Il y a deux sujets devant lesquels notre génération est en constant questionnement : le couple et l’éducation. Sans doute car dans ces deux domaines, l'interaction entre les individus est à son paroxysme, vu la proximité géographique et émotionnelle des intervenants et les multiples possibilités de frictions qui en découlent. Mais pas seulement. Nous avons également été submergés d’ouvrages qui inondent le marché du livre et proposent chacun leur solution. 

Si autrefois, on voyait une nouvelle théorie surgir chaque demi-siècle, aujourd’hui les spécialistes nous présentent avec assurance chaque année (chaque mois ?) leurs conclusions sur tout ce qui touche le relationnel humain. 

Quand St Germain des Prés veut donner le ton

Déjà en 1949, une Simone de Beauvoir enturbannée dans son aura de grande intellectuelle, nous déclarait dans son livre “Le deuxième sexe” que l’homme et la femme sont structurellement identiques, mais que la société a façonné la petite fille de telle sorte qu’elle se verra plus faible et inférieure au garçon et agira toute sa vie selon ce schéma primaire. On lui permet de pleurer, on lui donne des poupées et on la destine à être une bonne épouse, docile et disciplinée : c’est ce qu’elle absorbe de son entourage et par conséquent ce qu’elle devient… Mais, et de Beauvoir conclut, c’est un leurre (que les hommes ont entretenu pour mieux nous assujettir...) et quand les yeux de la femme se dessilleront, elle découvrira en elle tous les potentiels, parfaitement identiques à son homonyme masculin. Justice sera faite et, enfin affranchies du carcan machiste, nos talents se révèleront, si seulement nous osons la contraception, l’avortement et l’entrée sur le marché du travail. 

Qui n’a pas disserté sur la fameuse phrase ”On ne naît pas femme, on le devient”, qui résume le livre de De Beauvoir ? Cette théorie, clé de voûte de la libération de la femme, eut des répercussions énormes sur la structure familiale et le positionnement des conjoints au sein du couple mais a fait tomber les relations hommes-femmes dans une autre problématique. La parité pure et dure entre les sexes ne nous a pas seulement mis ex aequo, elle a limé purement et simplement toutes les différences fondamentales entre l’homme et la femme. A ce stade, on se demande presque ce qu’on va découvrir chez l’autre, si ce n’est son propre soi-même. L’aventure est finie. 

De Beauvoir, en repensant la femme, assise aux cafés de St-Germain-des-Prés, allait en effet révolutionner le monde et donner une assise presque scientifique au féminisme, puisque c’est sous toutes ses coutures (sociologique, psychologique, anthropologique), qu’elle allait la redéfinir. (Un penseur comme Yéhouchoua’ Leibovitz disait que la plus grande révolution jamais engagée sur terre fut celle de la femme, avec tous les bouleversements qu’elle entraîna.)

La théorie conquit l’Occident et nos sociétés ont été complètement restructurées sous l'influence des essais de De Beauvoir. Mais l’annihilation d’une idée d’un féminin propre et inhérent à la femme est un absurde et les conclusions de l’écrivain ont mené a des extrêmes où de la femme victime, on est passé à celle incriminante, vindicative et menaçante, pour laquelle l’homme est devenu l’ennemi. Vouloir niveler les différences à tout prix a fini par dénaturer la femme qui, une génération plus tard, se cherchera désespérement une identité. 

Sans vouloir ouvrir ici la parenthèse délicate de la vie privée de De Beauvoir, signalons simplement que pour une femme qui dénonçait la subordination féminine, il semblerait qu’elle eut peu de scrupules à abuser de son autorité et de son prestige sur ses congénères, ce qui lui valut son éviction des établissements de l’Education Nationale.

Les théories se suivent et se contredisent

En 1992, John Gray, dans un best-seller mondial (15 millions d’exemplaires vendus, 121 semaines d’affilée à la tête des meilleures ventes) déclarait, cette fois dans un livre qui se voulait le guide incontournable du couple, que l’homme et la femme sont foncièrement différents, chacun venant d’une autre planète physiologique, émotionnelle et affective mais qu’en en prenant conscience, on aplanirait frictions et différends. Il suffit à la femme de comprendre la structure psychologique de l’homme (et vice-versa) pour que tout rentre dans l’ordre. En deux mots : on va se calmer! :)

10 ans plus tard, Deborah Cameron, également dans un livre très vendu, viendra démonter cette théorie, d’après elle faite de stéréotypes grossiers, qui enferment l’homme et la femme, chacun, dans de grotesques caricatures. 

Etc..etc.. Ad aeternam. Les théories se suivent et se contredisent. Dans cette saga à rebondissements, où chaque génération essaye une autre méthode qui quelque temps plus tard s'avère elle aussi caduque et sera remplacée par son antithèse, le peuple juif calmement, inexorablement, avance dans l’Histoire sans s’émouvoir, avec en main le mode d’emploi que le "Fabricant" Lui-même dans Son infinie bonté lui a livré. Le Midrach nous le dit, la Torah précède la Création et D.ieu “...a regardé dans la Torah pour créer le monde.” 

Lorsque D.ieu façonne le féminin

Penchons-nous donc sur les versets de la création de la femme pour essayer de comprendre son essence et comment une articulation entre les deux sexes est-elle possible. 

Le terme “femme” (Icha) apparaît dans la Torah pour la première fois lorsque D.ieu sculpte en femme la côte qu’Il a extraite d’Adam. “Et D.ieu façonna la côte qu’Il avait prise d’Adam pour en faire une femme, et Il l’apporta devant Adam.” (Béréchit 2, 22 ). 

Le terme utilisé pour "façonner" (Vayiven) n’est pas fortuit. Il prend sa racine dans le mot “construire” (Boné) mais fait également allusion au mot Bina, intuition particulière dont la femme sera dotée. C’est une intelligence subtile, différente de celle de l’homme, qui fait qu’elle pressent au-delà des données concrètes. La femme est donc issue de l’homme, de matière semblable à lui mais sculptée, façonnée dans son intime le plus profond, dans sa structure même, par cette notion si particulière d'intuitivité. 

Le verset qui suit continue ainsi :

“Et l’homme (Adam) dit : Cette fois, c’est mon essence, chair de ma chair, c’est pour cela qu’elle s’appellera femme (Icha) car elle vient de l’homme (Ich)” (Genèse 2,23).

Le verset insiste sur cette notion d’essence commune et pour cette raison, homme et femme peuvent communiquer et se reconnaître comme semblables. Mais si leur matière première est identique, et en effet leur nom en langue sainte provient de la même racine (Ich et Icha), ils ne sont plus un. Ils ont été séparés et comme nous l’avons vu, le modelage de la femme s’est fait séparément de l’homme. On l’investit dès le départ d’une intelligence et d’une structure psychologique différente de son conjoint. Ni parité absolue, ni différence abyssale. Ni au-dessus, ni égale, ni inférieure. D’ailleurs, à aucun moment une notion de hiérarchie entre eux n'apparaît dans les versets. Il y a plutôt complémentarité, comme une pièce de puzzle en alcôve, qui n’attend que le morceau manquant. Les deux éléments sont faits des mêmes matériaux, mais ne se ressemblent pas. Ils s'emboîtent, s’ajustent, s’assemblent. Se complètent. 

Il est intéressant de constater que lors de la création des animaux, ou de toute autre créature, la femelle n’est pas extraite du mâle, mais ils sont créés séparément et c’est uniquement dans le genre humain que la proximité du couple est dans la substance même. D’ailleurs, Rachi nous enseigne que l'être premier, Adam, était androgyne et contenait en lui à la fois le masculin et le féminin, dans une complétude totale. Attristé de voir qu’il n’avait pas de compagne en face de lui, alors qu’il nommait les animaux qui défilaient devant lui en couple, Adam fut endormi par D.ieu, qui a extrait de lui sa moitié. 

La définition du couple pour la Torah n’est certainement pas un clonage, une copie conforme, mais une base commune qui s’articule sur une intelligence (et donc une perception des choses) différente. 

Trop semblables, c’est l’ennui. Trop différents, c’est la collision.

En deux versets de 28 mots, la Torah explique l’essence du couple, à savoir cette tension entre proximité et différence chez l’homme et la femme, qui fait toute sa dynamique.

Surtout ne rien limer, ne rien effacer de nos différences innées, au contraire les utiliser pour compléter l’autre et pour l’aider (Ezer kenegdo!) en maintenant l'équilibre si parfait, si délicat que le Créateur a placé dans chacune de nos natures, pour notre plus grand bonheur. 

Amen Vénatslia’h !!