La paracha de Shoftim trouve sa place au début du mois d’Eloul, alors que commence pour chacun d’entre nous le travail de la Teshouva, du repentir. Comme chacun le comprend, il ne s’agit pas d’un travail aisé, car il ne suffit de regretter superficiellement d’avoir fauté pour être acquitté de son devoir. Chacun est appelé à réfléchir profondément aux ressorts de ses fautes et de ses erreurs. Pourquoi en sommes-nous arrivés à fauter ?

Car, faut-il le rappeler, la faute est, certes, inhérente à la fragilité de la nature humaine, mais elle est profondément contraire à la vocation profonde de l’être humain et de sa neshama (son âme). Elle ne peut s’expliquer que par l’altération du jugement de l’homme qui l’amène à penser que son « bonheur », ou son « équilibre » se trouve, D.ieu nous en préserve, en dehors de la loi fournie par D.ieu. Aux yeux de nos Sages, la faute ne peut s’expliquer que par l’emprise d’un esprit de folie (roua’h shtout) sur l’homme qui l’a aveuglé, l’a dupé, lui a fait prendre momentanément le faux pour le vrai.

Nos Sages comparent la situation de l’homme dans ce monde, à celle d’un individu perdu dans un labyrinthe (Messilat Yesharim, Rabbi Moshé ‘Haim Lussato). Ce dernier ne sait pas comment s’orienter, faut-il aller à droite ? à gauche ? Il n’a aucun élément rationnel pour décider, si ce n’est la voix du maître du jeu qui surplombe le labyrinthe et lui donne des indications afin de sortir dans les meilleures conditions de ce dédale. Toutefois, durant sa traversée du labyrinthe, d’autres voix se font entendre, celle de son for intérieur qui souhaite parfois s’affranchir des indications du Maître du jeu, ou celles des autres « joueurs » qui conseillent à l’homme de « meilleurs » chemins, plus courts, plus ensoleillés, moins ardus. L’homme a vite fait de constater, à ses dépens, que ces autres chemins étaient en réalité des voies sans issue. Saura-t-il pour autant se fier uniquement à la voie du maître du jeu ?

C’est dans ce cadre qu’il est possible de lire les développements de notre paracha sur la justice et l’intégrité morale requise pour rendre un jugement. Rappelons les versets de notre paracha « Ne fais pas fléchir le droit, n'aie pas égard à la personne, et n'accepte point de présent corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages et fausse la parole des justes. C'est la justice, la justice seule que tu dois rechercher, si tu veux te maintenir en possession du pays que l'Éternel, ton Dieu, te destine. » (Dévarim, Chap. 16, 19-20)

La Torah nous met ainsi en garde contre les différents écueils qui peuvent amener l’homme à se détourner de la justice, et notamment les pots de vin, les présents corrupteurs qui peuvent faire fléchir l’esprit de justice de l’homme en attendrissant son cœur. 

Cette mise en garde ne s’adresse, en réalité, pas seulement à ceux dont la profession est de « juger » les autres dans un tribunal, mais à chacun d’entre nous qui sommes à amenés plusieurs fois par jour à « juger » et décider des actions que nous allons entreprendre ou non. 

Ce verset nous invite tout d’abord à pas laisser nos désirs ou intérêts personnels nous éloigner de ce que nous devons faire. Or, il s’agit d’un écueil particulièrement fort et difficile à maîtriser, tant l’homme a vite fait de justifier ce qu’il désire faire par de nombreux arguments et raisonnements fallacieux. L’homme est tellement fort à ce « jeu » qu’il en arrive parfois même à transformer une ‘avera (mauvaise action) en mistva (bonne action) tant son imagination est féconde pour justifier l’accomplissement de ses désirs. La Torah vient nous mettre en garde contre cette tentation d’offrir à notre esprit des présents corrupteurs, des arguments fallacieux, spécieux, séduisants dans la forme, mais faux dans le fond, afin de rendre permis l’interdit ou simplement de nous éloigner des chemins porteurs de bénédictions.

Le Rav Israël Salanter, un grand maître du Moussar, va encore plus loin et nous met en garde contre la tentation de transformer la mistva elle-même en un « présent corrupteur ». En effet, l’homme a parfois tellement envie de faire une mistva qu’il se croit autorisé à réaliser de nombreuses autres transgressions, qui peuvent lui sembler mineures, pour réaliser sa mistva. Prenons l’exemple d’un homme qui souhaite prier en minyan (avec une communauté de 10 hommes comme cela est requis en principe) et qui craint d’être en retard. Il peut être si aveuglé par son objectif (bien sûr louable et important) qu’il peut en venir à prendre des risques inconsidérés sur la route pour lui et les autres, se garer n’importe où en mettant en danger les piétons, ignorer les personnes qui auraient besoin d’aide sur son chemin. La mistva est alors devenue une fin en soi qui a altéré, « corrompu » le jugement et l’appréciation des autres situations qui se présentaient.

Inversement, mentionnons cette histoire bien connue d’un jeune étudiant en Yeshiva qui arrivait souvent en retard aux offices du matin à la synagogue. Un jour, un Rav lui demanda des explications sur ses retards répétés. Le jeune homme lui expliqua qu’il partait pourtant tôt de chez lui, mais sur son chemin il entendait les pleurs de sa femme débordée par les cris de ses enfants qu’elle devait préparer seule, et il n’avait pas le cœur de la laisser dans une telle détresse. En dépit de son désir de prier avec le minyan, ce jeune homme avait donc eu la clairvoyance de ne pas se laisser aveugler par cette mitsva, et il avait répondu présent aux autres devoirs qui lui incombaient.

Ou encore, l’histoire de ce jeune homme très pieux qui avait observé un jeune de 40 jours pour mériter la visite d’Eliahou Hanavi. Le soir du 40e jour, alors qu’il s’attendait à accueillir le prophète et s’était isolé dans la synagogue, il entendit taper à la porte. Persuadé qu’il s’agissait d’Eliahou Hanavi, il ouvrit fiévreusement la porte et découvrit un mendiant souhaitant s’abriter de la pluie. Le jeune homme s’excusa poliment expliquant qu’il attendait une visite très importante et confidentielle et qu’il ne pouvait héberger personne…Vous l’avez compris, le mendiant n’était autre qu’Eliahou Hanavi lui-même et il apprit à ce jeune homme qu’il ne faut jamais se laisser « corrompre », aveugler par la volonté de faire une « mitsva », fut-elle d’accueillir le prophète Elie, au point de délaisser la dignité d’un homme. 

Evidemment, il s’agit d’une finesse de l’esprit et d’une hauteur de vue très difficiles à acquérir et à appliquer en permanence. Ces qualités supposent de peser et sous-peser ses actions, ses décisions, ses pensées et ne pas se contenter d’une vue partielle de la réalité qui s’offre à nous ou d’une approche simpliste de l’attitude que l’Eternel attend de nous.

Il n’en demeure pas moins que ce travail est nécessaire afin de pénétrer plus finement dans les subtilités et les nuances de l’éthique, et de comprendre intuitivement comment agir face aux différentes situations « complexes » que l’on peut rencontrer dans la vie. Comme le recommandent les Maximes des pères, la fréquentation d’un maître, ou de compagnons d’études peuvent être de précieux appuis pour affiner sa pensée et savoir comment s’orienter (Rav A. Twerski). En outre, le travail personnel sur la « yirat chamayim » (la crainte du Ciel), c’est-à-dire la volonté de découvrir et d’appliquer la volonté de D.ieu, à travers l’étude de la Torah, la pratique des mitsvot, et la pratique des midot, est fondamental pour ne pas perdre de vue l’essentiel.

Il était ainsi opportun de lire cette paracha au début de ce mois d’Eloul afin de prendre le temps durant ces prochaines semaines de mettre en œuvre une techouva complète qui aborde non seulement les fautes que nous pouvons commettre mais aussi les bonnes actions que nous pourrions améliorer davantage et auxquelles nous pourrions donner encore plus d‘éclat. Eloul est également un mois opportun pour prendre le temps de méditer à la notion de « yirat shamayim » « crainte du Ciel » (Rav D.  Benichou), et essayer ainsi de nous rapprocher de notre Créateur.

Puisse l’Eternel nous permettre d’avancer sur ces voies, et nous inscrire tous dans le livre de la Vie !