Dans le chapitre précédent : Depuis son premier jour d’entrée à la fac, Marion avait fait la rencontre d’une nouvelle amie de confession juive. Très vite, nos deux jeunes filles se sont très bien entendues. On appelle ça le coup de foudre amical, qui n’arrive pas souvent. Et c’est avec un certain enthousiasme que Marion, qui travaille dans sa librairie de quartier, a choisi d’emporter chez elle un livre sur le… judaïsme !


Cela faisait maintenant deux ans que j’étais en conversion. Pour certaines personnes, ces vingt-quatre mois auraient pu paraître longs, mais, pour moi, c’était une immersion totale en Torah, une chance que l’on n’empoigne qu’une fois dans une vie. Apprendre chaque jour un peu plus sur le judaïsme était magnifique et enrichissant à la fois. Le plus étonnant était que je me sentais enfin… vivante ! Même si je peux affirmer que les choses n’avaient jamais été simples et que le chemin avait été empli d’embûches. Et puis, surtout, rien ne s’était passé comme je l’avais prévu.

Beaucoup de choses avaient évolué depuis la première fois où j’avais rencontré le rabbin Sitbon. Nos débuts avaient été difficiles, voire tumultueux, car il ne me faisait définitivement pas confiance. Quelque part, je comprenais la dureté dont il faisait preuve envers moi, car, comme dit l’expression : « Chat échaudé craint l’eau froide », mais, tout de même, je trouvais que c’était injuste de devoir payer le prix fort pour tous les autres qui étaient passés avant moi ! Je me revoyais très bien sortir de mes rendez-vous du consistoire alors que j’étais à ramasser à la petite cuillère tant je trouvais les questions qu’il me posait déstabilisantes. Surtout la fois où il m’avait demandé d’être clair à propos de ma famille.

Le rabbin n’avait pas mâché ses mots lorsqu’il m’avait sommé de placer mon processus de conversion au-dessus de toutes mes priorités, en commençant par mettre mes parents et ma sœur au courant de ma démarche privée.

Je crois que, de tout le processus de conversion, ce passage obligatoire a été l’une des choses les plus difficiles à réaliser. Il est vrai que je redoutais d’aborder le sujet qui concernait les repas des fêtes de fin d’année. Comment annoncer le plus délicatement possible à ma famille que je ne pourrais plus me joindre à eux !? J’avais été obligée de trouver la formule adéquate, car j’avais planifié de descendre sur Bordeaux pour me confronter à mes parents et leur expliquer de vive voix mon choix. Je me souviens très bien de la façon dont je m’y étais prise : ma mère et mon père étaient assis sur le canapé de leur salon et ils étaient en train de boire un café. J’avais commencé à leur expliquer le pourquoi du comment j’avais envie de me convertir et leur réaction m’avait plutôt prise de cours, car ils se sentaient trahis et rejetés. Avant ce jour-là, je n’avais jamais vraiment pris conscience que l’une des fêtes que nous célébrions en famille, qui se résumait à manger de la dinde aux marrons et une bûche, et à échanger des cadeaux sous le sapin, avait une aussi grande importance à leurs yeux !

Ce n’était pas comme si nous avions la coutume de nous rendre à la messe de minuit pour fêter la naissance de J.C (j’ai appris lors d’un cours qu’il ne fallait pas prononcer son nom, car il avait été retranché du peuple juif).

A la minute où je leur avais annoncé que je me retrouvais complètement dans les valeurs de la Torah, c’était comme si j’avais réveillé quelque chose en eux. Surtout ma mère, qui entretenait des relations compliquées avec justement une absence totale de pratique du catholicisme. Elle avait eu du mal à comprendre ma démarche, elle s’était mise en tête que je rejetais en bloc l’éducation qu’elle m’avait donnée. Alors que cela n’avait rien à voir avec elle. Puis, il y a eu mon père, lui qui ne croyait en rien, avait juste pris... peur : “Avec tout ce qu'on entend à la télé, c’est devenu risquer ton truc de juiverie ! Et Israël qui tue des enfants palestiniens ! Franchement Marion, je ne sais pas dans quoi tu t’embarques”, m’avait-il dit.

J’avais passé plus d’une heure à essayer de dénouer l’amalgame monstre entre Israël, les juifs et le reste que les journaux et la télévision avaient implanté dans la tête de mon père. Je m’étais donné comme mission qu’il ne devait pas croire un traître mot de ce que racontaient les médias, car tout était faux. La fin de cette soirée avait été assez tendue, mais j’avais tenté de rester le plus optimiste possible. J’avais une grande Emouna (foi) en Hachem et je savais que tout ceci était une épreuve de plus. Ne dit-on pas que tout ce que l’on obtient durement est fait pour durer et tout ce qui est facile part en fumée !?

Le soir même, j’avais appelé Ilana pour lui raconter la culpabilité que j’avais ressentie envers ma famille. J’avais du mal à assumer la peine que je leur avais causé malgré moi. De plus, j’avais appris que, dans les dix commandements, nous avions l’obligation de respecter son père et sa mère. Mais est-ce que cette loi s’appliquait aussi aux non-juifs ? Mon amie m’avait répondu avec toute la diplomatie du monde qu’il ne fallait pas m’inquiéter, car je ne leur avais en aucun cas manqué de respect. Toute ma démarche était dans le seul but de pratiquer la Torah. Hachem Lui-même nous autorise à ne pas aller dans le sens de nos parents s’ils essayaient de nous empêcher de respecter ses lois.

J’avais raccroché sur ces paroles qui m’avaient quelque peu remonté le moral. Pour ne pas rester sur une mauvaise soirée, j’avais décidé de rester quelques jours de plus chez eux... ce qui avait aggravé mon cas ! Dans un souci de respecter scrupuleusement les règles de la Cacheroute, j’avais pris soin de manger exclusivement dans des couverts en plastique et de n’utiliser que mes casseroles personnelles que j’avais trempées au Mikvé. Mon attitude avait clairement posé problème à mes parents et à Daphné, ma sœur, qui pensaient que j’étais enrôlée dans une secte !

Malgré tous mes efforts pour essayer de les convaincre du contraire, cela n’avait rien donné. Du coup, je sentais peu à peu un fossé se creuser entre nous et que cela ne servait à rien de lutter contre leurs idées reçues.

Après ces quelques jours bordelais qui m’avaient éreintée, en rentrant à la maison, j’avais ouvert ma boîte aux lettres et avais eu le bonheur de trouver une magnifique carte d’invitation pour le mariage du frère d’Ilana, Alexandre ! Je me réjouissais d’autant plus parce que je n’avais jamais assisté à un mariage juif auparavant et il me tardait d’y être.

Pour l’évènement, j’avais pris soin de choisir une tenue complètement Tsniout, ce qui n’avait pas été facile. Lorsque j’étais arrivée à la synagogue, je m’étais vite rendu compte que, parmi les invités, je détonnais un peu avec mon mètre soixante-dix, ma robe qui trainait jusqu’en bas des pieds et mon blond cendré. Je voyais bien que je ne rentrais pas vraiment dans le décor… Mais cela m’importait peu, car j’avais réussi à dépasser ce stade et, malgré les regards hostiles que certaines personnes de l’assistante ne se gênaient pas de me lancer, j’avais simplement retenu l’émotion que j’avais ressentie lors de la cérémonie religieuse.

Lorsque la mariée, Tafat, avait remonté l’allée sur les paroles d’Alexandre qui lui chantait au micro « « Haré At Mékoudéchèt Li Bétaba’at Zo Kédat Moché Véisraël » », cela m’avait littéralement transportée, même sans connaître la traduction des mots qu’il chantonnait.

Je ne rêvais que du jour où cela m’arriverait à mon tour, même si je savais que ce n’était pas pour tout de suite. J’avais tout mis en œuvre pour ne laisser aucune place à une éventuelle histoire d’amour, parce que je ne voulais pas décevoir les gens qui me faisaient confiance.

Au cours de ces années intensives de cours, de tests, d’apprentissage et d’immersion totale dans l’étude de la Torah et des Mitsvot, j’avais vu trop de lauréats se refuser la conversion par leur manque de franchise et, cela, dès le départ. Si le doute planait d’une quelconque relation amoureuse de l’un des candidats, celui-ci était immédiatement mis de côté et aucun rabbin du service des conversions n’accepterait de revoir sa demande et, cela, pendant très longtemps.

Paradoxalement et heureusement, le tableau que je dressais n’était pas si noir ! J’avais été témoin de personnes qui avaient décidé d’être honnêtes depuis le début, avouant qu’elles étaient bien en couple au moment de leur démarche et elles se sont vues accorder le Mikvé sans trop de délais ! J’avais entendu aussi que des couples déjà mariés civilement avec enfants se présentaient devant les Rabbanim pour leur expliquer qu’ils ne pouvaient plus continuer de vivre avec un papa juif et une mère qui ne l’était pas et qu’ensemble, ils avaient pris la décision que la femme devait se convertir et, dans la foulée, les enfants aussi. Il y avait tant de cas qui semblaient impossibles à la base et, pourtant, quand Hachem décide de s’en mêler, n’importe quelle situation (et cela peut importer le schéma familial) peut devenir possible.

Juste après la cérémonie religieuse, j’étais en train de faire la queue pour souhaiter Mazal Tov aux mariés qui se trouvaient dans une petite salle de la synagogue. Il y avait tellement de monde que nous devions patienter pendant de longues minutes avant que notre tour arrive. Émue jusqu’aux larmes, je ne m’étais pas rendu compte que mon mascara avait coulé. C’est seulement lorsque j’avais croisé mon reflet devant un miroir que j’avais remarqué les deux traces noires qui avaient coulé le long de mes joues. Un peu honteuse, j’avais frotté mon visage pour faire partir les taches. Placé à côté de moi, quelqu’un m’avait proposé un mouchoir :

– Je crois qu’avec ceci ce sera plus facile à enlever. Vous êtes du côté de la mariée ou du marié ?

Celui qui me parlait était grand, avait des grands yeux noirs, des cheveux de la même couleur et un très joli sourire. Il portait un costume bleu à fines rayures blanches, et une chemise impeccable, avec une jolie Kippa sur la tête, où je déchiffrais “Ilan” cousu en hébreu. Je lui répondais que j’étais du côté du marié :

– Moi, de la mariée. Je m’appelle Ilan Afriat, et vous ?

C’est ainsi que notre première conversation avait débuté. Le soir même, lors de la fête qui avait eu lieu dans une salle sur les bords des quais de Seine, nous avions continué à faire plus ample connaissance. Au cours de la soirée, par souci de Tsniout, j’avais volontairement mis de la distance entre Ilan et moi pour ne pas qu’il pense que j’étais disponible. Je mentirais si j’affirmais que ça ne m’avait pas fait quelque chose d’imposer cette mesure. Car le problème c’était qu’Ilan me plaisait. Comme il ne comprenait pas pourquoi j’avais mis un terme à nos échanges, très gênée, j’avais dû le mettre au courant que je n’étais pas encore juive :

– Et alors ? Cela ne me dérange pas ! Je me disais si cela te dirait si tu accepterais de me revoir. Ne t’inquiète pas, je saurais me montrer discret et personne n’en saura rien. Ce serait dommage de passer à côté d’une belle histoire et d’attendre, alors que tu es sur le point de devenir juive.

J’avais répondu que, justement, j’aurais tort de tout gâcher vers la fin. Je lui proposais que l’on s’échange nos numéros et, dès que je serai « en règle » et s’il était toujours intéressé par moi, je le lui ferais savoir. La déception qui se lisait sur son visage me fendit le cœur, mais il avait eu l’élégance de ne pas insister. La suite de la soirée s’était terminée en bons termes et chacun reprenait sa route. Sur le chemin du retour qui me ramenait à la maison, je me souviens très bien avoir regardé le bout de papier avec le numéro de téléphone griffonné sur une serviette de table et avoir déclaré à voix haute dans la voiture :

– Hachem, c’est un gros Yétser Hara’ (mauvais penchant) que tu m’envoies, parce que ce gars-là me plait bien. Je ne sais pas si je vais réussir à résister !

Le lendemain matin, comme Mine Hachamayim (du Ciel), lorsque j’étais arrivée au travail, mon patron de l’époque m’avait demandé de le suivre dans son bureau. Il avait une mission professionnelle de douze mois à m’offrir qui était, financièrement parlant, très intéressante. Il m’avait été difficile de refuser une offre pareille ! Le seul petit problème était que le post que l’on me proposait se trouvait en Normandie ! Et, plus précisément, à Caen ! Le soir même, j’avais déjà pris ma décision, car il était urgent que je mette une distance physique entre ce Ilan et moi. Il m’avait laissé plus de trois messages me demandant de le rappeler ! Avant de donner une réponse définitive à mon supérieur, j’avais tout de même consulté le Rabbin Sitbon pour savoir si ce changement allait être compatible avec ma formation et, après avoir réfléchi de son côté, il m’était revenu avec une réponse favorable !

C’était risqué de s’éloigner de Paris, car, en termes de vie juive, ce n’était pas un challenge facile à relever : la communauté était maigre, absence totale de commerces et de restaurants Cachères. Néanmoins, je savais qu’Hachem allait être fier de moi et m’aiderait dans ma démarche, car j’avais fait ce qui était juste. J’avais rappelé ce cher Monsieur Afriat pour le mettre au courant et c’était avec un fort pincement au cœur que je lui avais dit :

– On se tient au courant…

J’avais raccroché complètement perturbée, en me demandant si je n’étais pas en train de commettre une erreur monstre et de laisser filer le bon… Je m’étais résonné en me remémorant les paroles du rabbin qui m’avait rappelé que je devais mettre ma conversion tout en haut de ma liste de priorité.

Quelques semaines plus tard, après avoir pris mes fonctions et m’être rapproché de la communauté, toutes mes craintes s’étaient envolées grâce à un couple extraordinaire, qui n’était autre que le rabbin Cohen et sa femme, de la communauté de Caen, avec qui je m’étais tout de suite lié d’amitié. Eux, depuis deux ans, étaient déjà installés en Normandie. Ils avaient quatre enfants et m’avaient accueilli comme un membre de leur famille à part entière. C’était eux aussi qui avaient repris le relais concernant mon apprentissage.

Quand il arrivait que je me décourage, la rabbanite Cohen trouvait toujours les mots justes pour me remonter le moral et c’est au cours d’un voyage extraordinaire qu’ils avaient organisé que jamais plus je n’avais eu le moindre doute que j’appartenais au peuple juif et que j’avais pris les décisions nécessaires pour y arriver.

La suite la semaine prochaine…