Dans notre paracha Chéla'h Lekha, il est écrit : « Et les hommes qui médirent [Motsi Diba Raa] de la terre moururent. » (Bamidbar 14:37)

La Michna dans Arakhin souligne la gravité du Lachon Hara, elle se réfère à la faute des Méraguélim qui déprécièrent Erets Israël. Parmi toutes les fautes du peuple juif dans le désert, c’est celle-ci qui scella la sanction de ne pas pouvoir entrer dans la Terre. D’où le sait-on ? Les explorateurs n’avaient-ils pas commis d’autres erreurs, apparemment plus graves et dénotant même une Kéfira (déni de D.ieu) en disant que les habitants de la terre étaient plus puissants qu’Hachem ? La Guémara répond que lorsque la Torah parle de leur faute, elle mentionne leurs mauvaises paroles et non leur reniement, indiquant que leur punition portait principalement sur le Lachon Hara.

Pourquoi est-ce cette faute en particulier qui entraina une punition si sévère ? Le ’Hafets ’Haïm explique que lorsqu’une personne transgresse un interdit, un Ange accusateur est créé ; il s’agit d’une force spirituelle qui tire sa force de la faute commise. Il accuse le pécheur au Tribunal Céleste et qui est la cause de la sanction reçue pour cet acte. Or un ange créé par une action qui n’impliqua aucune parole, n’est pas capable de parler. Sans cette capacité à émettre la faute de l’individu, l’ange ne peut l’accuser et il reste donc impuni.

La faute du Lachon Hara est différente, car des mots sont employés. Ainsi, l’ange créé est doté de parole. Il peut donc exprimer verbalement la nature de la faute perpétrée. Le ’Hafets ’Haïm ajoute que cet ange énumère également toutes les transgressions jusqu’alors non dites que la personne avait commises. Le Lachon Hara ouvre donc la porte à une condamnation pour de nombreux autres péchés.

Ceci explique pourquoi le fait que les explorateurs aient dit du Lachon Hara – et que bon nombre de Bné Israël y aient cru — entraina les terribles souffrances traversées par la suite. Il convient de noter que le Lachon Hara en question ne visait même pas un être humain, mais Erets Israël.

La Guémara montre à quel point les Amoraïm évitaient de parler de manière négative de la Terre[1]. Elle affirme que s’ils étudiaient à un endroit chaud, ils changeaient de place et allaient dans un lieu plus agréable, ombragé, afin qu’aucun disciple n’émette de propos négatif sur la terre, pas même concernant le temps qu’il y fait. Le Ben Ich ’Haï en déduit qu’il faut faire très attention à ne dénigrer aucun lieu d’Erets Israël, ni au sujet de son climat, de ses fruits ou même de ses constructions.[2] Il ajoute que ceci s’applique même lorsque la terre est entre les mains des non-juifs (comme c’était le cas à son époque) et qu’il ne faut même pas critiquer les maisons des non-juifs qui s’y trouvent. Il conclut que tout ceci entre dans la catégorie de « Motsi Diba Raa » sur Erets Israël – exactement les mêmes termes employés à propos des explorateurs.

L’histoire suivante montre à quel point les Tsadikim évitent de médire sur la Terre Sainte[3]. Un Juif richissime nommé Rav Mendel vivait en Russie à l’époque tsariste, alors que pour les Juifs russes, la Terre d’Israël représentait un rêve inaccessible. Rav Mendel soutenait financièrement les Juifs qui y résidaient. L’un des pauvres qu’il aidait lui envoya une bouteille de vin d’Erets Israël.

En dépit de sa fortune, cette bouteille de vin fut aux yeux de Rav Mendel, son bien le plus précieux.

Avant sa mort, Rav Mendel dit à son fils : « Voici mon plus grand trésor — cette bouteille de vin provenant d’Erets Israël. Ne l’ouvre pas avant qu’une occasion spéciale se présente. » Plusieurs années plus tard, les huit fils du Magguid de Tchernobyl vinrent visiter le village où avait vécu Rav Mendel. Chacun de ces personnages était un éminent Tsadik. Ils organisèrent un « Tich » pour tous les Juifs du village. Le fils de Rav Mendel estima qu’il s’agissait d’une occasion suffisamment exceptionnelle pour y apporter la fameuse bouteille de vin.

L’ainé des fils ouvrit la bouteille, et en but un verre après avoir récité la bénédiction : « Hmm ! Délicieux ! », s’écria-t-il. Il chanta les louanges du vin et fit passer la bouteille à son frère qui agit de la même manière. Le récipient passa ainsi d’un frère à l’autre jusqu’à ce qu’elle soit déposée devant le benjamin. Celui-ci ne se servit pas, n’en gouta pas. Il se contenta de la passer à son voisin de table. On lui demanda avec étonnement : « Quel est le problème ? Tu ne goutes pas au vin d’Erets Israël !? » Il répondit alors : « Je suis un fin connaisseur en vin et dès que j’en goutte, je peux juger de sa qualité. Je crains de ne pouvoir satisfaire mon palais délicat et de penser, l’espace d’un instant, une mauvaise chose d’Erets Israël. Je ne veux pas me rendre coupable d’une faute semblable à celle des explorateurs en n’appréciant pas suffisamment la Terre ! »

Même si le niveau atteint par le Tsadik nous parait très élevé, la leçon à tirer de cette histoire est évidente. Baroukh Hachem, nous avons tous – ou presque tous – eu le mérite d’aller en Erets Israël (certains ont même la chance d’y habiter !) et on peut avoir tendance à s’imaginer que c’est normal. De plus, on est parfois frustré par certains aspects de la vie en Terre Sainte, que ce soit les conditions météorologiques, les relations avec certains groupes de personnes, la bureaucratie, etc. Il n’est pas rare d’entendre les gens se plaindre de ce genre de choses. L’enseignement de la faute des explorateurs et la déduction que fait le Ben Ich ’Haï de la Guémara précitée nous montrent à quel point nous devons nous efforcer d’éviter toute mauvaise parole à propos de notre prochain ainsi que de la Terre d’Israël.


[1] Kétoubot, 112b.

[2] Ben Yéhoyada, Kétoubot 112b.

[3] Entendu du Rav Issakhar Frand.