Mon histoire s’est déroulée il y a plusieurs années, et j’ai volontairement attendu de la publier pour éviter d’être identifié. Je ne pouvais pas garder cette histoire pour moi, car elle renferme un message tellement percutant, qu’il est obligatoire de la publier.

L’histoire commence avec une controverse entre mon père et son beau-frère (mon oncle, frère de ma mère). La querelle avait commencé par un désaccord financier, se poursuivit par un Din-Torah gagné par mon père, et se transforma en conflit qui divisa toute la famille.

Mon père choisit pour sa part d’être parmi « ceux qui sont offensés, mais n’offensent pas » et ne réagit pas aux propos désobligeants de son beau-frère, mais ce dernier ne se calma pas, et presque chaque semaine, nous recevions des attaques antipathiques, une série de propos et de diffamations contre mon père, et même des tentatives de lui porter atteinte.

Un jour, mon père arriva sur son lieu de travail dans une grande agence d’assurance dont tous les membres appartiennent à la même communauté, et remarqua que tous les employés le regardaient bizarrement et certains essayaient, sans y parvenir, de retenir leur rire.

Mon père s’approcha de son bureau et y découvrit une lettre affichée sur son écran contenant des propos méprisants et une lettre d’insulte des plus humiliantes.

La lettre commençait par une description moqueuse de l’apparence physique de mon père, s’intéressait à son nez, à sa démarche étrange, puis se mettait à décrire sa personnalité de manière terriblement méprisante et humiliante, tout en ajoutant des histoires imaginaires. C’était une vraie œuvre meurtrière.

Inutile de préciser que tout le monde avait lu la lettre - depuis l’employé le plus haut placé jusqu’au débutant.

Mon père acheva la lecture de la lettre, la plia, la mit dans sa poche et se mit à travailler comme si de rien n’était.

Extérieurement, bien entendu. À l’intérieur de lui, il sentait le sang quitter son corps, son cœur battait la chamade, et il était près de s’évanouir.

Une heure après, mon père s’effondra à terre. Il fut conduit à l’hôpital, il avait subi une légère attaque cardiaque.

Libéré quelques jours plus tard, il retourna au travail. Personne ne mentionna la lettre, mais il était tourmenté à l’intérieur, tout comme nous.

Nous, les enfants, avions demandé à réagir en traduisant l’oncle en justice pour ses propos médisants, mais mon père nous annonça qu’il ne comptait rien faire et il nous ordonnait de ne rien faire à ce sujet. Il nous expliqua qu’il essayait de pardonner, mais il était visible que cela lui était difficile, car son beau-frère n’avait même pas pris la peine de demander pardon. Celle qui ne pardonna pas et prit les choses le plus difficilement fut ma mère.

Ma mère fut très blessée par la terrible atteinte portée à son mari. Elle était particulièrement en colère du fait que les tentatives de sa famille d’inciter son frère à demander pardon se heurtaient à un « non » ferme.

Six mois plus tard : le fils de l’agresseur est frappé d’un terrible malheur

Six mois s’écoulèrent.

Mon cousin, le fils de l’oncle agresseur, se rendit dans un pays lointain pour ses affaires.

Il s’avère qu’un groupe de criminels et de bandits l’avaient mené en barque, et dès son arrivée, ils lui confisquèrent son argent, et allèrent plus loin : ils le piégèrent et furent responsables de son arrestation dans ce pays.

Il s’agissait d’une prison tristement célèbre, l’une des plus terribles au monde, si ce n’est la plus affreuse.

Sachez que dans cette prison, il n’y a ni personnel, ni directeur, ni personnel d’entretien, ni même gardiens de prison. L’expérience du passé a prouvé que ceux-ci ne tiennent pas plus d’un mois, car ils ont en face d’eux des meurtriers et des bêtes sauvages qui n’ont rien à perdre et n’ont aucun problème à tuer.

Comment cette prison est-elle gérée ? « C’est la raison du plus fort qui l’emporte. » Au sens propre. Les prisonniers sont les directeurs, ils sont responsables des repas, de l’ordre et de la discipline. Les cellules ne sont pas fermées. Toute personne peut se promener comme bon lui semble, et des milliers de prisonniers s’y trouvent enfermés dans un bâtiment très étroit.

Il va de soi que plus un homme est fort sur le plan physique et parvient à rassembler autour de lui des hommes forts, plus il domine dans la prison.

Il va de soi qu’il y a de terribles frictions entre les différents groupes, des accords rompus et des semblants d’accords qui tiennent le coup en suivant la folie de quelques-uns.

Et comment arrive leur nourriture ? Il y a un terrain neutre en dehors de la prison, une muraille extérieure entourant la muraille de la prison. Les autorités pénitentiaires introduisent chaque semaine la nourriture dans ce terrain neutre, puis on ouvre la porte de la muraille intérieure, et le responsable nommé par les prisonniers - enfin, plutôt qui s’est nommé lui-même par la force du poignet - entre avec ses hommes et apporte la nourriture, et à partir de là, il est responsable des repas.

Comme ce n’est pas un juste caché, il est évident qu’une guerre a lieu sur chaque tranche de pain. Après que les dominateurs de la prison se sont assurés de prendre la grosse majorité de la nourriture, ils en distribuent aux autres en petite quantité, à petites doses, et toujours en contrepartie d’autre chose, comme de l’argent, que les détenus n’ont pas ; les membres de la famille doivent déposer chez des hommes de confiance des chefs de la prison des sommes d’argent importantes pour que leur protégé ait droit à une « protection », et reçoive quelques miettes pour survivre.

Mon cousin entra dans cette prison, un Juif, fils de bonne famille, qui, dès son entrée en prison, devint la victime de tous les prisonniers, alors que chaque groupe extrayait de lui et de sa famille tout l’argent possible en menaçant de porter atteinte à sa vie.

En réalité, son arrestation avait été la chose la plus difficile qu’il ait vécue. Il vécut de terribles humiliations, il recevait des coups chaque jour, il se promenait constamment avec le bras ou la main cassée, et aucun médecin n’était présent sur les lieux pour le soigner. Il attachait ses membres brisés par des cordes, souffrait d’atroces douleurs et implorait qu’on lui donne à manger et à boire de l’eau dégoûtante.

Une fois tous les quelques mois, il avait le droit de sortir de prison (grâce à un accord des plus complexes) et de se rendre au tribunal. Là, il rencontrait ses avocats qui ne comprenaient pas sa langue. Le juge ne tranchait pas son cas, il différait le procès à plusieurs mois plus tard et ordonnait de le remettre en prison.

Cinq années de souffrance, de peur et d’inquiétude s’écoulèrent pour la famille. Mais le pardon ? Non, en aucun cas.

Il écrivait des lettres déchirantes sur sa situation et implorait qu’on agisse pour sa libération ; cette terrible histoire se répandit partout où vivent des Juifs, beaucoup d’argent fut collecté pour le libérer, mais tous ces fonds furent destinés aux avocats et aux prisonniers assoiffés de sang qui le tourmentaient et l’affamaient, et réclamaient de l’argent pour s’assurer qu’ils ne le tuent pas.

Le fait que tant d’argent ait été récolté autour de lui s’infiltra vite auprès des prisonniers, et il devint rapidement une monnaie d’échange entre les différents groupes, car chaque groupe voulait se l’approprier comme sa « propriété », et d’un autre côté, ne souhaitait pas qu’il soit la « propriété » d’un autre groupe.

Mon cousin devint une proie traquée dépendant des bontés des bandits et rackettée par eux, il perdit du poids et ne pesa plus que quarante kilos, ses cheveux blanchirent, et il contracta diverses maladies qui mettaient ses jours en danger.

Ses avocats qui le rencontraient décrivaient, choqués, son état de santé, et ceci attrista énormément ses parents, mais aussi tout son entourage.

Et pendant toute cette période, les rabbins et les membres de la communauté s’adressaient à son père en lui expliquant qu’il devait demander pardon à son beau-frère, qu’il avait gravement blessé. Mais le père persistait dans son refus.

Cinq années de souffrance, de peur et d’inquiétude s’écoulèrent pour la famille. Mais le pardon ? Non, en aucun cas.

Pendant toute cette période, son procès n’eut même pas lieu.

Toute audience était reportée à une date ultérieure, les protocoles n’étaient pas rédigés. En bref, un pays du tiers-monde. L’un des avocats plaisanta que l’État prolongeait peut-être exprès le procès, car l’argent collecté par ses parents contribuait au PNB instable du pays. Si ce n’était pas triste, ça aurait pu être une bonne blague, mais ce qui est certain, c’est que le PNB de l’avocat augmenta de façon significative…

Au bout de cinq ans, un événement survint qui bouleversa tout le monde.

Après un nombre infini de tentatives de le blesser, ils réussirent au bout du compte. Il fut frappé brutalement, blessé mortellement, et, au dernier moment, ses bourreaux le conduisirent au no-man’s land, une démarche peu ordinaire qui aurait pu se solder par sa mort comme dans des milliers d’autres cas.

Mais les gardes qui observaient dans les tours situées à l’extérieur de la prison décidèrent de s’occuper de lui. On l’envoya à l’hôpital et les médecins réussirent à stabiliser son état.

Ses parents furent appelés pour lui rendre une visite puis prendre congé  de lui. Il est difficile de décrire ce qu’ils traversèrent, ils restèrent assez longtemps sur place, et il se remit miraculeusement. Les premiers mots qu’il prononça lorsqu’il se réveilla : « La mort est préférable à ma vie. »

Ces mots brisèrent totalement ses parents, ils restèrent là-bas jusqu’à ce qu’il recouvre ses forces et on le renvoya, brisé mais vivant, en prison. À leur retour, ce n’étaient plus les mêmes. Ils étaient l’ombre d’eux-mêmes, complètement brisés.

Trois mois plus tard, mon père reçut un appel du Rav de la communauté : son beau-frère voulait venir lui demander pardon.

Bien entendu, mes parents acceptèrent immédiatement. En vérité, pendant toute cette période, ils attendaient qu’on leur demande pardon. Ils voulaient accorder leur pardon.

Mon père me téléphona et me raconta, sur un ton joyeux, qu’ils étaient sur le point de venir chez eux l’après-midi et que maman leur préparait un bon repas pour que tout se passe le mieux possible.

Vous n’allez pas croire ce qui se passa ensuite. Une demi-heure ne s’était pas écoulée depuis le moment où ils avaient annoncé leur demande de pardon, et une bonne nouvelle arriva des avocats de mon cousin : il était libéré le lendemain !

« Tu as vu ? Ils ont accepté de demander pardon, et la délivrance est arrivée. »

Mon père me téléphona, tremblant : « Tu as vu ? Ils ont accepté de demander pardon, et la délivrance est arrivée de suite ». Il était heureux que son neveu soit libéré, ainsi que du signe du Ciel : le Saint béni soit-Il avait perçu sa douleur et lorsqu’il avait eu l’intention de demander pardon, ses prières avaient été exaucées, et l’homme, libéré.

Mais l’heure de midi arrivait, et l’oncle et la tante n’arrivaient pas.

Mes parents attendirent quelques heures, puis téléphonèrent au Rav de la communauté, qui leur annonça alors que le beau-frère avait regretté au dernier moment en affirmant qu’il lui était difficile de demander pardon. Le Rav ajouta que, d’après lui, la bonne nouvelle liée à leur fils leur avait fait changer d’avis par rapport à leur demande de pardon.

Le Rav raconta qu’il avait tenté de s’adresser à leur cœur, mais ils étaient heureux désormais et ne voyaient pas la nécessité de demander pardon.

Mon père me téléphona, encore plus déçu et blessé qu’avant. J’entendis l’histoire et je bouillis de colère. Cela me rappela une blague terrible sur un homme qui chercha une place de parking pendant une heure et qui avait un rendez-vous important. Il s’adressa au Saint béni soit-Il et promit mille shekels à la Tsédaka s’il trouvait une place. Dès qu’il prononça ces paroles, il vit une voiture libérer une place à un mètre de lui. Il se tourna à nouveau vers le Ciel et déclara : « Maître du monde, pas besoin de Tsédaka, je me suis débrouillé… ».

Le lendemain, mon oncle et ma tante se préparèrent à l’annonce de libération de leur fils et préparèrent la maison pour une magnifique « Sé’oudat Hodaya - un repas de remerciements » en présence de rabbins et membres de la communauté (bien entendu, sans mes parents…).

On leur expliqua que cela pouvait arriver à tout instant, mais cet instant dura une heure, puis deux, puis une journée entière, puis deux, une semaine, mais ensuite, le tribunal reporta l’audience de six mois.

Il est difficile de décrire le désastre qui les frappa. Ils s’étaient imaginés leur fils revenir dans le giron familial, ils avaient déjà préparé un repas royal (comme mes parents leur avaient préparé…), mais à présent, leur espoir s’était envolé. La crise était encore plus difficile que celle qu’ils avaient vécue en voyant leur fils dans son état pitoyable. Ils étaient désespérés.

Deux semaines plus tard, le Rav de la communauté nous téléphona à nouveau.

« Ils sont totalement brisés et veulent venir vous demander pardon, dit-il. Je comprends si vous n’êtes pas d’accord. Je suis un messager, et je relaie leur demande. »

Mes parents acceptèrent de tout cœur. Ils sont comme ça. Ils ont bon cœur, ils possèdent de très bons traits de caractère. Ils les invitèrent à venir le jour-même.

Mon père me rappela et me relata les faits, pendant que ma mère préparait un bon repas.

Cette fois-ci, ils se déplacèrent. L’oncle se mit à genoux pour demander pardon et pleura abondamment. Lui et mon père prirent ensemble le repas de midi, et, à la fin, ils déchirèrent ensemble en petits morceaux la lettre écrite par l’oncle, pour prouver que tout était fini.

Moins d’une demi-heure plus tard, l’avocat téléphone sur le portable de mon oncle, alors qu’il était encore chez mes parents et lui dit : « Tu peux t’assoir ? »

Mon oncle s’attendait à une terrible nouvelle.

« Ton fils est libéré dans une heure. Je viens de recevoir un message me demandant de venir rapidement. Cette fois-ci, ça m’a l’air sérieux. Je suis en route pour là-bas. »

Ils attendirent une heure, et le coup de téléphone tant attendu arriva. « Ton fils est à côté de moi, en-dehors de la prison. Parle-lui. »

Dans la maison de mes parents, deux heures après la demande de pardon, le père parla à son fils libéré de prison, en route vers chez lui.

Mon père me téléphona, tout ému, et me raconta cette merveilleuse histoire.

Quelques jours plus tard, mon cousin arriva. Il est difficile de décrire la fête et les expressions de joie suivant sa libération, mais surtout, de bouche à oreille avait circulé la nouvelle incroyable de la libération qui avait tardé tant que la demande de pardon avait tardé.

En dépit du sentiment de malaise de relater cette histoire personnelle - j’ai attendu longtemps et j’ai modifié des détails -, mais je pense qu’il faut faut absolument raconter cette histoire, pour mettre le doigt sur la grave faute que constitue l’humiliation, et l’obligation de demander pardon.

Pardonnez-vous les uns aux autres !

Nous conclurons cette histoire émouvante par les propos de l’internaute M.A. qui a envoyé le message suivant : « Les amis, pardonnez-vous les uns aux autres ! Je n’aime pas évoquer des événements tragiques, mais parfois, dans le but de nous renforcer, on rassemble tous les événements des semaines passées et on est envahi par la tristesse. Personnellement, cela ne me renforce pas d’être informée des séries de catastrophes et lorsque quelqu’un s’obstine à m’en faire part, je me répète constamment que D.ieu, loué soit-Il, est un D.ieu de bonté et qu’Il incarne la pure miséricorde.

Mais je pense qu’il vaut la peine de nous engager à ceci, je pense à être parmi les premiers à l’appliquer : pardonnons, accordons notre pardon à toute personne qui nous a mis en colère et taquiné. Ainsi, simplement, sans petites lettres ou étoiles et sans y mettre aucune condition. Pardonner, pardonner, pardonner !

Je vous appelle, du fond du cœur, à vous joindre à moi et à vous tourner vers notre Père au Ciel et à lui dire clairement : "Que personne ne soit puni à cause de moi !" Je suis sûr que le monde sera meilleur par ce mérite. Qui ne connaît pas d’histoires de personnes qui attendent depuis longtemps de trouver l’âme sœur ou d’avoir un enfant pour avoir tenu rigueur à quelqu’un plusieurs années auparavant ? Renonçons à cette hostilité, et pardonnons, car nous voulons tous qu’on nous pardonne, que D.ieu accepte notre pardon.

Alors, pardonnons-nous les uns aux autres, et puisse le Ciel nous accorder une bonne et douce année et que des joies ! », conclut M.A.