« Tu feras les planches pour le Michkan, en bois de Chitim, debout. » (Chémot 26,15)

Hachem ordonna à Moché Rabbénou de faire les planches du Tabernacle en bois de cèdre. Rachi souligne que le verset affirme « Tu feras les planches » et non « des planches », indiquant qu’il s’agissait de planches spéciales. Il explique, sur la base d’un Midrach, que ces planches furent effectivement préparées pour être utilisées pour le Michkan. Yaacov Avinou vit prophétiquement que ses descendants sortiraient d’Égypte et qu’ils recevraient l’ordre de construire un Michkan en bois. Il planta donc des cèdres quand il descendit en Égypte et avant sa mort, il enjoignit à ses enfants – à ses descendants – de prendre les cèdres à leur sortie, parce qu’ils en auraient besoin pour la construction du Michkan.

Le Réem (commentateur de Rachi) pose une question sur ce commentaire de Rachi. Ya'acov Avinou ordonna à ses enfants de prendre les cèdres qu’il avait plantés en Égypte et non des planches de bois. Alors comment peut-on dire que ces planches furent plantées par Ya'acov ; il ne planta pas des planches, mais des arbres !

Rav Issakhar Frand répond : « Quand Ya'acov Avinou planta les arbres, il ne les considéra pas comme des arbres. Il vit en eux les futurs pans du Michkan. Ya'acov déclara, par Roua’h Hakodech : "Un jour, vous prendrez ces arbres et ils seront les planches du Michkan." Ya'acov parvint à voir au-delà du présent, à voir le rêve, la finalité, le futur. »

Quand Ya'acov Avinou regardait les arbres, il voyait concrètement ce qu’ils allaient devenir et il agit de façon à s’assurer que cette vision se réalise. Il était un visionnaire, mais son rêve devint réalité

Rav Yossef Chlomo Kahaneman fut l’un des visionnaires contemporains les plus remarquables. Quand il acheta un grand terrain qui allait devenir la Yéchiva de Poniowitz, le pays entier ne comptait que quelques étudiants en Yéchiva. À son époque, non seulement l’avenir de l’étude de la Torah en Israël était ténébreux, mais la survie même du peuple juif était très menacée ; on était en pleine Seconde Guerre mondiale et l’armée allemande n’était qu’à onze jours de Tel-Aviv ! À cette même période, le Rav de Poniowitz acheta un terrain pour une Yéchiva qui compterait mille étudiants. Les gens lui dirent qu’il fantasmait et il répondit : « Je rêve peut-être, mais avec les yeux ouverts. » Quand il vit le lopin de terre aride, au sommet de la colline, il y voyait déjà la Yéchiva de Poniowitz. Il parvint à visualiser une Yéchiva qui compterait mille étudiants et agit conformément à ce rêve, qui, lui aussi, devint réalité.

Les exemples de Ya'acov Avinou et du Rav de Poniowitz sont édifiants, mais ils peuvent paraitre inatteignables à la plupart d’entre nous. Pourtant il semblerait que la Loi juive exige de s’efforcer à développer cette capacité à visualiser quelque chose et ainsi à le rendre plus concret. Rav Aharon Margalith souligne que chaque année, le soir du Séder, nous affirmons que l’homme est tenu de se considérer comme étant sorti d’Égypte. Il ne suffit pas de penser à la sortie d’Égypte, ni de savoir qu’Hachem nous a libérés de cet exil, sans quoi nous aurions encore été esclaves. Pour atteindre ce but, le soir de Pessa’h, il nous faut nous imaginer sortir véritablement d’Égypte[1]. Ainsi, nous devons travailler et aspirer à être visionnaires.

Rav Margalith raconte une très belle histoire à propos de cette force de la visualisation. Un été, il participa à une colonie organisée par une Yéchiva Kétana[2] et il donna à l’un des jeunes garçons, une méthode pour développer l’anticipation[3]. Il demanda à l’élève, prénommé Zéev, s’il avait déjà envisagé de terminer l’étude du Chass[4]. Le garçon répondit par la négative et le Rav lui conseilla de s’imaginer le jour de son Siyoum, dans les moindres détails – ce qu’il y aurait sur les tables, la réaction de ses parents… Quatre ans plus tard, Rav Margalith reçut une invitation au mariage de Zéev, ainsi qu’à son Siyoum Hachass – il avait effectivement réussi à terminer toute l’étude en quatre ans ! Zéev raconta qu’il était le quatrième garçon de la famille et que malheureusement, ses trois grands frères s’étaient écartés du chemin de la Torah, ce qui mettait en péril son propre avenir – il risquait de suivre leur voie. Mais l’exercice du Rav Margalith fonctionna si bien qu’il motiva Zéev à entreprendre l’étude du Chass. C’est le fait de s’imaginer les larmes que verserait sa mère lors de son futur Siyoum qui l’aida à prendre la ferme décision d’aller jusqu’au bout.

Puissions-nous tous mériter d’utiliser la force de l’anticipation pour atteindre des objectifs qui nous semblent hors de portée.

 

[1] Ce genre de visualisation concerne certes un événement passé, contrairement aux exemples précédents où l’on anticipe le futur, mais l’idée est la même.

[2] Pour les garçons de 13 à 17 ans.

[3] Ce que l’on appelle « Dimyon Hamoudrakh » – littéralement traduit par "imagination guidée".

[4] C’est l’abréviation des mots Chicha Sidré Michna. Ce terme est généralement employé pour parler de l’ensemble du Talmud.