L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.

Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.

Résumé de l’épisode précédent :

Neuf terribles plaies se sont déjà abattues sur l’Egypte, ne laissant plus place au moindre doute quant au caractère divin de l’intervention. Mais Pharaon s’entête encore, pendant que les Hébreux se préparent à la liberté, en particulier Eliakoum et le Rav Aboulkabat. Mais qu’adviendra-t-il d’Ankhéfènie, l’ex prince Egyptien, premier né de l’une des femmes de Pharaon ?

L’atmosphère était électrique cette nuit-là en Egypte. A Goshen, les préparatifs se hâtaient, les hébreux avaient reçu l’ordre de peindre les poteaux et linteaux de leurs maisons avec le sang d’un agneau mâle qu’ils devraient ensuite consommer dans la soirée. Ce rituel avait pour but de distinguer leurs maisons afin de les préserver de l’ultime plaie qui s’abattrait ce soir-là sur l’Egypte : la mort des premiers-nés.

Moché l’avait annoncé quelques jours auparavant d’une voix qui retentit dans tout le pays. A minuit précisément, tous les premiers-nés du pays, ceux de l’homme comme ceux de l’animal mourront si Pharaon ne venait pas à libérer les hébreux. Des émeutes éclatèrent aussitôt dans tout l’empire. Les premiers-nés d’Egypte manifestaient leur colère devant le palais de Pharaon et de violentes échauffourées eurent lieu face aux membres de la garde impériale. Des bidons d’huile flambaient aux abords du palais pendant que les révoltés vandalisaient partout les statues érigées à l’effigie du Pharaon. On entendait scander dans toute la capitale « Libérez les esclaves, libérez-les ! »

Pendant ce temps-là, à Goshen, les gens se hâtaient, les femmes amassaient leurs affaires dans des sacs de fortune, les jeunes hommes accompagnaient leurs pères pour le rituel des sacrifices. La ville était en effervescence. Les hébreux avaient encore du mal à croire que le moment qu’ils avaient tant espéré était enfin arrivé : la liberté. Enfin ! Après des années d’un exil éreintant, la prophétie se réalisait…

L’atmosphère était tendue, les gens pressés, c’était une véritable course contre la montre qui se jouait ce soir-là. Chaque famille devait avoir peint les linteaux de sa maison avec le sang d’un agneau, et consommé sa viande rôtie au feu jusqu’à minuit, pas une minute de plus. Les hébreux avaient reçu l’ordre de manger leur repas habillés, fin prêts à prendre la route. L’excitation était à son comble. 

Alors que tout le monde finissait les derniers préparatifs, Rav Aboulkabat et Ankhéfènie discutaient ensemble de la meilleure marche à suivre pour procéder à la dernière étape de la conversion d’Ankhéfènie – le bain rituel. 

« Je connais une plaine qui nous guidera juste devant la partie sud-ouest du Nil… elle n’est pas très loin de Goshen », dit le prince en dessinant sur le sol terreux de la tente un croquis du Nil et de ses alentours.

« Cet endroit est généralement gardé par des officiers qui seront certainement occupés avec les émeutes en face du palais. »

« Très bien. C’est donc là que nous nous rendrons. Nous devons faire vite », dit le Rav.

« Je vous accompagne », dit soudain Eliakoum qui fit irruption dans la pièce.

« Il n’en est pas question, Eliakoum, tu es un premier-né, et tu y risquerais ta vie », rétorqua sèchement le Rav.

« Mais, Rav… »

« Il en est hors de question, Eliakoum, ta place est avec ta famille ce soir ! » Le ton du Rav ne laissait pas place à la discussion.

« Nous partons tout de suite », conclut le Rav.

Ankhéfènie regarda son ami avec tendresse. « Ne t’en fais pas, je suis sûr que tout se passera bien… »

« Je l’espère de tout mon cœur, prince de Goshen... »

Ils s’enlacèrent avec vigueur. Puis les deux hommes sortirent de la tente d’un pas rapide.

Il faisait frais ce  soir-là. Le ciel s’assombrissait de plus en plus, laissant apparaître les milles et une étoiles étincelantes qui éclairaient le chemin des deux hommes en vadrouille. Ankhéfènie était méconnaissable sous son capuchon noir et sa longue barbe raide, ses cheveux avaient poussé et il était habillé à la façon des hébreux. Il ne manquait plus que le bain rituel pour qu’il fasse définitivement partie du peuple qu’il chérissait. Le moment tant attendu allait enfin se réaliser. Ankhéfènie serait un des leurs. 

Les deux hommes longèrent la plaine aride apercevant au loin le fleuve.

« Voilà, nous y sommes presque, Rabbi », murmura Ankhéfènie.

Le Rav estima qu’ils étaient dans les temps, ils avaient en tout et pour tout une heure.

Le prince scruta les alentours du haut de la plaine, il n’y avait rien à signaler, l’endroit était désertique. On entendait le son des combats entre des civils et la garde royale au loin, mais ici tout était parfaitement calme.

« Venez Rabbi, la voie est libre »

Il saisit la main du Rav pour l’aider à descendre de la colline. Le Nil était juste devant eux.

« Souviens-toi Ankhéfènie, tu dois entrer totalement dans l’eau, sans l’entremise de tes vêtements », dit le Rav qui se tenait à quelques pas de son élève.

« Oui, je me souviens Rav », répondit-il, le sourire aux lèvres.

Il enlevait son haut, lorsque soudain il fut saisi d’une violente paralysie. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait. Il ne parvenait plus à bouger les bras… Il peina pour tourner sa tête vers le Rav, lui aussi totalement immobile.

Il commençait à ressentir une douleur aiguë dans tout le corps. Une douleur qui ne lui était pas étrangère…

« Ta maman n’est plus là pour te sauver cette fois-ci, prince d’Egypte », dit la voix rauque du mage Osmaarê.

Il se mit à rire à gorge déployée, l’air mesquin.

« Je ne suis pas un aîné, je n’ai donc rien à craindre, mais toi Ankhéfènie, tu mourras dans quelques instants par la plaie du D.ieu que tu vénères tant ». Il gloussait d’un rire narquois.

« Tu resteras planté là, jusqu’à ce que ton D.ieu t’emporte Lui-même dans l’au-delà » 

« Qu…qu… que… », bafouilla-t-il.

«Tu veux me dire quelque chose, prince d’Egypte ? », demanda-t-il, en tournant autour du prince, l’air désinvolte. 

« Il est trop tard à présent… si mes comptes sont bons, dans moins d’un quart d’heure, la puissance de votre D.ieu s’abattra sur tous les premiers-nés d’Egypte, et tu en fais partie Ankhéfènie. N’est-ce pas grandiose ? Mourir pour son idéal ? »

« Que…vvveux…t…u ? » finit-il par lâcher.

« Ce que je veux ?! », dit-il d’un air ironique. « Je veux le pouvoir, prince d’Egypte, le pouvoir sur toute l’Egypte… Quand votre D.ieu en aura fini avec Pharaon et les esclaves… je prendrai la tête du pays, et tous me vénèreront ! »

Le corbeau agrippé à son épaule émit un croassement macabre.

« C’est bien Lira, c’est bien ma fille… nous allons assister à la mort de l’empire ce soir… ». Il caressait doucement son animal en déambulant entre les deux hommes figés. 

« Et vous, Rav Aboulkabat…Tous vos efforts, tout votre investissement, pour rien ! »

Le Rav avait les yeux grands ouverts, l’expression figé. 

« Si seulement vous m’aviez laissé le petit Eliakoum, j’aurais fait de lui mon vice-roi …Pfff, vous n’y comprendrez jamais rien au pouvoir, vous autres esclaves ! »   

Ankhéfènie était coincé, le bras droit en l’air, la paralysie opérait de plus en plus, lui et le Rav allaient bientôt être totalement pétrifiés.

Le sorcier regardait les étoiles pour évaluer le temps qu’il leur restait. 

« Bientôt, Ankhéfènie, tu ne seras plus qu’un souvenir pour l’Egypte… Je la rebâtirai sur tes cendres… »

« Ça, c’est sans moi, vieux fou ! ». Ces paroles hurlées du haut de la plaine se plantaient en même temps qu’une flèche acérée dans le cœur du sorcier, qui tomba aussitôt face contre tête.

Eliakoum rechargea son arc et tira une deuxième flèche droite sur le corbeau en plein vol.

C’en était fini du mage Osmaarê.

Ankhéfènie et le Rav tombèrent à bout de force, mais le temps jouait à présent en leur défaveur.

« Allez Rabbi, levez-vous », dit Eliakoum en soulevant le Rav écroulé. « Il ne nous reste plus que dix minutes »

« Ankhéfènie ! Vite ! », hurla Eliakoum dont la voix résonna dans toute la plaine.

Ankhéfènie enleva le reste de ses vêtements et plongea tête la première dans les eaux noirs du Nil.

Eliakoum approcha le Rav, qui après un moment d’observation dit à mi-voix « Cachère ! » avant de s’écrouler d’épuisement dans les bras du jeune homme.

Ankhéfènie sortit du bain au ralenti, il ressentit un sentiment nouveau, d’un coup investi d’une force nouvelle, son esprit était plus alerte, plus vif, son corps lui semblait plus léger, comme s’il n’était plus tout à fait le même homme.

« Dépêche-toi ! », hurla Eliakoum qui le fit sortir de sa torpeur.  

Il se ressaisit aussitôt puis enfila ses habits à toute vitesse avant de rejoindre Eliakoum et le Rav Aboulkabat. Ensemble, ils coururent à toute allure…

Plus que six minutes…

Une ombre opaque recouvrait l’Egypte. Partout où elle passait, elle laissait derrière elle la mort…Des cris d’effroi secouaient l’Egypte.

Eliakoum portait le Rav sur ses épaules aux côtés d’Ankhéfènie.

« Eliakoum…mon fils… », dit la faible voix du Rav, « pose-moi à terre, je te ralentis trop. »

« Je ne vous laisserais jamais, Rav Aboulkabat »

« Pose-moi Eliakoum, ta vie est en danger. Quant à moi, je ne suis pas premier né. Je ne risque rien ». Le Rav se dégagea de l’emprise d’Eliakoum en tombant au sol.

« Allez, mes enfants, courez, et ne vous retournez pas ! »

Ankhéfènie hocha de la tête et saisit le bras d’Eliakoum.

Plus que deux minutes…

Les deux hommes couraient à en perdre le souffle. L’ombre les rattrapait… Ils sentaient son froid glacial… puis… plus rien.

L’ombre était passée…

Un silence lourd. La peur. Le calme.

Ankhéfènie et Eliakoun n’étaient plus là.

Le Rav Aboulkabat revenait à Goshen au petit matin en boitant, l’air déçu, il avait échoué sa mission. Il n’était pas parvenu à protéger ses enfants. Son cœur en était meurtri.

Il traîna le pas jusqu’à sa tente, mais il redoutait le moment où il devrait tout expliquer à sa famille ainsi qu’à ses élèves…

Il tira le rideau de la tente des Lévites d’une main lourde, et vit à sa grande surprise les deux hommes allongés à même le sol au milieu de la pièce, plongés dans un profond sommeil.

Il n’en croyait pas ses yeux, que s’était-il passé ?

Des larmes de bonheur coulaient sur sa barbe, mais il ne dit pas un mot…

« Pourtant, Ankhéfènie et Eliakoum n’étaient pas présents dans une maison peinte de sang, comment ont-ils pu être sauvés ? »

Pendant qu’il réfléchissait, ses deux élèves se réveillaient lentement.

« Eliakoum, tu es bien là ? », murmura Ankhéfènie qui reprenait peu à peu ses esprits.

« Ou…Oui… mais qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai vu une grande lumière blanche et puis… plus rien », dit le jeune homme.

Le Rav était assis en face d’eux, le sourire aux lèvres. Il avait compris.

« En réalité, mes chers enfants, vous venez d’assister à un miracle. D.ieu vous a secouru »

« Mais pourtant, nous n’avons pas été…enfin…nous n’étions pas dans une maison peinte du sang de l’agneau », dit Eliakoum déconcerté.

« Je sais, mais D.ieu a vu vos efforts et sondé vos cœurs, Il a bravé ses propres règles afin de vous sauver… »

Ils restèrent ainsi un long moment en silence, pénétrés d’un sentiment révérencieux et d’une profonde sérénité.

Ankhéfènie poussa le rideau de la tente qui donnait sur un véritable spectacle effervescent, les habitants de Goshen grouillaient de partout, prêts à leur ultime départ. Il dit à ses compères le sourire en coin : « Allons vers la liberté ! »