L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.

Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.

Résumé de l’épisode précédent :

La libération est de plus en plus palpables pour les esclaves Hébreux. La quiétude semble retrouvée pour le prince Ankhéfènie qui a retrouvé Eliakoum et sa flame de jadis. Si Tamar, la mère d’Eliakoum a quitté ce monde, épuisée par des décennies d’esclavage, elle est partie rassérénée et apaisée en retrouvant son fils bien aimé.

L’Egypte ressemblait de plus en plus à une grande ruine. De féroces bêtes sauvages s’étaient déchainées dans tout le pays, ne laissant derrière elles que chaos et désolation. Les dépouilles de certains malchanceux gisaient sur le sol, infestées de vers et entourés de vautours. Les baraquements étaient abîmés, parfois totalement détruits, les échanges maritimes avait complètement cessé entre l’Egypte et ses partenaires commerciaux, mais Pharaon s’entêtait toujours à ne libérer le peuple hébreu sous aucun prétexte. Les pays voisins prenaient soin de rester bien à l’écart de l’Empire. Ils avaient peur d’être contaminés eux aussi par les mêmes bouleversements, d’ailleurs Pharaon ne demandait d’aide à personne, interdisant même aux scribes de retranscrire le moindre récit relatant la situation dans le pays. Des brigades étaient chargées d’épier les scribes pour s’assurer qu’ils ne laissent pas transparaître la moindre fuite. Le pays était placé en quarantaine.

Cependant, quelques paysans, dont le régime ne s’imaginait pas qu’ils puissent être lettrés, firent les récits des terribles catastrophes qui s’abattaient sur leurs pays. Ipou-Our[1] était l’un d’entre eux. Il décrivit le cœur lourd les bouleversements qui submergeaient sa civilisation depuis des mois. Son récit relatait les plaies qui s’abattaient sur l’Egypte, sans toutefois en comprendre l’origine car le gouvernement faisait tout pour dissimuler les avertissements préalables de Moché et Aharon. Une politique de matraquage massive avait été mise en place par les membres du conseil pour détourner le peuple des annonces retentissantes dans le pays.

Ipou-Our était le fils de Pakhémétnou le vieux scribe. Son père ne lui avait jamais parlé de son expérience avec les hébreux, il souhaitait l’épargner tant que possible de la politique du royaume. Pakhémétnou avait enseigné à son fils l’art de l’écriture qui était peu courant en Egypte, il lui avait fait jurer de ne révéler ce secret à personne, car le gouvernement l’aurait immédiatement enrôlé dans ses rangs.

Ipou-Our était berger autrefois, mais les plaies qui s’abattirent sur l’Egypte l’avaient privé de tout son bétail… Il était décidé à user de son art pour relater les événements dont il était témoin pour qu’ils ne s’oublient pas. Il écrivit sur l’un de ses papyrus les catastrophes qui frappèrent successivement l’Egypte, empruntant sans même s’en rendre compte les mêmes voies que son défunt père. Sous sa plume, il décrivit la situation avec douleur et effroi. « La terre est couverte de plaies, il y a du sang partout… Nos eaux sont-elles toutes infestées ? Tout est en ruine, qu’allons-nous faire ? Les arbres sont brisés, on ne trouve ni fruits ni légumes… Des animaux sauvages cassent nos maisons, les gens sont barricadés dans leurs abris. L’Egypte autrefois fière n’est plus qu’une ruine dégarnie…

Voici maintenant que le bétail meurt… les bêtes tombent les unes après les autres. Seules ceux qui ont rentré leurs bêtes chez eux les ont sauvé. Qu’allons-nous faire ? Personne n’ose sortir de chez soi. Des crieurs du Pharaon arpentent les rues en martelant à tue-tête : ” Egyptiens ! Pharaon vous somme d’être loyaux à la cour, l’Egypte est en état de crise. Egyptiens ! restez dans vos maisons jusqu’à ce que le Pharaon vous secoure…”

Après quelques semaines de calme, une nouvelle plaie s’abat sur nous. Nous sommes tous contaminés par la lèpre… je peine à écrire ces quelques lignes, mais je le dois… ma femme est mourante, je ne sais pas si elle s’en sortira. Les gens crient dans les rues qu’il faut libérer les hébreux… Tout est de leur faute. Leur D.ieu se venge sur nous !

J’écris ce que mes yeux voient, du feu tombe du ciel ! Le palais de Pharaon est détruit, les maisons sont en flammes… D’où vient ce feu ? Pourquoi les dieux ne nous aident-ils pas… ? Les gens continuent de crier dans les rues qu’il faut libérer les hébreux !

Les champs sont infestés de sauterelles, il y en a partout… le bruit est infernal. Que restera-t-il de notre pays ? Nous ne survivrons pas. Je le dis moi aussi : libérez les hébreux !

J’écris après ce que nous avons vécu… des ténèbres opaques… on ne pouvait même plus bouger… La population devient folle, les gens déambulent dans les rues comme des morts… On dit que chez les hébreux beaucoup de gens sont morts cette fois-ci. Les gens ne comprennent plus… C’est le chaos. »

Goshen, qui depuis des mois vivait un halo de paix, était cette fois prise elle aussi dans la tourmente. La plaie d’obscurité qui avait duré trois jours fit des milliers de morts parmi les hébreux. Chaque maison dénombrait ses morts, qui ne se relevèrent pas de cette nuit sanglante. Le Rav Aboulkabat avait averti le peuple que cette plaie serait différente des autres, elle avait pour but de sélectionner ceux étant prêts à abandonner l’idolâtrie égyptienne. Les autres, s’ils ne se repentissaient pas, trépasseraient avec les ennemis dans la vague des ténèbres obscurs. Des gens, dont on ne soupçonnait pas le péché, périrent sous les yeux de leurs familles impuissantes. Le peuple tout entier comprit alors que la liberté était conditionnée par le dévouement total à D.ieu…

Des obsèques confus avaient lieu un peu partout dans Goshen. On essayait de formuler des oraisons funèbres élogieuses à ces gens que la Providence divine définit comme de profonds mécréants. Le Rav Aboulkabat décida de prononcer une oraison funèbre générale pour tous ses défunts dont le statut restait flou pour le reste de la population.

« Mes chers frères et sœurs, aujourd’hui nous assistons à une nouvelle ère, celle où nous devons servir D.ieu de tout notre être. Nos frères ont succombé aux affres de l’empire égyptien, ils avaient dans leur cœur la profonde conviction que les divinités égyptiennes sont celles qui maîtrisent la création, réfutant secrètement la foi en un D.ieu Unique. Malgré les prodiges opérés sous leurs yeux par Moché, ils s’entétèrent à croire que tout cela n’était que mirage et que l’Egypte était le lieu dans lequel ils préféreraient demeurer, reniant la foi de nos pères. D.ieu se montre intraitable vis-à-vis de gens à qui Il montre Sa suprématie et Son existence face aux immondices de l’Egypte et qui le renient tout de même dans leur cœur. Mes chers frères et sœurs, nous ne pouvons pas juger nous-mêmes de la pureté du cœur de nos frères, mais nous pouvons prendre leçon du châtiment qu’ils ont subi pour nous guider dans la voie de l’Unicité de D.ieu afin que leur mort ne soit pas vaine. »

Parents, époux et enfants pleurèrent en silence la perte de leurs proches, dont ils peinaient à comprendre les convictions. Comment ont-ils pu renier D.ieu alors qu’Il se révélait à eux ?

Ankhéfènie se tenait au milieu de la foule en larme, il porta son regard sur son ami Eliakoum dont il connaissait désormais la valeur du repentir. Eliakoum était pleinement revenu à la foi de ses ancêtres.

« Viens, Ankhéfènie », dit le Rav Aboulkabat tout en l’entrainant vers leur tente d’étude.

Une fois installé, le Rav entama.

« Ta formation touche à sa fin, tu dois au plus vite aller te tremper dans les eaux du Nil. »

« Mais la garde me cherche partout depuis des mois, et ils sont postés le long du Nil ! »

« Je sais, Ankhéfènie, je sais… Les soldats de ton père s’entêtent encore à fouiller Goshen une fois par mois dans l’espoir de t’y trouver… »

Ankhéfènie ajusta son capuchon sur la tête par mesure de sécurité.

« Que pouvons-nous faire dans ce cas-là ? »

« Nous nous y rendrons demain soir lorsque Moché et Aaron formuleront leur ultime avertissement… mais attention, Ankhéfènie, nous n’avons pas le droit à l’erreur, car à minuit précise il sera déjà trop tard... »

 

[1] Ipou-Our est un personnage historique. Il est connu pour son fameux papyrus relatant une partie des dix plaies. Ce papyrus est daté par les historiens de l’époque de la sortie d’Egypte. Pour les besoins du récit, le texte d’Ipou-Our a été ici largement romancé. Plus d’informations sur la papyrus d’Ipou-Our ici.