Avec la paracha de cette semaine, nous ouvrons le quatrième livre de la Torah, le livre de « Bamidar » ou « Les nombres » en français. Et, de fait, ce livre débute par l’énumération très précises des enfants d’Israël.

Ce n’est pas la première fois que la Torah procède au recensement des enfants d’Israël et Rachi nous donne l’explication suivante : « Parce qu'ils (les enfants d'Israël) lui sont chers, Dieu les compte souvent. Il les a comptés lorsqu'ils étaient sur le point de quitter l'Égypte. Il les a comptés après le veau d'or pour établir combien il en restait. Et maintenant qu'Il était sur le point de faire reposer Sa présence sur eux (avec l'inauguration du sanctuaire), Il les a comptés à nouveau. » (Rachi, Bamidbar 1. 1)

C’est ainsi par affection nous dit Rachi que l’Eternel compte le peuple d’Israël, un peu comme un père qui compte ses enfants et vérifie que personne ne manque à l’appel.

C’est ainsi que le souci que D.ieu manifeste à l’égard du peuple peut s’appréhender à travers deux angles différents : d’une part guider le peuple dans son ensemble, fixer des lois, commandements qui s’imposent uniformément à tous, et d’autre part, faire place à chaque individu, reconnaître le caractère singulier de chaque être humain.

A cet égard, on peut noter que la cellule familiale, notamment dans les familles nombreuses, est confrontée à la même problématique : fixer un cadre de vie collectif avec des règles, tout en se préoccupant des besoins individuels de chacun.

Aussi, il est intéressant de noter le verbe employé par la Torah pour évoquer le dénombrement du peuple : « Séou Ete Roch » ou encore « Nasso » la semaine prochaine signifie « dénombrer » dans ce contexte mais il veut dire en principe « lever » comme si on demandait à celui qui dénombre le peuple de « lever » la tête de chacun. Rav J. Sacks fait remarquer que l’hébreu aurait d’autres racines plus naturelles pour désigner un compte (Lisfor, Limnot, Lifkod…).

En réalité, cette image élégante et chaleureuse pour désigner un « compte » arithmétique, un dénombrement froid nous rappelle avec finesse que notre tradition répugne à compter des individus, à associer un numéro à des êtres humains.

Il n’est pas besoin de s’étendre sur cette idée, l’histoire encore récente a montré combien cette vision de l’humanité était porteuse d’un mépris pour la dignité des êtres humains. Elle caractérise les régimes dictatoriaux et totalitaires qui cherchent à niveler les individus, qui raisonnent en termes de « masse » plutôt qu’en termes « d’individus », afin d’assoir un pouvoir, une force que rien ne saurait entraver. L’individu y est perçu comme un moyen au service d’une fin jugée supérieure. L’individu n’est toléré que s’il se soumet à l’idéologie dominante, aucune tête ne doit dépasser, aucune idée originale ne doit venir la contrarier.

Le champ lexical employé par la Torah vient donc s’inscrire en faux contre cette vision dégradante et méprisante de l’humanité.

« Séou Ete Roch » nous demande le texte biblique :  « lève la tête », « lève la tête de chaque individu », quel que soit sa tribu, quelle que soit sa position sociale, « lève lui la tête », « rappelle-lui son éminente dignité ».

La Torah nous rappelle ainsi avec force que ce qui caractérise une femme ou un homme, c’est avant tout son unicité, sa singularité. Non seulement, chaque homme est porteur d’une histoire, d’une culture, d’une éducation et d’une sensibilité qui le rendent unique, mais, en outre, il est porteur d’une Néchama, d’une âme à nulle autre égale.

C’est précisément cette idée qui traverse l’ensemble de la Torah.

C’est le cas notamment dans le livre de Béréchit qui mentionne la création de l’homme « à l’image de D.ieu », soulignant ainsi que de même que D. est unique, de même chaque être humain est unique. Il porte en lui une parcelle unique et irremplaçable de la divinité, nul ne peut se substituer à lui sur terre.

C’est la cas également dans le livre de l’Exode où l’Eternel ordonne à Moïse de s’exprimer en ces termes à l’Eternel « Alors tu diras à Pharaon : "Ainsi parle l'Éternel : Israël est le premier-né de mes fils" » « Ko Amar Hachem Béni Békhori Israël ». Ces mots peuvent s’entendre de la manière suivante : « Chacun des Bné Israël compte à Mes yeux comme un fils, comme mon « Békhor », mon aîné, comme un fils unique à nul autre semblable. »

Cette idée d’une filiation entre l’homme et le Maître du monde est lourde de sens, d’honneur, et de responsabilité. Même s’il nous est difficile de comprendre son sens profond, ce lien nous rappelle que la dignité de chaque homme est infinie, et que les espoirs que le Boré 'Olam, le Maître du monde, a placé en chacun de nous, sont immenses.

Nous sommes probablement invités à notre tour, à adopter une approche semblable à l‘égard de nos enfants, et donner à chacun l’attention et l’importance qu’il mérite, en reconnaissant sa singularité.

Les parents ont ainsi cette éminente responsabilité de permettre à chacun de leurs enfants de relever la tête, en leur faisant prendre conscience de leur éminente dignité devant l’Eternel, en leur permettant de dévoiler les trésors enfouis dans leur âme, en leur permettant de faire éclore leur identité et leur bonté.

Puisse l’Eternel nous permettre de progresser dans cette voie !