Dans le chapitre précédent : Depuis son premier jour d’entrée à la fac, Marion avait fait la rencontre d’une nouvelle amie de confession juive. Très vite, nos deux jeunes filles se sont très bien entendues. On appelle ça le coup de foudre amical, qui n’arrive pas souvent. Et c’est avec un certain enthousiasme que Marion, qui travaille dans sa librairie de quartier, a choisi d’emporter chez elle un livre sur le… judaïsme !


Dans l’épisode précèdent : Marion avait accepté un travail en Normandie pour s’éloigner d’un énorme Yétser Hara’ (mauvais penchant), qui n’était autre qu’Ilan Afriat, un jeune homme qu’elle avait rencontré lors du mariage du frère de sa meilleure amie. En déménageant, elle s’était rapprochée du rabbin de la communauté de Caen et de son épouse, qui l’avaient adopté comme leur fille. C’était avec force et courage que, malgré quelques découragements, notre héroïne arrivait peu à peu proche de son but…

Les vingt-quatre mois que j’avais passés dans la ville aux cent clochers avaient été rythmés par mes allées et venus intenses entre Caen et la capitale. Chaque fois que je descendais sur Paris, c’était pour honorer les rendez-vous que j’avais avec le rabbin Sitbon du consistoire. J’en profitais aussi pour faire le plein de courses, dû à l’absence totale de supermarchés Cachères dont certaines villes de province sont encore cruellement en manque. Je ne serais pas honnête dans mon récit si je ne mentionnais pas que je revoyais également Ilan… Je précise : en tout bien, tout honneur. Mieux encore ! Lui, qui m’avait expliqué faire partie de la catégorie des juifs traditionalistes, les KTT, comme je les nommais affectueusement (Kiddouch, Télé, Traditions), s’était soudainement intéressé à ce que je devais apprendre pour devenir juive. Lors d’un dîner dans un restaurant, j’avais sorti mon classeur de révisions pour le lui montrer et il avait dit :

– Attends, mais tu as tout ça à apprendre ? Histoire juive, écriture, lecture, prière, bénédictions et j’en passe. Waouh ! C’est fou tout ce que l’on vous demande de savoir. Moi-même je ne connais pas le quart de ce qu’il y a écrit sur tes fiches !

– Loin de moi l’insolence de te faire la morale, cependant…

– Je crains le pire…

– Mais non, ne t’inquiète pas ! Je n’ai pas cette prétention de te dire ce que tu dois faire, mais je pense que cela peut être enrichissant pour toi et moi si tu me faisais réviser. Je dois redoubler d’efforts, car je sens que, lors de ma prochaine date, le rabbin Sitbon va peut-être me proposer de passer l’examen écrit.

– Qui est...?

– L’un des deux tests les plus importants de ma vie ! Il y a l’écrit, qui portera sur l’ensemble de mes connaissances, et ensuite, l’oral. Il parait que celui-là est le plus costaud. Ensuite, vient la fameuse commission qui est composée de trois rabbins ultras exigeants, qui vont me bombarder de questions. Si je réussis, je pourrai enfin passer par le bain rituel, le Mikvé. En revanche, si j’échoue, je devrais le passer une nouvelle fois.

– Je suis certain qu’avec tout ce que tu connais, tu es imbattable.

– C’est de la Torah que l’on parle, pas d’un contrôle de math ou d’histoire géographie. Il ne suffit pas de rentrer des enseignements ancestraux dans sa mémoire, comme dans un Mac Book Pro, et d’en ressortir les données ! L’enseignement de la Torah et l’observation des Mitsvot sont infinis !

– Eh relax, je disais ça en passant ! D’ailleurs, pour t’améliorer, on va faire un petit jeu : imaginons que, demain, je veux me rapprocher d’une fille plus religieuse que moi (suivez mon regard !) et qu’elle ne veut pas de moi pour l’instant, parce que je ne suis pas de son niveau. Tu as deux minutes pour me donner envie d’avancer.

– Le mot adéquat est Téchouva, repentance.

Je commençais un exposé empli de passion. J’espérais secrètement que moi, la Goya, comme certains m’appelaient, allait donner envie d’avancer à un juif ! Challenge très difficile à relever, surtout quand on a un interlocuteur qui ne se rendait pas compte de la chance qu’il avait de naître juif. Peu lui importait son degré de Torah ou sa foi, personne ne viendrait jamais remettre ce droit par défaut en question. En revanche, lorsque l’on doit se battre pour avoir ce même droit, cela en est agaçant de devoir prouver que c’est une chance inouïe de naître dans la bonne famille ! En finissant mon développement et en voyant que ce cher Ilan n’allait pas spécialement changer, je m’étais mise subitement en colère ! Je trouvais les choses franchement injustes. D’une discussion lambda que j’avais eue avec lui, j’avais quitté notre dîner brutalement tant son flegme m’avait agacé ! Je me souviens avoir pris ma voiture pour rouler jusqu’à Caen sans m’arrêter une seule seconde.

Deux heures plus tard, une fois que j’avais coupé le moteur, j’étais plus ou moins calmée. J’avais choisi ce moment-là pour sortir mon téléphone et voir sept appels en absence d’Ilan. Je l’avais rappelé pour lui dire qu’à mon prochain « ravitaillement », je ne lui téléphonerai pas pour le prévenir que je serai sur Paris. J’avais conclu que son niveau de religion n’était pas assez élevé pour moi et que, si on envisageait un futur ensemble, je ne pourrais pas être avec un homme comme lui. Il avait été tant vexé qu’il m’avait craché de colère que c’était un comble d’entendre qu’il n’était pas assez juif de la bouche d’une non-juive !

– Tu vois Ilan, c’est exactement pour cela que l’on ne pourra jamais être ensemble, car un homme qui m’aime vraiment m’aurait déjà vu comme une fille appartement à son peuple.

– Tu me gaves avec ta morale ! Je n’ai pas attendu de te rencontrer pour être…

Clic, j’avais raccroché sans vouloir entendre la suite. Cela m’avait coûté, mais c’était la meilleure décision que j’avais prise.

Quelques jours plus tard, je n’avais pas eu de ses nouvelles et j’avais tenu bon de ne pas lui en donner. J’avais bien évidemment pleuré, car j’avais eu mal au coeur. J’avais aussi beaucoup prié Hachem de me donner la force de ne pas craquer. Je me disais qu’il fallait que je me concentre sur l’essentiel, à savoir aller chez le rabbin Cohen et sa femme et faire bonne figure pendant tout le repas du vendredi soir. J’avais tenu bon pendant toute la première partie du repas et puis, l’une des filles du Rav, qui devait avoir quatre, cinq ans, m’avait demandé pourquoi je n’avais pas de mari. Sa mère avait été gênée pour moi et lui avait répondu que j’étais jeune et que j’avais toute la vie devant moi pour trouver un mari !

Sauf qu’avec ce que je venais de vivre et la violente dispute que j’avais eue dernièrement, je n’étais plus sûre… Quel homme voudra se marier avec une Goya ? Quel homme va accepter de m’épouser alors que ma propre famille n’était pas juive ? Déjà que l’on m’interdisait de prendre le nom de Cohen ! Je savais que cela ne serait pas facile pour ma potentielle future belle-famille, qui n’avait pas encore de visage, de m’accepter telle que j’étais avec ce défaut de naissance. Comme quoi, deux mots de la langue française pouvaient être identiques, mais faisaient aussi toute la différence selon leur contexte d’utilisation…

J’en avais eu les larmes aux yeux de rage. La Rabbanite Cohen, ne voulant pas me brusquer ni paraitre intrusive, m’avait demandé avec douceur ce qui me tracassait. Sentant que j’étais en confiance, je lui confiais cette soudaine prise de conscience que je ressentais de partir avec un handicap vers le monde juif auquel je voulais tant appartenir. Je lui avais même posé la question si cela valait le coup que je continue de me battre autant… car personne ne voudrait d’une fille comme moi.

C’est là qu’elle m’avait annoncé que, pendant mon absence, elle et son mari avaient eu l’idée d’organiser un voyage à Auschwitz…. Ils avaient contacté Serge Klarsfeld et sa femme pour faire partie de ce voyage de mémoires. Elle m’avait demandé si j’étais partante pour venir avec eux et j’avais répondu par l'affirmative. Je ne comprenais pas trop le rapport avec ce que je venais de lui dire, mais j’avais décidé de ne pas la déranger avec mes états d'âme et mes interrogations. Il ne fallait pas que j’oublie qu’elle était une femme qui donnait tout ce qu’elle pouvait pour la communauté de son mari et qu’elle était en plus mère de quatre jeunes enfants.

Le jour de ce voyage collectif, qui avait réuni plus de cent cinquante personnes, c’était ensemble, dans un silence lourd d’histoire, que nous avions effectué la marche des vivants. Ce voyage avait tout simplement bouleversé ma vie et avait répondu à mes craintes. J’étais convaincue que j’étais une âme qui avait péri pendant la Shoah et qui était revenue dans une famille non-juive pour réparer ce qui avait été fait par les nazis. Et ce qui était évident, comme pour toute âme juive, c’est qu’Hachem avait prévu un Mazal rien que pour moi ! Lequel ? Je n’en savais rien, mais il était grand temps que je travaille plus sur ma Emouna (foi) envers notre Créateur et, qui sait, peut-être qu’Il me réservait une surprise… J’avais été voir la rabbanite pour la remercier et lui faire part de la sensation que j’avais ressentie. D’un sourire chaleureux, elle m’avait répondu qu’il était normal d’avoir des doutes, mais jamais sur qui l’on est vraiment. Elle-même n’avait pas eu besoin d’un voyage où plus d’un million de juifs avaient péri pour savoir que j’étais une Bat Israël.

Quelques jours plus tard, plus sereine que jamais, j’avais reçu mon papier qui m’indiquait la fameuse date pour mon examen écrit ! Ce qui n’avait pas été une mince affaire, même si c’était avec un immense bonheur que j’avais lu mes résultats trois semaines plus tard : 720 sur 800 questions ! J’avais explosé de fierté et appelé tous ceux qui me suivaient dans la foulée. Ce qui m’avait donné une bonne leçon pour la vie : seuls les vrais amis sont capables de se réjouir sincèrement pour vous, en balayant toutes formes de jalousie. Ilana, qui rentrait de temps en temps de Manchester, là où se trouvait son séminaire, avait hurlé de joie au téléphone. Sans réelles raisons, j’avais envoyé un message à Ilan pour lui faire part de mes résultats. Contre toute attente, il m’avait répondu juste après en m’écrivant qu’il était heureux pour moi, qu’il s’excusait pour les paroles qui avaient largement dépassé ses pensées et que tout ça était la faute de sa fierté, qui avait pris le dessus. J’avais souri et m’étais dit que je reverrai son cas après le grand examen oral qui était décisif pour la cérémonie du Mikvé, qui nous fait renaître spirituellement en tant que juive, pour de bon.

D’ailleurs, il y a une histoire très drôle que le rabbin Cohen me racontait souvent : une candidate devait se tremper au Mikvé, et, en descendant les marches du bain rituel, elle avait glissé. Malheur à elle, car, par réflexe, elle s’était retenue à la rampe devant les Rabbanim témoins et avait prononcé les fatidiques mots : “Doux Jésus”. Choqués, ils lui avaient demandé de sortir pour ne plus jamais se représenter tant qu’ils seraient en fonction.

J’en avais profité pour demander comment il était possible de se tremper dans un bain devant des rabbins. En termes de Tsniout, cela me paraissait techniquement compliqué. Il m’avait gentiment répondu que l’on nous donnait une robe de bain faite d’une manière qui collait à la peau, même une fois dans l’eau. Ainsi, le corps restait couvert en toutes circonstances. C’était plus rassurée que j’avais mis fin à toutes mes angoisses liées à l’inconnue du protocole.

Ce fameux mardi, jour de mon examen oral, je n’avais jamais été aussi nerveuse de toute ma vie.

Tout était impressionnant, les trois personnes présentes, plus le grand juge - dit Dayan en hébreu - qui vous fixe de son regard bleu acier comme pour vous passer aux rayons X chaque fois que vous répondez à une question piège ou pas.

Je me souviendrai toujours de celle-ci qui m’avait fait paniquer :

– Si vous avez des invités Chabbath que vous ne connaissez pas très bien, quel type de vin prendrez-vous ?

J’avais eu tellement peur de donner la mauvaise réponse en disant « Mévouchal », que j’avais préféré m’en sortir par une pirouette :

– Je proposerai du jus de raisin pour régler l’éventuel problème, si une personne non-juive se retrouve à ma table.

Ils s’étaient tous regardés entre eux et avaient souri.

Une autre question m’avait déstabilisé, même si je connaissais par coeur la réponse :

– Quelle est la prochaine fête juive ?

Nous étions en août, donc la prochaine fête était forcément Roch Hachana, mais j’avais eu une sorte de black-out, ce qui m’avait poussée à répondre :

– Chabbath. Pour moi, la prochaine fête, c’est Chabbath.

L’un des rabbins avait été tellement ému de ma réponse qu’il s’était levé et m’avait applaudi en rajoutant :

– Extraordinaire comme réponse ! Oui, effectivement, Chabbath est une fête à part entière, même si elle revient chaque semaine.

 

Le lendemain, le rabbin Sitbon m’avait appelé pour me donner les résultats, et, enfin, j’allais recevoir ma date de Mikvé. En raccrochant, j’avais pleuré de joie, de bonheur, d’incrédulité même ! J’avais appelé tous ceux qui m’avaient soutenu pendant ces quatre années.

Oui, seulement quatre ! Tout le monde m’avait sorti des chiffres à vous décourager, mais moi, j’avais tenu bon. Hakadoch Baroukh Hou était avec moi tous les jours, à chaque heure et à chaque seconde.

C’est ce que j’avais déclaré mot pour mot le jour où je m’étais trempé, jour où j’avais pu noter Sarah dans mon acte de judaïcité.

J’avais finalement choisi le prénom de cette matriarche, car, comme son mari, Abraham, j’étais partie chercher D.ieu, parce qu’avant, ma vie aussi était dédiée à une forme d’idolâtrie : le fameux “métro-boulot-dodo”. Je n’étais pas programmé pour me poser des questions comme : “Qui suis-je ?”, “Où vais-je ?”... Si je n’avais pas rencontré Ilana, jamais je n’aurais été reconnecté à Hachem, car Il attendait que je revienne à Lui.

Lorsque j’avais été tout au fond de l’eau et que j’avais dû renouveler l’expérience trois fois de suite pour valider physiquement ma renaissance, j’avais senti au fond que j’étais enfin à ma place dans ce monde. Que mon âme était bien présente pendant que tout le peuple juif était au Har Sinaï pour recevoir les dix commandements. Je les avais entendus résonner quelque part dans ma tête. Ce fut un moment intense en émotion, autant que la naissance de ma fille, que j’avais nommé Batshéva, et celle de mon fils… Hélas pour lui, je n’avais pas eu le temps de lui donner un prénom, car j’étais retourné auprès de mon Créateur bien-aimé, car, au moment où je donnais la vie, je perdais la mienne…

La suite et dernier chapitre la semaine prochaine.