Le premier compte des enfants d’Israël, après la sortie d’Égypte, est effectué pour l’édification du Tabernacle du désert. Chaque membre du peuple, masculin et âgé d’au moins 20 ans, devait être compté, et apporter un demi-chékel. La somme obtenue par ce dénombrement était utilisée pour faire les 200 socles qui soutenaient les solives qui formaient le cadre du Tabernacle. Il importe de remarquer que la Torah écrit que « ce dénombrement des enfants d’Israël paiera le rachat de chaque personne devant l’Éternel… afin qu’il n’y ait point de mortalité parmi eux à cause de ce dénombrement » (Chémot 30, 12). Pourquoi devrait-il y avoir une mortalité à cause du dénombrement ? De même, les Sages disent « qu’il ne saurait y avoir de bénédiction dans ce qui est compté » (Baba Métsia 42a). Que signifie cette attitude réservée, même opposée, face au compte ? Le compte invite à la malédiction ; pour qu’il n’en soit pas ainsi, le compte orienté vers D.ieu, pour le Tabernacle, évite, efface cette malédiction, selon le verset cité : « afin qu’il n’y ait pas de mortalité à cause du compte ». Cette relation négative face au chiffre permet de comprendre la relation avec le DIVIN, avec l’EÏN SOF, avec l’Infini.

Cette relation ne saurait être une confusion, car le créé est, intrinsèquement, l’objet de la Création. Toute l’histoire de l’humanité est fondée sur ce principe : l’existence de la créature ne peut s’inscrire que dans le relatif, et donc ne peut être qu’en contradiction avec l’absolu. Le fait de donner une valeur absolue au relatif ne peut être qu’un projet contraire à la volonté du Créateur. De Bavel à aujourd’hui, c’est-à-dire depuis l’idolâtrie jusqu’à la civilisation NUMÉRIQUE, le NOMBRE est le danger. Le nombre existe mais ne saurait être une valeur en soi. Expliquons cela : l’histoire est fondée sur l’attirance pour le nombre, pour le chiffre, et ici réside le danger : le nombre va-t-il remplacer D.ieu, et devenir une transcendance ! Ici, on peut comprendre pourquoi le compte doit être utilisé avec précaution, comme tout autre objet matériel. Le danger serait de lui attribuer une valeur absolue, car cela serait créer une contradiction avec le Créateur seul Absolu ! La langue hébraïque ajoute une dimension personnelle quand il est question d’effectuer un compte. Ainsi, il est écrit : « Vous compterez, pour vous ». Le compte est légitime s’il s’agit d’un élément, intégré à la création, c’est-à-dire une créature, car il n’y aurait plus de contradiction avec le Créateur, mais une complémentarité s’établirait ici entre l’Infini et le fini.

Il est remarquable de relever qu’en hébreu, quatre expressions sont utilisées, pour « compter », et chaque expression inclut une idée différente, qu’il importe de rapprocher de la sainteté. Une première racine linguistique est liée au terme « Mispar », à laquelle se rattache, par exemple, le terme « Séfirat Ha'omer » (compte du 'Omer), ou l’expression mentionnée précédemment : « compter pour soi ». Une deuxième expression est utilisée pour exprimer la « pensée » incluse dans le compte : « ’Hechbon », employé par exemple dans le terme : « Venez à ‘Hechbon », et les Sages expliquent qu’il faut « faire le compte de nos actions », afin de « réfléchir » au sens de notre vie. Tous les termes de « calcul » sont inclus dans cette racine (nombres, numérique). La troisième expression est généralement utilisée pour compter les enfants d’Israël dans la Torah : « Pékoudim », de la racine « Pakod » qui implique un souvenir, un dépôt, une évocation. Le quatrième terme, de la racine « Manot », est utilisé pour le compte personnel des individus : l’exemple le plus connu est le terme « Minyan », employé pour le compte des fidèles. Ces quatre termes traduisent chacun une autre orientation de la Création, et donc une volonté du Créateur. Soumis au Créateur, le créé peut être compté, parce qu’il révèle la VÉRITÉ de la création, dans les quatre domaines évoqués, au moyen de la langue hébraïque : « calculer », « réfléchir », « ordonner » et « faire le compte » sont des objets du créé. Cela est compris lorsque l’on dit, en comptant quelque chose qui nous importe et qui a de la valeur pour nous : « éloignons le mauvais œil » (ou « rappelons-nous la puissance spirituelle de Yossef », pour les communautés sépharades). Cela signifie que le compte n’est pas en opposition au Créateur, mais, au contraire, on compte pour s’attirer la bénédiction de l’Éternel. Reconnaissons le Tout-Puissant au-delà de la création, refusons le relatif, et nous sommes assurés de la bénédiction divine.