons aussi trouver les justifications des fautes de l’autre, tout en l'aimant et en le respectant pour ce qu'il est.

La réponse du Ba’al Hatanya : aimer, c’est être capable de réprimander l’autre avec douceur

Le Ba’al Hatanya nous demande de nous concentrer sur l’âme de notre prochain et de voir au-delà des contraintes physiques. Lorsqu’on est capable d’agir ainsi, il n'y a plus de "je" et de "toi". Nous sommes tous les deux connectés à la même source d’âme. Tout comme les deux mains font partie d'un même corps, on fait, en réalité, tous partie d’une seule et même âme.

Or, il ne viendrait jamais à l’idée de notre main droite de “se venger” ou de “détester” notre main gauche, n’est-ce pas ? Eh bien, de la même façon, toute idée de rancœur  de haine ou de vengeance entre deux Juifs n’a aucun sens.

C'est en fait la raison pour laquelle ce commandement est la base de toute la Torah. Si nous pouvons voir notre existence comme une expression de la Divinité, nous pouvons être capables d’aimer sans limites. Est-ce que cela signifie que l’on doit être aveugle aux fautes de l’autre ?

Non ! Tout comme l’on s’aime soi-même, nous avons également des exigences vis-à-vis de nous-mêmes. On doit pouvoir être capable d’aimer et de respecter l’autre, tout en prenant conscience des erreurs qu’il peut commettre. En effet, ignorer les fautes des autres, cela s'appelle en fait de l’indifférence et non pas de l'amour. On doit donc être capable de l’aimer et, en même temps, lorsqu’il est nécessaire, de le réprimander avec amour et douceur.

La réponse du Ben Ich ‘Haï : plus on s’aimera soi-même, plus on pourra aimer l’autre

Et s'il arrivait que nous, de notre côté, nous ne nous aimions pas suffisamment, nous n’ayons pas de respect pour nous-mêmes ? On va forcément en arriver à mépriser toutes les personnes sur terre. Comment œuvrer pour donner du respect aux autres individus si nous-mêmes ne nous sentons pas dignes de respect ? C’est impossible ! En effet, on ne peut pas aimer l’autre au-delà de ce que l'on s’aime soi-même. C’est aussi ce que dit Rabbi 'Akiva : ma vie prévaudra toujours sur celle de mon prochain.

Alors, sachons nous aimer nous-mêmes afin de pouvoir aimer les autres de façon forte, belle et puissante.
Il s’agit là du socle le plus fondamental de toute la Torah. Le reste n’est que commentaire !


[1] Vayikra (19,18)

[2] Chabbath (31a)

[3] Rambam Hilkhot Déot (6,3) et Séfer Hamitsvot (commandement 206)