La Paracha Vayichla'h commence par la fameuse rencontre entre Yaacov et Essav. Après une simple lecture du Texte, on comprend que le danger présenté par Essav était physique – il venait tuer Yaacov et sa famille avec ses quatre cents soldats. Mais les commentateurs soulignent qu’il y en avait un autre, bien plus pernicieux.

Le Beth Halévy développe longuement cette idée[1]. Il commence par une interprétation novatrice de la prière prononcée par Yaacov envers Hachem avant les retrouvailles. « Sauve-moi, je t’en prie, des mains de mon frère, des mains d’Essav. »[2] Pourquoi cette redondance quand il parle d’Essav ? Yaacov aurait dû dire « Sauve-moi des mains d’Essav », ou bien « Sauve-moi des mains de mon frère ». Pourquoi les deux éléments sont-ils nécessaires ?[3]

Le Beth Halévy explique que Yaacov redoutait deux dangers différents présentés par Essav. L’un en tant qu’Essav qui agit comme un ennemi et qui menace donc sa survie physique. Et l’autre était qu’Essav se comporte fraternellement à l’égard de Yaacov. En quoi son amabilité est-elle nuisible ? Yaacov ne voulait pas qu’Essav influence négativement les membres de sa famille à travers des relations amicales. Ainsi, sa peur était double et très grande – celle de rencontrer l’antagoniste Essav qui le menaçait physiquement et celle du danger spirituel de faire face à son « frère ». Dans le même ordre d’idées, le Beth Halévy explique un autre verset de la Paracha : « Yaacov eut peur et était anxieux. »[4] À quoi font référence ces deux expressions similaires ? Le Beth Halévy écrit que Yaacov craignait de la possibilité qu’Essav le tue et était bouleversé du risque d’une proximité avec Essav.

La menace représentée par Essav était donc autant, si ce n’est pas plus, sur le plan spirituel que physique. Le Beth Halévy poursuit son développement et montre que le danger était très subtil et ne portait pas sur un éloignement total d’Hachem et de la Torah de la part de Yaacov et de ses descendants. Quand les deux frères se rencontrèrent, le cœur d’Essav s’adoucit et il proposa à Yaacov de faire la route ensemble. Le Midrach élabore sur l’offre d’Essav : « Essav lui dit [à Yaacov] qu’il devait créer un partenariat entre les deux mondes – le Olam Hazé et le Olam Haba. »[5] Le Beth Halévy précise qu’Essav proposait qu’ils s’unissent et que chacun transige modérément sur son mode de vie. Essav était prêt à subventionner les établissements de Torah et en échange Yaacov devait renoncer quelque peu à son centre d’intérêt – la spiritualité, et s’impliquer davantage dans les activités mondaines. Ainsi, Essav ne souhaitait pas déraciner complètement Yaacov de la Torah, mais uniquement affadir sa piété et sa dévotion à la Avodat Hachem.

Dans la réponse de Yaacov, nous pouvons constater qu’il perçut la menace spirituelle, plus subtile et dommageable représentée par Essav. Il lui dit : « J’ai habité chez Lavan, le mauvais, et j’ai gardé les 613 Mitsvot et je n’ai pas appris de ses mauvais comportements. »[6]

Rav Its’hak Hutner zatsal souligne une redondance dans la dernière partie du message de Yaacov, qui semble superflue. S’il a observé toutes les Mitsvot, il semble évident qu’il n’ait pas reproduit les mauvais comportements de Lavan ! En réalité, il est possible de garder les Mitsvot même sous l’influence d’un personnage comme Lavan, en ayant des valeurs qui ne sont pas basées sur la Torah, mais sur le monde extérieur. Ainsi, Yaacov disait à Essav que Lavan n’avait pas du tout réussi à « édulcorer » sa Avodat Hachem. Aussi, il prévenait implicitement Essav qu’il ne parviendrait pas non plus à l’influencer.

Pour résumer, Essav ne menaçait seulement pas Yaacov d’une destruction physique, ni même d’un détachement total de la Torah. Il proposait « juste » d’affaiblir un peu son service divin, en infiltrant certaines valeurs extérieures à la Torah. Le refus catégorique de Yaacov nous enseigne que de la même manière que nous devons nous efforcer de respecter toutes les Mitsvot, nous devons également tenter de vivre selon des vertus parfaitement conformes à la Torah.

Cette leçon est particulièrement pertinente aujourd’hui, alors que la société occidentale menace tellement l’idéologie juive et la pratique des Mitsvot. Chacun est confronté à un défi d’un niveau différent. Pour l’un, ce sera son respect du Chabbat ou la consommation d’aliments « cacher », menacés à cause de son métier effectué dans le monde laïque. Pour une autre personne qui observe le Chabbat et pratique les Mitsvot, les valeurs prônées par la Torah prennent une seconde place dès qu’il s’agit de gagner de l’argent et de réussir dans les affaires…

Puissions-nous tous émuler Yaacov Avinou en n’apprenant pas des mauvais comportements d’Essav, quel que soit notre niveau.



[1] Beth Halévy, Parachat Vayichla’h.

[2] Béréchit, 32:12.

[3] Voir Rachi et Or Ha’Haïm, 32 :12.

[4] Béréchit, 32:8. Voir Rachi et son explication concernant la répétition.

[5] Béréchit Rabba, 78:14.

[6] Rachi, Béréchit, 32:5.