En faisant ma « spongia » (plus Javel-Economika dans les éviers de ma cuisine), allez savoir pourquoi, je pensais à Sylvie Vartan. 

Le fil de nos idées est parfois surprenant et nous emmène vers de bien étranges associations. 

Je me demandais en essorant ma serpillière, si Sylvie avait fait la spongia dans sa vie. Il faut comprendre mes sources : mon enfance fut bercée par les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier ; ça s’appelait alors des « Variétés ».

De l’un à l’autre, Sylvie occupe mon esprit, et j’apprends qu’elle est juive par sa mère Illona Mayer. Hongroise immigrée en Bulgarie, comme dans toutes les histoires de Juifs, même très assimilés, un beau jour, ils doivent tout quitter, faire leurs bagages, et prendre le train pour ailleurs. 

Un chef d’œuvre, c’est quoi ? T'as le ticket ... ?

Déjà dans le compartiment, la petite Sylvie voit son grand-père adoré venu leur dire « au revoir ». Lui, il reste au pays et est venu accompagner sa famille sur le quai de la gare. Alors que le convoi s’ébranle, le vieil homme se met à courir derrière leur wagon, avec un mouchoir blanc, alors que sa petite-fille, la tête hors de la fenêtre coulissante, agite le sien dans sa direction, le regardant rapetisser dans la fumée, au fur et à mesure que le train accélère. 

À ce moment, Sylvie eut le pressentiment très fort, comme ont souvent les enfants, qu’elle ne le reverrait plus. Et ainsi fut-il. 

Débarqués à Paris en 1952 avec leurs parents qui fuyaient le régime communiste, Eddie et Sylvie, petits émigrés bulgares, ne connaissant pas un mot de français, allaient faire le chemin que l’on sait. 

Lui dans la production, et elle…

Un chef d’œuvre, c’est quoi ?

“Mon Enfance”

Sylvie Vartan chantera « Mon Enfance », à trois périodes de sa vie : à 35 ans, 60 ans et 78 ans. Son interprétation est si juste, portée par la beauté du texte, qu’elle se “surclasse” et sort complètement de la rubrique chanteuse populaire.

Derrière chaque mot, elle se glisse dans le phrasé de l’auteur, remet ses pas dans ceux de Barbara, et formule les choses en les emplissant de son propre vécu. 

Mais la vraie vedette, c'est le texte de la chanson. “Mon Enfance”, sublimement écrit, permet à Vartan de naviguer dans ses souvenirs slaves et d’exprimer à travers des paroles et une musique admirable, sa propre expérience.

Gamdaza , le Prince de Swaziland

Un Prince africain, né en 1963, héritier de la couronne royale, dans le petit pays de Swaziland entre le Mozambique et l’Afrique du Sud, fut envoyé à 20 ans, comme il sied aux fils de roi destinés à diriger leur pays, dans les grandes écoles européennes d’Italie et d’Angleterre.

Et que faire, dans ce melting-pot universitaire, il rencontrera des Juifs. Comme très souvent chez les convertis, le premier contact ne fut pas fait de foudre et d’éclairs, mais d’un intérêt d’abord ténu qui s’éveillera et ira en grandissant.

Quelque chose le poussera à en savoir plus sur ce peuple, qu'il perçoit vite comme singulier.

Ses amis juifs eux-mêmes ne savent pas vraiment répondre à toutes ses questions et il va donc se rendre dans la bibliothèque de la fac pour en savoir plus...

Lors de Kippour, il a une révélation. Ressentant intensément le Jour Saint, et sans même en connaître complètement la signification, il jeûne et décide alors de se convertir. 

Cette histoire vraie est celle de Nkosinathi Gamdaza, aujourd’hui Nathan, qui travaille pour le séminaire israélien de rapprochement au judaïsme “Arakhim”. Marié avec une jeune juive américaine, il habite à Jérusalem et est père de deux enfants.

Un chef d’œuvre, c’est quoi ?

Mais il y a un épisode foudroyant dans sa biographie.

Ses parents, le roi et la reine coupent les ponts avec lui, alors qu'il est devenu juif. Mais Nathan se rendra à un séminaire à Johannesburg, près du royaume de Swaziland et son père l'apprenant, lui demandera de venir le visiter. Après des années d’absence, il retournera au pays.

Un spectacle hallucinant l’attend à sa descente d’avion. 

Toute sa famille est là, venue l'accueillir sur la piste d’atterrissage. Il y a les danseurs tribaux habillés de tuniques traditionnelles aux couleurs vives, qui entament une danse et font retentir les tam-tam ; il y a ses nombreux frères et sœurs en costumes de fête, son père le Roi et sa mère - à laquelle il était très attaché - émus, qui ne l’ont pas vu depuis des années et ne le quittent pas des yeux. 

Un chef d’œuvre, c’est quoi ?  

Nathan manque de vaciller.

C’est toute son enfance qui remonte, les sons, les odeurs, les musiques et à ce moment, lui aussi, comme la Barbara des brumes, comme la Vartan de la salle Pleyel, est dans cette même posture de l’adulte qui revient vers les paysages de son passé, et se sent submergé par eux. 

« J’ai eu tort, je suis revenu, dans cette ville au loin perdue

Où j'avais passé mon enfance »… 

Les mots justes sont capables de porter un vécu universel, partagés indifféremment par tous les hommes, en Afrique, à Iskrets en Bulgarie, ou à Saint-Marcellin dans l'Isère...

T’as le ticket ?!

Se profile à l'horizon, avec le printemps, la “central station” de notre origine. 

Pessa’h pointe. 

C’est vers lui que tout converge, et là-bas que tout a commencé, berceau et genèse de notre peuple. Même si la pratique minutieuse des Mitsvot est encore trop ardue, il faut savoir que celui qui a gardé le “ticket” du Séder et des 8 jours de Matsot, témoigne d'un désir fort, même si parfois sourd et non avoué, de se rattacher au chemin de ses ancêtres. 

Un chef d’œuvre, c’est quoi ?

Je connais un Juif “de cœur”, qui avait lâché les basics du judaïsme, mais pourtant, à l'approche de Pessa’h, il commandait tout dans une épicerie Laméhadrin, située dans une autre ville. 

Est-ce cette préoccupation sincère et ce sérieux à accueillir respectueusement la fête y donnant une crédibilité maximum, perçue avec justesse par ses enfants, qui lui a valu qu’aujourd’hui, toute sa descendance porte Kippa et étudie en Yéchivot

Allez savoir...


Pessa'h et la nuit du Séder sont ce support génial, commun à tout Israël et pourtant “joué” par chaque famille, selon ses influences et ses origines : à la tunisienne, à la polonaise ou à la yéménite.

En strates profondes, ses messages sont lisibles à tous les âges et à toutes les époques.  

Un et pourtant pluriel, Pessa'h englobe toutes les coutumes, permet à chacun d’y trouver sa place, sa “façon”, “son interprétation”, sans pour autant trahir en rien la partition. 

Un chef d’œuvre, c’est quoi ? T'as le ticket choc !Un chef d’œuvre, c’est quoi ?

Si ça, ce n’est pas un “chef-d'œuvre”…