À quelques jours de Roch 'Hodech Nissan, la Paracha de cette semaine prend un relief particulier puisque notre tradition nous enseigne que l’inauguration du Temple (dont il est question au début de la Sidra) s’est produite précisément selon Rachi à Roch 'Hodech Nissan.

Après avoir achevé de construire le Temple au mois de Kislev, les Bné Israël procèdent à présent à son inauguration, l’étape ultime de la construction du Tabernacle. L’émotion est alors à son comble, et après d’ultimes offrandes et sacrifices, un feu s’élance du ciel en signe d’approbation de toute l’œuvre des enfants d’Israël.

Durant ces heures propices où le peuple vivait collectivement une émotion intense, un échange d’une intensité inédite va se nouer entre Moché Rabbénou et son frère Aharon Hacohen.

Rappelons quelques éléments de contexte : au moment où le peuple se sentait transporté de joie par l’inauguration du sanctuaire, les fils d’Aharon, Nadav et Avihou, vont prendre l’initiative d’amener à l’intérieur du sanctuaire un « feu extérieur » afin de consumer les encens. Toutefois, cette initiative ne va pas être agréée par Hachem, car toutes les conditions requises pour pénétrer dans le Temple et accomplir le service n’étaient pas réunies. Nadav et Avihou vont alors mourir subitement, provoquant un choc et une peine profonde pour leur famille et leurs amis.

La Torah va nous décrire la réaction de leur père, Aharon Hacohen, en deux temps.

Tout d’abord, la Torah nous décrit son mutisme. Il ne parle pas, il ne se révolte pas et il ne pose pas de questions. Il conserva le silence. Rachi apporte ce commentaire (ch. 2, v. 3) :

Aharon se tut : il a été récompensé de son silence. Et quelle rétribution a-t-il reçue ? De se voir adresser à lui seul la parole divine, puisque le passage concernant ceux qui boivent du vin (versets 8 et suivants) n’a été dit qu’à lui.

Le silence d’Aharon a donc été récompensé par la privilège de recevoir directement la parole de D.ieu, et incarne d’une certaine manière le principe « Midda Kénéguèd Midda » « mesure pour mesure ». De la même manière qu’Aharon est parvenu à contrôler sa parole, il a été récompensé en entendant sur un sujet, lui seul, la parole divine.

Dans un deuxième temps, nous comprenons qu'Aharon et ses fils survivants, n’ont pas consommé, ce jour-là, en signe de deuil, contrairement à leurs habitudes, la viande des sacrifices. Moché est, dans un premier temps, surpris, contrarié, et s’irrite contre les fils d’Aharon.

Toutefois, Aharon va argumenter auprès de Moché Rabbénou, et il fait valoir auprès de lui une subtilité de la loi des sacrifices. En période de deuil, seuls les sacrifices exceptionnels liés à la sainteté du jour (Kodché Cha’a) doivent être consommés, mais pas ceux habituels (Kodché Dorot).

Nos Sages nous disent que Moché avait « oublié » cette distinction en raison de « l’irritation » qu’il a ressentie et qui a fait obstacle au « Yichouv Hada’at » « un esprit apaisé » nécessaire à la réflexion et au raisonnement.

La Torah nous précise que « Moïse entendit » les arguments de son frère, comprit leur bien-fondé, et approuva la démarche d’Aharon et ses fils.

Rachi précise alors que Moché Rabbénou « a reconnu son erreur et n’a pas prétendu, de honte : « Je ne l’avais pas appris » (Torat Cohanim) ».

En outre, il ne s’est pas arrêté là, mais, comme le rappelle le Rav Elie Munk, au nom du Midrach Rabba, il n’a pas hésité à faire publier son erreur au son de la corne dans tout le camp des enfants des Israël proclamant : « j’ai fait une erreur sur la règle et mon frère a dû me l’enseigner ». Le Natsiv rapporte à ce sujet que Moïse a agi de la sorte afin « d’enseigner aux Sages de cette époque et de toutes les générations qu’un grand homme ne doit pas avoir honte de reculer devant l’aveu d’une erreur de décision, puisque Moïse lui-même s’est trompé ».

Bien qu’il eût atteint une grandeur spirituelle exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité, Moché Rabbénou était resté infiniment humble. Il n’essayait pas de paraître « parfait », il ne craignait pas « d’écorner » son image en reconnaissant ses erreurs. Il était tout entier orienté vers le Emet, la volonté d’accomplir fidèlement la parole d’Hachem.

En outre, il ressentait un amour du prochain exceptionnel, et, dès lors qu’il pouvait se mettre en retrait pour honorer son prochain, il s’empressait de le faire. C’était là peut-être sa plus grande marque de grandeur.

C’est ainsi que dans le traité Roch Hachana, le Talmud rapporte que 50 niveaux de compréhension ont été créés et Moïse en reçut 49. Pourtant, de toutes ses qualités exceptionnelles, la seule qui est mentionnée dans la Torah est « la modestie », « Moïse était le plus humble des hommes » (Bamidbar 12;3). De toutes les qualités, voici celle que l’Éternel chérit tout particulièrement, et qui est probablement la clef vers toutes les autres, et vers l’élévation spirituelle.