« Tout le pays d’Égypte était affligé par la famine, le peuple demanda à grands cris à Pharaon du pain. Pharaon répondit à tous les Égyptiens : "Allez chez Yossef ; ce qu’il vous dira, vous le ferez." » (Béréchit, 41:55)

Rachi explique sur les mots « Ce qu’il vous dira, vous le ferez » : « Parce que Yossef leur avait dit qu’ils devaient se circoncire... »

En tant que vice-roi, Yossef gérait toute la nourriture engrangée en Égypte. En échange des bienfaits qu’il avait prodigués aux Égyptiens en subvenant à leurs besoins, Yossef leur demanda de se circoncire. Les commentateurs se demandent pourquoi il fit une telle requête alors que les non-juifs n’ont pas l’obligation de faire la Brit Mila[1].

Rav Yérou’ham Leibovitz zatsal propose une réponse intéressante[2]. Il rapporte un verset de Parachat Vayigach dans laquelle les Égyptiens reconnaissent tout ce que Yossef a fait en leur faveur : « Ils dirent : "Tu nous as fait vivre…" »[3] Le Midrach raconte qu’ils reconnurent ensuite qu’il leur avait sauvé la vie dans le Olam Hazé et dans le Olam Haba. Cela signifie qu’il les a aidés dans le domaine spirituel et matériel.[4] Les commentateurs de ce Midrach expliquent comment Yossef les a préservés spirituellement : il les força à pratiquer la Brit Mila[5]. Cela leur fut d’une grande aide, bien qu’ils restèrent non-juifs. En effet, la Orla (l’excroissance) que l’on retire est source d’une grande impureté et le fait de l’enlever est bénéfique aux non-juifs également.

Rav Yérou’ham explique ensuite pourquoi Yossef leur imposa la circoncision : il les avait tant aidés matériellement, en leur sauvant littéralement la vie durant la famine qu’il se sentait responsable de les aider aussi spirituellement.

En effet, la meilleure façon d’aider son prochain est de le soutenir au niveau spirituel. C’est un concept discuté par les commentateurs concernant la Mitsva d’aimer son prochain comme soi-même.

Le Ben Ich ’Haï affirme que malgré la place prépondérante qu’elle occupe dans la Torah, une grande partie de cette Mitsva est négligée par plusieurs personnes. Selon lui, bien que beaucoup de gens aient conscience qu’elle exige une sollicitude vis-à-vis du bien-être physique du prochain, ils réalisent moins l’obligation qu’elle impose sur le plan spirituel. Il ajoute que lorsque l’on aide son ami dans la Rou’haniout, on accomplit la Mitsva de façon bien plus parfaite que quand on lui prodigue un bienfait dans la Gachmiout.

Il explique : « Lorsque l’on soutient l’autre physiquement, on exprime notre préoccupation pour son corps ! Mais l’essence de la personne provient du côté divin qui est en elle, de son âme, qui ne tire aucun profit de la matérialité. Par contre, si l’on réprimande son ami et qu’on l’empêche par là de transgresser les Mitsvot d’Hachem, on manifeste un souci pour son âme et l’on montre que notre amour pour son bien-être spirituel est bien plus grand que celui porté sur son aise matérielle. »[6] Le Ben Ich ‘Haï nous enseigne donc que pour accomplir au mieux la Mitsva d’aimer son prochain, on ne peut pas limiter sa gentillesse à la Gachmiout, mais il faut s’efforcer de l’aider encore plus dans la spiritualité.

Dans le même ordre d’idées, le Or’hot Tsadikim nous précise qu’il y a trois sortes de dons : l’apport d’argent, l’assistance physique (don de soi) et la transmission du savoir. Il détaille ces trois formes, puis termine le chapitre en se focalisant sur le fait d’enseigner la Torah aux autres. « Il faut être particulièrement généreux en ce qui concerne les connaissances en Torah ; instruire autrui et rapprocher son cœur du Ciel. C’est le meilleur don – lui permettre l’accès au Monde Futur. »[7]

Rav Yérou’ham nous informe que Yossef était d’un tel niveau qu’il sentait que sa bonté envers les égyptiens était incomplète s’il ne sauvait pas aussi leurs âmes.

Cet enseignement est très pertinent dans notre quotidien.

Il existe plusieurs façons d’aider les autres dans ce domaine. Le Ben Ich ’Haï évoque la réprimande, mais dans la génération présente, il est très difficile de faire un reproche correctement, sans causer de tort. On peut, en prenant moins de risques, partager sa Torah avec les autres. D’ailleurs, ’Hazal affirment à diverses reprises que l’enseignement de la Torah est un objectif prioritaire — la Guémara (Roch Hachana, 23b) fait savoir que celui qui apprend et qui n’enseigne pas ressemble à un myrte dans le désert. Le Maharal explique que le myrte est l’arbre le plus parfumé ; il fut créé pour que les gens profitent de son odeur agréable. Un myrte dans le désert ne réalise pas son objectif puisque personne ne jouit de lui. De même, la Torah est là pour être transmise et celui qui y renonce ne réalise pas son but sur terre[8].

La Michna dans Pirké Avot déclare : « Si tu as appris beaucoup de Torah, Al Ta’hzik Tova Léastmékha (ne t’enorgueillis pas), parce que c’est pour cela que tu as été créé. »[9] D’après son sens simple, on comprend de cette Michna qu’il ne faut pas se sentir fier de ses réalisations dans l’étude de la Torah parce que c’est le but de la vie. Cependant, plusieurs commentateurs proposent une interprétation différente et comprennent les mots de la Michna au sens littéral. Ils pensent que si quelqu’un a appris beaucoup de Torah, il ne doit pas garder ce bien pour lui-même, mais en faire profiter les autres et l’enseigner. Pourquoi ? Parce que son objectif sur terre est d’apprendre et d’enseigner.[10]

Comment partager sa Torah aux autres ? On peut créer une ’Havrouta (partenariat d’études) avec des personnes d’un niveau moins élevé. Nombreuses sont les institutions (Yéchivot, synagogues…) qui recherchent des gens prêts à consacrer une partie de leur temps à donner des cours à ceux qui en savent moins qu’eux. Un simple appel à ces organismes est peut-être le seul effort nécessaire pour trouver une ’Havrouta appropriée. De plus, l’enseignement n’est pas nécessairement en tête à tête ; avec la technologie moderne, on peut apprendre avec un interlocuteur vivant dans un autre pays, par téléphone ou par un autre moyen. Par ailleurs, l’expression écrite est très efficace pour profiter à plusieurs personnes simultanément – en écrivant un Dvar Torah sur la Paracha ou sur un autre sujet. Il est également important de souligner que l’apprentissage de la Torah ne se limite pas à un cours classique – les opportunités de partager la Torah avec autrui sont innombrables dans le quotidien, que ce soit avec les collègues de travail, un chauffeur de taxi ou des amis…

Puissions-nous tous mériter d’émuler Yossef qui excellait dans la bonté « spirituelle » comme dans la bonté « matérielle ».

 



[1] Voir Séfer Yéfat Toar, Chlah Hakadoch qui répond à cette question.

[2] Daat Torah, Béréchit, Biourim, p. 242.

[3] Béréchit, 47:25.

[4] Béréchit Rabba, Mikets, 90:6.

[5] Ets Yossef, Matnot Kéhouna, ibid.

[6] Divré ’Haïm, rapporté dans Péniné Ben Ich ’Haï, Parachat Kédochim, p. 108.

[7] Or’hot Tsadikim, Chaar Nédivout.

[8] Maharal, ’Hidouché Haggadot 23b. Voir également Nétiv Torah, ch. 8 pour un développement plus détaillé sur ce point.

[9] Avot, 2:9.

[10] Avot, 2:9 ; Midrach Chémouel. Voir Midrach David, Lev Eliahou, Parachat Tazria Métsora pour une explication semblable. Également entendu du Rav Zéev Leff chlita, au nom du Klausenberger Rebbe zatsal.