La paracha Metsora nous donne l’opportunité de revenir à nouveau sur la question évoquée la semaine dernière relative à la « tsara’at », la « lèpre » qui venait sanctionner sept fautes selon les Sages du Talmud (Arachin, 16a), et notamment la médisance sur autrui.

Comme nous le voyons dans notre paracha, cette plaie pouvait atteindre soit les pierres de la maison d’un individu, soit ses vêtements, soit sa personne elle-même. Tout dépendait en réalité de la clairvoyance de la personne affectée par la tsara’at, et si elle était capable de réagir en faisant techouva rapidement. La miséricorde de l’Eternel évite toujours d’affecter l’homme directement, elle préfère lui laisser l’opportunité de comprendre son erreur à partir de certains signes qui lui permettront de s’amender et d’éviter d’être touché trop violemment.

C’est précisément la raison pour laquelle la « tsara’at » touchait en premier lieu la maison, ou encore les vêtements, afin que la personne visée comprenne qu’elle doit accomplir une introspection afin d’identifier certaines fautes et entamer un processus de teshouva. Toutefois pour y parvenir, il fallait que la victime de ces lésions ait une certaine clairvoyance, une certaine lucidité pour être capable de lier les évènements entre eux, prendre du recul sur ce qui lui arrive et s’interroger sur son comportement. Celui qui opposait à ces manifestations surprenantes une surdité et un aveuglement, « obligeait » la providence à transférer la lèpre des pierres de sa maison à ses vêtements, et de ses vêtements à son propre corps.

Voilà donc une première vertu que nous enseigne notre paracha : la clairvoyance et l’éveil aux signes que la providence nous envoie. Il s’agit en effet d’une grande bénédiction que d’être capable de percevoir au-delà de la succession des évènements matériels un message divin. Bien souvent, l’homme traverse sa vie sans s’interroger sur le bien-fondé de ses choix, de ses paroles, de ses décisions.

Il s’interroge, au mieux, épisodiquement sur ses grands choix de vie : sa vie personnelle, son désir d’enfant, les grands principes d’éducation qu’il souhaite transmettre, son évolution professionnelle. Mais rares sont ceux qui questionnent leurs choix du quotidien : leur manière de parler, leurs jugements sur autrui, leur générosité, leur sollicitude vis-à-vis des personnes malades, seules…

Encore plus rares son ceux qui questionnent leurs « bonnes actions » !

  • J’ai prié, certes, mais comment ai-je prié ? A quoi ai-je pensé ?
  • J’ai donné de la Tsedaka, certes, mais avec quelle intention, avec quel souci réel de l’autre ?
  • J’ai éliminé le ‘hametz de chez moi, certes, mais l’ai-je éliminé de mon cœur ?
  • « Pour moi, les mitsvot, c’est une seconde nature ! » Certes, c’est très bien. Mais ressens-tu à chaque fois le lien qui t’unit à l’Eternel lorsque tu les accomplis ?

Or, précisément, nos Sages nous enseignent à être non seulement vigilants à nos mauvaises actions, mais aussi à être exigeants avec nos bonnes actions, afin de les raffiner davantage et retirer les composantes négatives qu’elles peuvent comporter (banalisation du sacré, orgueil personnel, exercice formel des mitsvot sans y mettre son cœur, indifférence, insensibilité…) (R.M.H Luzzato, Le sentier de la rectitude)

La Torah nous invite ainsi à travailler notre exigence morale, à essayer de la raffiner en permanence. Elle prône, pourrait-on résumer, un art du scrupule. Et c’est probablement en ce sens que l’on peut lire ce proverbe du Roi Salomon "Ashrei Adam mefahed tamid; oumakeshei libo yipol bera’a." « Heureux l’homme qui a toujours des « scrupules », et qui empêche ainsi son cœur de fauter »

C’est ainsi que l’homme est invité à développer en lui un questionnement sur ses actions, à conserver une exigence morale ambitieuse, en développant un certain sens du scrupule.

 Ai-je bien agi ? Comment aurais-je pu agir autrement ? Ai-je bien jugé autrui ? Comment lui trouver un mérite ? Comment renforcer ma relation avec lui, même si je n’en ai pas spécialement envie ? Je suis content de moi, mais ne puis-je pas faire mieux, faire plus ? N’aurai-je pas pu accomplir cette bonne action d’une manière encore plus belle moralement ?

Lorsque l’homme cultive ce type de dialogue avec lui-même, il pénètre une dimension particulièrement profonde de son identité où il découvre l’infini de ses ressources et les trésors que l’Eternel avait enfouis dans son âme.

Là où l’on se contentait d’accomplir une mitsva, on découvre comment la faire briller davantage, comment lui donner une épaisseur, comment lui permettre de modifier mon être et de rayonner dans ma vie.

Ce n’est pas un hasard si cette paracha est lue durant ce shabat qui précède la fête de Pessah, et certains rapprochements semblent s’imposer à nous.

Tout d’abord, la lèpre qui frappait les maisons, les vêtements et les corps, n’est pas sans nous rappeler le ménage que nous accomplissons ces jours-ci où nous veillons à éliminer tout ‘hamets de nos demeures, de nos poches avant de mettre un terme à sa consommation.

Mais, il est possible de pousser la comparaison encore plus loin car la lèpre comme le ‘hamets sont les symboles de traits de caractère négatifs qui s’invitent parfois en nous et qu’il convient de chasser de notre esprit et de notre cœur.

Comme nous l’avons vu, la lèpre peut être liée à différentes fautes, et notamment à la médisance. Mais nos Sages s’accordent pour considérer que la racine de ces fautes se trouve dans l’orgueil qui empêche l’homme de considérer favorablement son prochain, comme s’il allait lui porter de l’ombre. C’est ainsi que le Cohen devait dire au metsora « Mon fils, va examiner tes actes afin de t’améliorer car ce type de lésions ne provient que de l’orgueil » (Tossefta, Negaim 6.6, rapporté par Rav Y. Galinsky)

De même, le ‘hametz se caractérise par le principe d’une fermentation, c’est-à-dire d’une maturation qui conduit une pâte à enfler progressivement. Nos sages voient dans le ‘hamets une métaphore de ce qui enfle dans le cœur de l’homme, et notamment l’orgueil.

L’orgueilleux est désigné dans notre tradition par le terme de « gasout harouah » (esprit grossier, enflé). Il se caractérise par une confiance absolue en lui-même et une prétention démesurée. Il se perçoit comme supérieur à ses proches, et est incapable de s’ouvrir aux leçons qu’il peut recevoir de l’extérieur. Il voit les autres comme inférieurs à lui-même, et il a même tendance à vouloir les écraser ou les dominer.

Nos Sages sont très sévères avec ce type de comportement, et ils considèrent que l’orgueil est un défaut majeur, un des plus graves. L’orgueilleux est insensible à toute techouva, à toute introspection, à tout retour sur lui-même.

Voilà pourquoi, aussi bien notre paracha que la fête de Pessah’ qui approche nous invitent à travailler une deuxième vertu : l’humilité.

Cette dernière se dit « anava » en hébreu et elle présente la même valeur numérique que le mot « matsa »

La matsa présente un aspect très simple, modeste, elle est même qualifiée de « pain du pauvre ». Cette simplicité est prise en exemple dans notre tradition pour nous indiquer la simplicité dont l’homme doit faire preuve notamment sa vie spirituelle.

En effet, l’humilité n’est rien d’autre qu’une condition préalable à la sagesse et à la compréhension. Elle incarne une disposition d’esprit qui amène à l’homme dans une recherche permanente de perfectibilité, il se sait faillible et dès lors, il est en quête de tout ce qui pourrait l’améliorer. L’homme doué de cette qualité reconnaît dans chaque individu une part de vérité, il puise en chacun un enseignement dont il peut s’inspirer.

En outre, l’humilité prédispose l’homme à se soumettre à la volonté divine. Cette soumission consiste à mettre en suspens son raisonnement personnel, ses calculs, sa logique afin de pouvoir accomplir librement la volonté de D.ieu. Nos Sages désignent cette disposition du cœur de l’homme sous le terme de « bitoul » ou « annulation » de soi. C’est également ce terme qui désigne la procédure d’annulation du ‘hamets la veille de Pessah, le 14 Nissan.

Nous pouvons y voir une invitation faite à l’homme de répliquer dans son cœur l’annulation de toute forme de ‘hamets afin de pouvoir y accueillir la volonté de D.ieu.

La semaine prochaine, lors du seder de Pessah, une force spirituelle particulièrement forte traversera la monde, susceptible d’aider chacun à se libérer de son « hamets » intérieur, de toute forme d’asservissement, à l’image de ce qui eut lieu lors de la sortie d’Egypte. Puissions-nous, avec l’aide d’Hachem, nous préparer à la fois matériellement et spirituellement à accueillir cette force et l’orienter vers nos aspirations les plus profondes.