« Rabbane Gamliel, fils de Rabbi Yehoudah Hanassi dit : "Il est bon de concilier l’étude de la Torah avec le Dérekh Erets, car leurs efforts associés occultent [la tentation de] la faute ; et toute étude de la Torah qui n’est pas accompagnée d’un travail est vouée à la perte et entraîne la faute." »

Deuxième partie

Dans la section précédente, nous avons relevé qu'un certain nombre de commentateurs expliquent que d'après la Michna, il est nécessaire de passer du temps à étudier la Torah, mais aussi à gagner sa vie – la raison principale pour laquelle il est nécessaire de gagner sa vie est d'éviter à l'homme de sombrer dans la pauvreté et le risque corrélatif qu'il pourrait avoir recours à des moyens interdits, comme le vol, pour survivre.  

Comme nous l'avons mentionné, Rabbi Chimon bar Yo'haï et Rabbi Ichmaël n'étaient pas d'accord à ce sujet : Rabbi Chimon tenait qu'un homme doit consacrer tout son temps à l'étude de la Torah et avoir du Bita'hon (confiance) en Hachem qui subviendra à ses besoins. Rabbi Ichmaël soutenait en revanche que l'homme doit consacrer du temps à travailler afin de subvenir à ses besoins. La Guémara précise que l'approche de Rabbi Ichmaël est plus adaptée à la majorité, certainement du fait que la majorité d'entre eux n'ont pas le niveau de Bita'hon requis pour vivre de manière à ne faire aucune Hichtadlout pour gagner leur vie.

Or, il est important de connaître un certain nombre de points traités par les commentateurs qui expliquent l'avis de Rabbi Ichmaël. Cette même Guémara souligne que même d'après Rabbi Ichmaël, il convient essentiellement de mettre l'accent sur l'étude de la Torah et de passer un minimum de temps à gagner sa vie. La Guémara dit : « On ne doit pas faire de son travail un Kéva (un moment fixe), mais ce doit être un moment d'Araï (non-fixe), tandis que l'étude de la Torah doit être fixe. » Le Michna Broura explique que la Michna nous demande de ne pas placer toute notre attention sur le travail, parce que Hachem subviendra à nos besoins et s'assurera que le travail que nous effectuons rapportera suffisamment pour gagner notre vie et nous permettre d'étudier avec Ménou'hat Hanéfech (sérénité).   

Comment l'homme peut-il déterminer combien de temps passer à travailler, et combien de temps consacrer à l'étude de la Torah ? Il convient, d'après les lois ordinaires de la nature, de travailler des horaires standards dans le domaine où on exerce une activité. Par exemple,  s'il est normal de travailler huit heures par jour, le fait de travailler ce nombre d'heures ne sera pas considéré comme une Hichtadlout excessive, mais travailler davantage sera considéré comme excessif, aux dépens de l'étude de la Torah. En effet, retenons qu'on ne gagnera rien à travailler davantage, car au final, la subsistance de l'homme est déterminée par Hachem et nous travaillons uniquement par suite du décret imposé à l'homme suite à la faute d'Adam Harichon (que l'on nomme Gzérat Hichtadlout). En conséquence, le fait de travailler plus que ce qui a été requis par ce décret ne portera pas de fruit.

Il est également important de noter que les commentateurs nous enseignent que plus un homme a de Bita'hon, plus Hachem subviendra directement à ses besoins, et moins il en a, plus il sera soumis à la Gzérat Hichtadlout. En conséquence, plus on étudie des ouvrages de Moussar (éthique juive) comme le 'Hovot Halévavot qui évoque longuement la notion de Bita'hon, plus on intériorise le fait que notre subsistance provient de Hachem.  Dans de tels cas, l'homme découvrira peut-être que même s'il travaille moins que c'est ce qui est d'usage dans sa profession, il ne sera pas perdant si au lieu de cela, il consacre ce temps supplémentaire à l'étude de la Torah. En effet, de nombreux hommes qui travaillent attestent que lorsqu'ils ont réduit leur temps de travail afin d'ajouter du temps à leur étude de la Torah, ils n'ont pas été perdants, et en réalité, ils ont souvent plus réussi dans leur travail.

Un homme d'un très haut niveau de Bita'hon est capable de vivre selon l'approche de Rabbi Chimon, et ne risque pas de souffrir des effets néfastes de la pauvreté en raison de son manque de travail, car il sait que Hachem subviendra à ses besoins sans aucune Hichtadlout. Comme l'affirme la Guémara, ce niveau dépasse la majorité des gens, mais c'est un niveau qu'il faut viser à atteindre à petits pas, même si on ne l'atteindra probablement jamais.  

L'illustre Alchikh a donné un jour un discours dans la communauté où il était Rav, et il expliqua que si un homme fait entièrement confiance à Hachem pour subvenir à ses besoins, il n'a pas besoin de travailler du tout et Hachem lui accordera sa subsistance. La plupart des fidèles ne prirent pas particulièrement à cœur ces propos, mis à part un simple Juif. Il gagnait sa vie grâce à son âne, mais après avoir écouté les propos du Alchikh, il vendit immédiatement son âne, utilisa les fonds de la vente pour vivre, et consacra son temps à des activités spirituelles. Peu de temps après, l'argent de la vente de l'animal commença à s'épuiser et son épouse se mit à exercer des pressions sur lui : que feraient-ils lorsqu'ils n'auraient plus du tout d'argent ? L'homme répondait à chaque fois que si le Alchikh avait promis que Hachem subviendrait à ses besoins, alors il n'y avait rien à craindre. Alors qu'il ne lui restait presque plus rien, son ancien âne retourna au domicile de son ancien maître, chargé de bijoux précieux. Apparemment, le non-Juif qui avait acquis l'âne était vendeur de bijoux et chargeait l'animal de bijoux, mais cet homme mourut subitement. L'âne, chargé de bijoux, retourna instinctivement vers le domicile de son propriétaire, lui procurant une richesse qu'il n'aurait jamais imaginée. La foi pure de l'homme avait été justifiée. En entendant cette histoire, les élèves du Alchikh lui demandèrent pourquoi ils n'avaient pas bénéficié d'une telle aubaine. Il leur répondit qu'ils ne croyaient pas de manière sincère que Hachem pourrait les faire vivre de la même manière que cet homme, et ils n'ont donc pas mérité une telle Providence divine.

Cette histoire nous enseigne que plus on a de Bita'hon, plus on pourra se focaliser sur des poursuites spirituelles, et moins on aura besoin de travailler. C'est certes un niveau élevé, mais auquel il faut aspirer.