« Moché nous a ordonné la Torah ; c’est l’héritage de la congrégation de Yaacov. » (Dévarim 33,4)

La Guémara (Makot 23b-24a) souligne que la valeur numérique du mot Torah est 611. Elle explique qu’il y a 613 Mitsvot dans la Torah ; deux d’entre elles furent données directement par Hachem au peuple juif et les 611 autres furent transmises à Moché Rabbénou qui les enseigna ensuite à la nation.

La deuxième partie du verset semble superflue. Pourquoi le peuple juif est-il appelé « Congrégation de Ya'acov » et non simplement « Bné Israël » ou « Bné Ya'acov » ? Le Ktav Sofer pose cette question. Il répond qu’il est impossible d’accomplir toutes les Mitsvot de la Torah, parce que plusieurs d’entre elles ne concernent que certaines personnes (les Cohanim uniquement, les hommes, etc.). Toutefois, nous savons que chaque Mitsva est liée à une partie du corps humain et pour atteindre la Chlémout (perfection) spirituelle, l’individu doit accomplir toutes les Mitsvot[1]. Comment peut-il y arriver ? Le Ktav Sofer répond que puisque le peuple juif forme un corps spirituel, il peut accomplir toutes les Mitsvot. D’ailleurs, le verset précédant le don de la Torah affirme : « Tout le peuple répondit ensemble et dirent : "Tout ce qu’Hachem a parlé, nous ferons". »[2] Les Juifs montrèrent ainsi que seulement en étant unis, ils pouvaient accomplir toutes les Mitsvot.

Le Ktav Sofer ajoute que c’est la raison pour laquelle la Torah ne pouvait être donnée que quand le peuple était parfaitement uni, « comme un seul homme, avec un seul cœur. » Ce n’est qu’en formant un tout qu’ils pouvaient espérer respecter toute la Torah. C’est ainsi qu’il explique également le fameux commentaire de Rabbi 'Akiva sur le verset « Aime ton prochain comme toi-même » - C’est un grand principe de la Torah. Quand tout le monde est uni et qu’il est donc possible de respecter toute la Torah, on considère que chaque membre du peuple juif a effectué toutes les Mitsvot de la Torah.  

À la lumière de ce principe, il explique pourquoi la Torah emploie ici l’expression « Kéhilat Ya'acov ». Elle fait allusion au fait que si la nation est unie, si elle forme une Kéhila, alors toute la Torah peut être respectée.

Cette unité spirituelle s’exprime quand chacun fait tout son possible pour que son frère juif puisse accomplir au mieux les Mitsvot, même s’il n’en est pas obligé. Dans cet ordre d’idées, le Séfer ’Harédim affirme que le fait d’encourager les Cohanim et les Léviim à respecter leurs obligations revient, pour les Israélim, à participer à ces Mitsvot.[3]

Le principe qui se cache derrière cette idée est donc « Kol Israël Arévim Zé Lazé » — chaque Juif est intrinsèquement lié à l’autre, tous font partie d’une même entité spirituelle.

L’idée que le respect de la Torah de chaque Juif affecte d’autres Juifs s’applique également d’un point de vue négatif, concernant les fautes des autres Juifs. C’est ce que démontre le Taz dans les lois du Vidouï de Yom Kippour rapportées dans le Choul’han 'Aroukh. Parmi les fautes listées, certaines nous sont parfaitement étrangères, alors pourquoi devons-nous les confesser ? Le Taz souligne que les fautes du Vidouï sont énumérées au pluriel. Si la personne qui se repent n’a pas commis cette faute, son frère juif l’a peut-être transgressée ; or les Juifs sont garants les uns des autres[4]. De même, Rav ’Haïm Vital affirme que c’est la raison pour laquelle son maître, le Arizal, récitait le Vidouï intégralement, en dépit de sa suprême vertu, « car si un autre Juif a transgressé cet interdit, c’est comme si lui-même l’avait violé. »[5]

Mais ne sommes-nous pas responsables uniquement des fautes que l’on aurait pu éviter ? Pourquoi sommes-nous fautifs des commandements enfreints, si nous n’étions pas au courant de la situation, ou si nous ne pouvions rien y changer ? Premièrement, même si nous ne pouvions rien faire directement, la faute commise souille, ternit notre âme. Ainsi, chaque faute commise par un Juif, quel qu’il soit et où qu’il soit, nous touche et affecte notre âme, au point de devoir nous confesser. Deuxièmement, il est possible que nous ayons pu empêcher certaines fautes. Si un Juif pratiquant avait pu ramener un Juif laïque à la Téchouva et ainsi éviter de nombreuses fautes, mais ne l’a pas fait, il peut être tenu responsable pour chaque faute que ce dernier commettra. Il est fort probable qu’à un moment ou à un autre, nous ayons été confrontés à ce genre de situation, d’où la nécessité de réciter le Vidouï dans son intégralité, comme si nous avions nous-mêmes mal agi.

Ainsi, l’individu ne peut respecter entièrement la Torah que s’il se considère comme partie du Klal Israël. Il doit donc se montrer lié à son frère juif et tout faire pour l’aider à respecter les Mitsvot. C’est la seule façon d’atteindre la véritable Chlémout.

 

[1] Il fait référence à l’introduction du Chla Hakadoch Al Hatorah, qui détaille ce sujet. Voir également Kiryat Séfer du Malbim, introduction, chapitre 7.

[2] Chémot 19,8.

[3] Séfer ’Harédim, Commandements négatifs dépendants de la Terre, n° 82.

[4] Taz, Ora’h ’Haïm 607,1. Le Rambam propose une réponse différente.

[5] Likouté Torah, Taamé Hamitsvot, Vayikra 19,18.