« Et les âmes qu’ils avaient faites à 'Haran » — ainsi la Torah décrit les femmes et les hommes qui suivent Avraham et Sarah au moment où ils quittent leur terre natale pour suivre l’appel de D.ieu.
Rachi commente : « Il s’agit de ceux qu’ils ont amenés sous les ailes de la Présence divine. Abraham convertissait les hommes, et Sarah convertissait les femmes. L’Écriture les considère comme s’ils les avaient créés. »
La Torah nous propose ainsi une expression saisissante, « Créer des âmes », qui bouleverse notre compréhension de la mission d’Avraham. Il ne s’agit pas seulement de fonder un peuple, mais de régénérer l’humanité — de révéler à chacun la dignité et la liberté que lui confère l’image divine qui se loge en lui. Avraham et Sarah deviennent les premiers « pédagogues de l’âme », les premiers à comprendre qu’il faut éveiller les âmes, les nourrir, les renforcer au quotidien au gré de nos rencontres, et du regard que l’on porte sur la vie et sur le monde.
Un récit transmis par Rav Gabriel Tolédano illustre avec une force rare ce pouvoir de « faire des âmes ».
Il y avait en Israël un jeune homme nommé Amos, originaire du nord de Tel-Aviv. Issu d’un milieu laïc, il vivait à distance de la Torah et des Mitsvot. Mais au fil du temps, une aspiration spirituelle s’était éveillée en lui — un appel intérieur, un besoin de vérité qu’aucune réussite matérielle ne parvenait à combler.
Amos avait entendu parler d’un grand Sage de la génération : le Rav Elazar Ména'hem Chakh, maître de Bné Brak, dont la sainteté et la sagesse inspiraient respect et amour. Un jour, mû par le désir d’éclaircir les doutes qui l’empêchaient de franchir le pas du retour vers D.ieu, il décida d’aller le rencontrer.
C’était un jour de Pourim. Dans les rues de Bné Brak, l’allégresse régnait ; les chants et les rires emplissaient l’air. Amos arriva à la maison du Rav — mais il découvrit une file d’attente interminable : des dizaines d’hommes, d’élèves, de visiteurs se pressaient pour recevoir une bénédiction ou un conseil. Il patienta des heures, jusqu’à ce qu’enfin son tour arrive.
Lorsqu’il entra, il vit le Rav Chakh qui lui sourit et lui dit d’une voix douce :
— « En quoi puis-je t’aider, mon fils ? »
Amos répondit :
— « Je veux revenir à la Torah, accomplir les Mitsvot. Mais des questions me tourmentent. J’aimerais vous les poser. »
Le Rav Chakh répondit avec bienveillance :
— « Mon fils, aujourd’hui c’est Pourim. Le temps est court, et beaucoup attendent dehors. Ce n’est pas le bon moment pour une longue conversation. Reviens me voir pendant ‘Hol Hamo'èd Pessa’h. Alors, avec l’aide de Dieu, nous parlerons tranquillement, et je répondrai à toutes tes questions. »
Le Rav prit soin de noter sur un petit carnet le nom, l’adresse et le numéro d’Amos. Puis il lui adressa une bénédiction, et Amos repartit chez lui, le cœur empli d’émotion.
Les semaines passèrent. Puis vint Pessa’h.
Amos pensa souvent au rendez-vous, mais il hésitait.
« Comment pourrais-je déranger un si grand Rav ? », se disait-il. « Il a tant de responsabilités… Mes questions ne méritent pas qu’un Sage de cette stature s’en occupe. »
Il n’osa pas y aller.
Le dernier jour de ‘Hol Hamo'èd, on frappa à la porte d’Amos.
Il ouvrit — et resta stupéfait.
Sur le seuil se tenait le Rav Chakh lui-même.
Le grand maître, appuyé sur sa canne, avait traversé la ville pour venir jusqu’à cet inconnu du nord de Tel-Aviv.
Amos balbutia, bouleversé :
— « Kvod Harav… je… je ne comprends pas ! »
Le Rav sourit simplement :
— « Nous avions rendez-vous à Pessa’h, n’est-ce pas ? Puisque tu n’es pas venu, c’est moi qui suis venu à toi. Dis-moi maintenant, quelles étaient ces questions ? »
Amos baissa les yeux, et lui dit avec beaucoup d’émotion :
— « Rav… je n’ai plus de questions. Si la Torah peut élever les hommes au point de produire quelqu’un comme vous, alors je n’ai plus rien à demander. J’ai trouvé ma réponse. »
Ce jour-là, Amos trouva les réponses à toute ses questions, et il devint un Juif observant, un homme de prière et d’étude. Son âme avait été « faite », comme celles de 'Haran : non par une explication, mais par un exemple.
L’histoire d’Amos et du Rav Chakh est l’écho vivant du verset : « les âmes qu’ils avaient faites à 'Haran ».
Avraham et Sarah n’enseignaient pas seulement des idées ; ils incarnaient une présence. Ils inspiraient les hommes et les femmes de leur génération par la bonté, l’hospitalité, la justesse de leurs actes.
De même, le Rav Chakh n’a pas « convaincu » Amos. Il l’a rencontré. Il lui a montré que la Torah n’est pas une théorie, mais une vie. En se déplaçant lui-même vers un jeune homme hésitant, il a révélé ce que signifie être un serviteur de D.ieu : aller vers autrui, porter la lumière jusque dans les recoins de l’incroyance.
Rav Jonathan Sacks exprimait cette idée avec clarté :
« Les Juifs ne sont pas appelés à convertir le monde au judaïsme, mais à l’inspirer. Être juif, c’est être un ambassadeur de D.ieu dans le monde, non pour notre propre gloire, mais pour le bien de l’humanité tout entière. »
La vocation d’Israël n’est pas de changer les autres, mais de se changer soi-même jusqu’à devenir une source de bénédiction pour l’ensemble des nations du monde. C’est là, la vocation universelle d’Israël, assumer et approfondir notre particularisme, notre lien avec l’Éternel, afin de porter un reflet de Sa lumière dans le monde.





