Combien sommes-nous prêts à sacrifier pour les autres ? De l’argent, du temps, des efforts, parfois même plus… mais notre vie, serions-nous prêts à la sacrifier ? L’histoire est remplie de gens qui sacrifièrent leur propre vie pour sauver celle d’autrui. C’est l’acte de bravoure suprême du genre humain que très peu ont le courage d’atteindre. 

Mais il existe une autre forme de sacrifice dont l’histoire nous a fait part, celui de renoncer à son histoire d’amour pour sauver un peuple. C’est le sacrifice d’Esther.

Esther, une femme aimée de tous

Orpheline dès sa naissance, Esther fut recueillie très tôt par Mordekhaï qui l’épousa lorsqu’elle fut en âge de se marier (Traité Méguila page 13). Lui était un Sage reconnu par l’ensemble du peuple d’Israël, siégeant au Sanhédrin (le grand tribunal), il était le guide spirituel de l’assemblée dont la sagesse n’avait d’égale que la piété… De sa femme Esther, les textes nous révèlent l’extrême piété qui transparait déjà dans son nom, signifiant littéralement « cachée », ce qui évoque la pudeur de cette grande dame. 

Ainsi, le couple s’occupait des aléas quotidiens de la vie juive comme beaucoup de ces dirigeants communautaires qui dévouent leur vie à la communauté juive en Diaspora. Mordekhaï et Esther étaient à la fois les piliers mais aussi des exemples pour tous les Juifs de Perse. Ils reflétaient l’idéal juif dans sa quintessence.  

Mais alors que leur vie se déroulait de façon tout à fait ordinaire, de l’autre côté des hautes murailles du palais d’A’hachvéroch, la reine Vachti se fit exécuter par ordre du roi (Méguila chapitre 1, 21).

Après cela, les événements s’enchaînèrent à une vitesse vertigineuse : Esther fut capturée, mise en rang derrière des milliers de femmes toutes aussi abasourdies les unes que les autres, avec pour ordre de comparaître devant le monarque lorsqu’elles seraient suffisamment apprêtées. Le roi allait faire son choix parmi toutes ces femmes pour finalement n’en garder qu’une seule en tant que reine… (Ibid. 2, 2-3)

Toutes les femmes furent conduites à Chouchan, la capitale de l’empire, dans le harem du roi, confiées au soin du parfumeur des femmes du palais, Egué. Durant de longs mois qui lui semblaient interminables, Esther fut enduite des meilleures huiles et parfumée des meilleurs senteurs de la cité impériale, enfermée dans cette prison dorée aux fresques persanes. Les valets avaient beau disposer les mets les plus exquis du palais royal sur des tables d’or, Esther ne consommait que des herbes et des racines de plantes, par souci du respect des lois alimentaires de la religion juive.

Loin de son mari et privée de sa liberté, Esther attendait patiemment son tour de paraître devant le dictateur perse, espérant de toutes ses forces ne pas être à son goût…

C’est après douze longs mois d’attente qu’Esther fut appelée à comparaître devant le souverain. 

La peur au ventre, elle s’avança toute tremblante au sein de l’immense salle dorée dans laquelle se trouvait l’imposant trône royal fait à l’image de celui du roi Salomon. Une fois arrivée au milieu de la salle, le roi A’hachvéroch la vit et, au premier regard, il en tomba éperdument amoureux… (Méguila 2, 17)

Reine malgré elle

A présent, c’était officiel, Esther était reine de tout le royaume persan - son pire cauchemar. Tous se courbaient à son passage et des servantes la suivaient dans ses moindres déplacements. Elle occupait le palais en journée mais, la nuit tombée, elle s’échappait de sa forteresse pour aller rejoindre l’amour de sa vie, Mordékhaï.

Prise au piège par un dictateur sanguinaire, elle vivait entre la peur et la tristesse de devoir abandonner son mari. Mordékhaï lui avait fait jurer de ne pas révéler ses origines, espérant ainsi que le roi se lasse d’une telle femme et qu’il puisse enfin retrouver sa bien-aimée (Midrach Esther 2, 10). 

La loi juive stipule qu’une femme prise de force, comme dans le cas présent, n’est pas défendue à son mari (Choul’han ‘Aroukh Even Haezer chapitre 178). Elle n’avait donc d’autre choix, elle si pieuse, de vivre son idylle en cachette de ce roi fou qui avait déjà exécuté son ancienne femme pour bien moins que cela… 

Puis les événements dégénérèrent à l’échelle nationale. Un ministre antisémite nommé Haman fit tout pour que le roi donne son accord pour exterminer le peuple juif. De médisance en médisance, il convainquit le roi, déjà convaincu, d’opérer un génocide en exterminant jusqu’au dernier des Juifs sur terre (l’empire Perse de l’époque s’étendait sur 127 provinces soit sur la plus grande partie de terre connue. Peu de Juifs vivaient en dehors des frontières de son royaume). Le Roi signa l’accord de son sceau royal…

Sauver en se condamnant

Mordékhaï, déjà profondément touché par la captivité de sa femme (Traité Méguila page 13), devait faire face à une nouvelle épreuve, cette fois-ci concernant le destin du peuple juif tout entier…

Ensemble, le couple avait autrefois dirigé la communauté main dans la main avec amour, il l’avait accompagnée et portée durant des années et savait à présent que la seule solution pour sauver la nation serait qu’Esther implore le roi de Perse en personne… mais Esther et Mordékhaï savaient également ce que signifierait pénétrer de gré dans l’intimité du roi ; Esther serait définitivement interdite à Mordékhaï…

La reine Esther se trouva devant le choix le plus douloureux de sa vie : sacrifier son mariage pour sauver le peuple d’Israël, être défendue à l’amour de sa vie à jamais pour sauver son peuple.

Nous connaissons son choix…

Le cœur déchiré, elle regarda son mari, sachant que ce regard serait sans doute le dernier, et s’en alla le cœur lourd en direction du palais d’A'hachvéroch…

Entrant dans le palais, la mort dans l’âme, elle referma la porte derrière elle, sauvant des millions de ses frères mais se condamnant du même coup à vivre une vie sans amour. Elle devint l'héroïne de notre nation ; au même titre que les matriarches qui enfantèrent notre peuple, elle le sauva d’une fin certaine.