« Qu’il vive Réouven et qu’il ne meure pas ni ne soit en petit nombre ! Et celle-ci pour Yéhouda… » (Dévarim 33,6-7)

Rachi note que le Verset place Yéhouda juste après Réouven. Nos Sages expliquent que durant les quarante ans passés dans le désert, les ossements de Yéhouda s’entrechoquaient dans son cercueil à cause du Nidouï qu’il s’était imposé, comme il est dit : « J’aurai péché envers toi [Ya'acov] tous les jours »[1]. Moché dit : « Qui incita Réouven à avouer sa faute ? C’est Yéhouda. »

Quand Moché bénit les Tribus, il juxtaposa celle de Réouven à Yéhouda, en disant : « Et celle-ci pour Yéhouda ». Rachi rapporte une Guémara[2] expliquant la connexion entre les deux : quelques siècles plus tôt, Yéhouda promit à son père qu’il ramènerait Binyamin d’Égypte, sain et sauf, sans quoi il serait considéré comme fautif pour le restant de ses jours. Bien que finalement, Binyamin ne fût pas emprisonné, Yéhouda fut sanctionné pour les mots prononcés. Par conséquent, durant le transport des corps des fils de Ya'acov dans le désert, les ossements de Yéhouda s’entrechoquaient, indiquant que ce dernier n’était pas admis au 'Olam Haba.[3]

Moché s’exclamait donc, lors des bénédictions adressées aux Tribus : « Est-ce ceci pour Yéhouda ? » — comme pour dire : « Est-ce vraiment ce que mérite Yéhouda ? »[4] ’Hazal précisent que Moché faisait allusion au mérite de Yéhouda au sujet de Réouven. Ce dernier déplaça la couche de son père et malgré son repentir, il n’avoua jamais sa faute, ne sachant pas que c’était une étape nécessaire à la Téchouva. À la suite de l’incident avec Tamar, Yéhouda se repentit et avoua publiquement sa faute. Quand Réouven vit ceci, il comprit qu’il devait en faire de même.[5] C’est en évoquant ce mérite que Moché apaisa Hachem, parvint à amoindrir les souffrances de Yéhouda et à le faire entrer au 'Olam Haba.

Rav ’Haïm Chmoulevitz[6] demande pourquoi Moché mentionna précisément ce mérite de Yéhouda – celui d’avoir eu une influence positive sur Réouven – et non la Mitsva de Téchouva faite en public, qui, d’après la Tossefta, rendit Yéhouda digne de la royauté. Rav Chmoulevitz répond que l’influence positive d’un acte est plus louable que l’acte lui-même. Quand l’individu accomplit une Mitsva, seule celle-ci est effectuée (et donc comptabilisée) tandis que lorsqu’il incite d’autres personnes à l’émuler, plusieurs Mitsvot sont accomplies grâce à lui.

Rav Chmoulevitz ajoute, à propos du Zikouï Harabim (le fait de rapprocher d’autres Juifs de leur Créateur), un principe de la Guémara[7] affirmant que les Mitsvot ne sont pas récompensées dans ce monde. Les commentateurs expliquent qu’une Mitsva est un acte spirituel et ne peut donc être récompensée que spirituellement, c’est-à-dire dans le 'Olam Haba[8]. Pourtant, la Torah affirme : « Il paie celui qui Le hait à sa face [de son vivant], pour le faire disparaître. »[9] Les Réchaïm reçoivent leur salaire pour les Mitsvot effectuées dans ce monde, afin de ne rien recevoir dans le monde futur. Mais comment peuvent-ils recevoir une récompense pour des Mitsvot – spirituelles – dans ce monde, qui est matériel ?

Rav Chmoulevitz répond que ce principe s’applique bien évidemment à celui qui valorise la Mitsva. Mais celui qui ne pense qu’aux bénéfices matériels des Mitsvot, comme les honneurs ou la richesse que son acte lui procurera, aura une récompense en fonction de son appréciation de la Mitsva. Ainsi, si quelqu’un est prêt à respecter le Chabbath, à moins que cela ne lui occasionne une perte de 100 €, il recevra une récompense de 100 € pour le Chabbath observé. Par conséquent, les Réchaïm qui n’accomplissent des Mitsvot que pour les gains matériels qu’elles apportent, ne peuvent recevoir de salaire que dans ce monde.

Précisons toutefois que ce principe ne s’applique qu’à une Mitsva effectuée par la personne même. Par contre, si elle incite quelqu’un d’autre à faire une Mitsva, le salaire du « Mézaké » (de celui qui donne à l’autre le mérite d’accomplir la Mitsva) ne se limite pas à l’importance accordée à l’action, mais à sa valeur réelle. Le verset chante les louanges du Mézaké Harabim : « Les "Matsdiké Harabim" – Ceux qui rendent justes les autres sont comme les étoiles à tout jamais »[10]. Rav Chmoulevitz explique que leur salaire est éternel et incommensurable. Ceci, parce qu’il n’est pas limité à la valeur attribuée à la Mitsva.

Puissions-nous tous mériter d’émuler Yéhouda et d’inciter d’autres personnes à accomplir des Mitsvot.

 

[1] Béréchit 43,32.

[2] Sota 7b.

[3] Béréchit, chap. 43.

[4] Sifté ’Hakhamim, Dévarim 33,7.

[5] Basé sur Tossefot, Baba Kama 92a.

[6] Si’hot Moussar, Maamar 94.

[7] Kidouchin 39b.

[8] Parfois, la Torah ou ’Hazal affirment explicitement que les Mitsvot sont récompensées dans ce monde, mais c’est pour des raisons particulières, comme pour permettre à l’homme d’en accomplir d’autres.

[9] Dévarim 7,10.

[10] Daniel 12,3.