Comme nous le savons, la Paracha Lekh Lekha commence par l’ordre divin donné à Avraham de quitter son pays : « Lekh LékhaVa pour toi vers une nouvelle terre ». Hachem répète ces mots quand Il enjoint à Avraham de quitter Erets Moria[1] pour la Akéda (le sacrifice d’Its’hak). Le Midrach[2] relève cette redondance et demande lequel de ces « Lekh Lékha » fut le plus apprécié aux yeux d’Hachem. Il conclut que c’est celui de la Akéda et prouve ceci grâce à certains versets.

Ces deux commandements font partie des dix épreuves qu’Avraham dut surmonter et le Midrach laisse clairement sous-entendre qu’il n’est pas évident de savoir laquelle des deux fut la plus éprouvante. Le Nétivot Chalom[3] demande comment on peut avoir un tel doute. Certes, le fait de quitter sa famille, ses amis et sa patrie pour aller vers un pays inconnu fut une tâche très difficile. Mais comment comparer ceci à la Akéda lors de laquelle Avraham reçut l’ordre de sacrifier son fils unique, chose qui contredisait tout son système de pensée, basé sur la présence d’un D.ieu unique, aimant et bienveillant et qui mettrait fin à toutes les promesses concernant sa descendance – qui poursuivra sa mission sacrée de répandre la connaissance d’Hachem dans le monde ?[4]

Il explique qu’il existe deux sortes d’épreuves que l’individu peut traverser. Celles que l’on rencontre tout au long de notre vie, pour surmonter notre penchant naturel et réaliser notre potentiel. C’est un défi permanent, qui accompagne la personne au jour le jour. Mais il y a aussi les épreuves qui ne se présentent qu’une fois dans la vie, lors desquelles l’individu fait face à une difficulté incroyable. D’une part, cette deuxième catégorie peut s’avérer extrêmement rude, mais d’autre part, elle est temporaire ; une fois surmontée, elle fait partie du passé. La première sorte d’épreuve est moins difficile du fait qu’elle ne demande pas autant d’efforts que la deuxième, mais plus difficile dans la mesure où elle perdure.

L’intensité de l’épreuve de la Akéda fut indescriptible, mais une fois survenu, l’événement ne présentait plus de difficulté. Le fait de quitter son pays était certes moins pénible, mais plus éprouvant du fait qu’il ne s’agissait pas d’un éloignement physique, mais d’un défi constant – celui d’abandonner toute influence du précédent entourage d’Avraham et de l’éducation qu’il reçut. D’où le doute émis par le Midrach concernant l’épreuve la plus rude.

D’après le sens simple, si le Midrach conclut que la Akéda fut plus éprouvante, c’est à cause de la difficulté incommensurable du test, mais une analyse plus approfondie indique que cette épreuve avait une conséquence à long terme et ne se terminait pas totalement avec le sacrifice.

Rav Yé’hiel Spero cite le Nézer Hakodech qui explique pourquoi l’accent est mis sur le mérite d’Avraham lors de la Akéda, plus que sur celui d’Its’hak. Il écrit : « Deux sacrifices eurent lieu lors de la Akéda. Le premier concerne la volonté d’Its’hak d’être offert en sacrifice et le second fut celui d’Avraham, tâche certainement plus difficile consistant à égorger son fils unique et de vivre avec ce poids sur la conscience ! » Ceci nous enseigne que la Akéda ne fut pas un événement ponctuel, ses ramifications auraient poursuivi Avraham pour le restant de sa vie. Il aurait dû vivre avec ce sentiment douloureux, celui d’avoir tué son fils – aussi justifié que puisse être son acte.

On peut ajouter un autre élément éprouvant de la Akéda qu’Avraham dut surmonter sur le long terme. Le message qu’il tenta de transmettre à travers le monde fut la croyance absolue en un D.ieu unique. Il revendiquait la primauté de la vie et rejetait complètement la pratique, alors répandue, du sacrifice humain. Ainsi, Avraham dut être prêt à se montrer hypocrite aux yeux du monde entier et à tuer son propre enfant, ébranlant ainsi tous ses enseignements. Et même si finalement, Its’hak ne fut pas tué, tout le monde sut qu’Avraham avait été prêt à le sacrifier. En ce sens, la Akéda ne fut pas une épreuve ponctuelle, momentanée.

La plupart des gens n’auront jamais à surmonter une épreuve du niveau de la Akéda, mais chacun doit faire face à son propre « Lekh Lékha » — un test qui permet de vérifier qu’on ne vit pas uniquement sur la base de l’éducation reçue, de notre entourage ou de nos penchants naturels. C’est une épreuve sur toute une vie et elle demande énormément de persévérance et de cohérence.

En surmontant ces épreuves, Avraham Avinou ouvrit la voie au peuple juif en général et à chaque Ben Israël en particulier, pour que l’on puisse surmonter les « Lekh Lékha » de la vie.

 

[1] Béréchit 22:2.

[2] Béréchit Raba 39:9.

[3] Lekh Lékha, Oth 1. Le Nétivot Chalom fut écrit par le Rav de Slonim, Rav Chalom Noa’h Berzansky.

[4] Le Nétivot Chalom propose une réponse très longue qui dépasse largement le cadre de ce Dvar Torah ; seule l’idée générale de son commentaire est présentée ici.