« Tu ne dresseras pas de stèle, qu’Hachem, ton D., hait. » (Dévarim, 16:22)

La Torah interdit de construire une stèle (Matséva) pour servir Hachem. On devra plutôt dresser un autel (Mizbéa’h) pour les sacrifices. Étant donné que les Patriarches utilisèrent eux-mêmes des Matsévot dans leur Avodat Hachem[1], pourquoi la Torah les interdit-elle ? Rachi explique qu’à l’époque où la Torah fut écrite, les idolâtres avaient l’habitude d’utiliser les Matsévot pour leur culte, tandis que du temps des Avot, cette pratique n’était pas courante.

Rav Chimchon Raphaël Hirsh propose une explication différente[2]. Il établit tout d’abord les différences qui existent entre une Matséva et un Mizbéa’h. Une Matséva est une pierre dans sa forme naturelle et symbolise le contrôle d’Hachem sur la nature. En revanche, un Mizbéa’h est composé de plusieurs pierres que l’être humain assemble en un tout bien agencé. L’idée exprimée ici est que le but de l’homme n’est pas uniquement de voir Hachem dans la nature, mais de se soumettre à Lui, à travers ses actions. Avec cette introduction, Rav Hirsh précise qu’à l’époque des Avot, avant le don de la Torah, l’individu avait pour tâche principale de reconnaître Hachem dans le monde à travers la nature, mais il n’était pas nécessaire d’agir selon la volonté d’Hachem, car la Torah n’avait pas encore été donnée.[3] Hachem aimait ces Matsévot, parce qu’elles permettaient à l’homme d’atteindre son objectif, mais, après le don de la Torah, il n’était plus suffisant de voir simplement Hachem dans la nature sans vivre conformément à Ses commandements. Dès lors, le Mizbéa’h devint le moyen optimal pour servir Hachem, parce qu’il symbolise la soumission active de l’homme à D. La Matséva est alors devenue une chose détestée par Hachem. En effet, Le reconnaitre dans le monde sans s’engager à vivre selon les lois de la Torah est considéré comme une faute, à Ses yeux.

Celui qui voit Hachem à travers la nature, et qui croit en la Providence divine, accepte deux – parmi les trois – fondements de foi rapportés par le Séfer Ha’ïkarim. Le troisième consiste à croire qu’Hachem nous a donné une Torah à la respecter. Si l’on ne vit pas selon le troisième fondement, même si l’on croit aux deux autres, notre Avodat Hachem est défaillante dans son essence, car le but de l’homme est d’utiliser la foi en Hachem et en la Providence divine et de vivre sa vie selon les instructions d’Hachem, telles la Torah nous le précise.

Cette idée se retrouve dans la Michna de Pirké Avot : « Celui qui marche en chemin en étudiant et qu’il interrompt son étude pour dire : "Quel bel arbre, quel beau buisson…", le Verset considère qu’il met sa vie en danger. »[4] Pourquoi l’émerveillement devant la beauté de la Création est-il si grave, même si l’on interrompt son étude pour ceci ?[5] D’autant que le Rambam affirme que le fait de voir Hachem dans la nature permet d’accomplir la Mitsva de L’aimer et de Le craindre[6]. Cette Michna ne nous enseigne pas simplement la gravité du Bitoul Torah (interruption de l’Étude), car une précédente Michna[7] nous l’apprend déjà.

En réalité, l’étude de la Torah est une façon plus élevée de voir Hachem que l’observation de la nature. Donc, celui qui cesse de voir Hachem par son étude pour Le voir dans la nature fait une erreur, puisque la Torah est le moyen optimal d’en arriver à aimer et à craindre D.

Une autre approche, basée sur le principe évoqué par Rav Hirsh est également possible. L’étude de la Torah est l’un des meilleurs moyens d’accomplir l’aspect « Mizbéa’h » de la Avodat Hachem – agir dans ce monde en exprimant notre conscience de la présence et de la suprématie d’Hachem. Interrompre l’étude pour voir Hachem dans la nature équivaudrait à rejeter l’aspect « Mizbéa’h » de la Avodat Hachem et à retourner au niveau « Matséva » — à savoir, voir Hachem à travers la nature. Le but ultime de cette forme de Avodat Hachem est de mener la personne à agir. Or, dans ce cas, elle fait l’inverse ; elle renonce à l’action et se concentre sur la contemplation de la nature, d’où la gravité de cette conduite.

Rav Hirsh écrivit son commentaire monumental sur la Torah à une époque où les mouvements non orthodoxes prônaient l’acceptation de l’existence d’Hachem, mais rejetaient le respect de la Torah et la pratique de ses Lois. Son message était donc très pertinent. De nos jours également, plusieurs personnes n’émettent aucun doute quant à l’origine divine du monde, mais se montrent bien plus réticentes quand il s’agit de vivre en se conformant aux préceptes de la Torah. Même pour le Juif « pratiquant », l’enseignement de Rav Hirsh est pertinent. Il est assez facile d’effectuer les activités mondaines de notre quotidien sans avoir conscience que chacune d’elles constitue une Mitsva – si elle est faite avec les bonnes motivations. Le fait d’aider sa femme, de payer un chauffeur de taxi, de se montrer honnête dans son travail, voire de traverser correctement la rue[8], peut être compté comme une Mitsva, quand il est effectué avec la bonne Kavana. Mais sans cette dernière, la plupart des actions de la personne n’expriment pas sa soumission à Hachem, même si elle reconnait Sa présence. Ainsi, Rav Hirsh nous enseigne qu’il ne faut jamais oublier que notre objectif doit être d’amener et de voir Hachem dans le monde à travers nos actions.

 

[1] Béréchit, 28:18.

[2] Pérouch Al Hatorah, Dévarim 16:22.

[3] Les Patriarches respectèrent la Torah avant qu’elle ne soit donnée à l’homme, mais ce n’était pas par obligation.

[4] Avot, 3:9.

[5] Certains estiment que la personne regarde la beauté de l’arbre sans réaliser que c’est Hachem qui l’a créé. On comprend alors bien la gravité d’un tel comportement.

[6] Rambam, Hilkhot Yessodé Hatorah, 2:2.

[7] Avot, 3:5.

[8] Ceci correspondrait à l’accomplissement de la Mitsva de préserver sa vie.