“Cantique des degrés. Quand l’Eternel ramena les captifs de Sion, nous étions comme des rêveurs.”[1]

Ce verset décrit notre situation lors de la Guéoula (la délivrance) lorsque D.ieu ramènera les exilés : jusqu'à présent, en exil, nous étions dans un « rêve ». Essayons de comprendre pourquoi l'exil est comparé au rêve.

L'Admour Hazakène dans le Torah Or[2] explique que le propre du rêve, c'est de pouvoir marier des contraires. La situation la plus absurde peut paraître tout à fait normale dans un rêve. L'explication est simple. Pendant le sommeil, le « Shekel », l'intellect est relégué au second plan et c’est alors le « Koa’h Hamédamé », l'imagination qui par définition peut lier les contraires[3] qui domine.

Ainsi, cette métaphore est parfaitement adaptée pour expliquer le concept de l'exil. En effet, pendant l'exil, l’étincelle divine dans l'âme du Juif est comme endormie et son « intellect » aussi. Qu'est-ce que cela implique ? En exil, le Juif peut marier les contraires : il peut être toute la journée occupé à ses affaires, et ne jamais penser à D.ieu, à la Torah ou aux Mitsvot alors que quelques instant plus tôt, pendant la prière par exemple, il a pu ressentir un profond réveil spirituel et une volonté de s'attacher à D.ieu et à sa Torah. Ces deux situations antinomiques ne sont possible qu'en exil, lorsque l'intellect de l'âme divine est en veille et n'a pas la capacité de mettre objectivement en lumière cette absurde situation : comment peut-on d'une part avoir la volonté de s'attacher à D.ieu et de l'autre, l'instant d'après être totalement happé par la vanité de ce monde ?

L'Admour Hazakène remarque en effet que la Torah nous enjoint de faire partie de ce monde-là et de travailler. Mais dans l'idéal, cela devrait aussi être considéré comme un service divin. Pourtant, on voit bien que pour l'écrasante majorité des gens, ça n'est pas le cas.

Mais le Rabbi de Loubavitch met en garde : il ne faut pas que cela nous déprime, que l'on se dise que si l'exil n'est qu'un « rêve », alors nos pensées de Téchouva, nos réveils spirituels ne sont qu'imagination. On n'en est rien. Ce mariage des contraires, cette propension en exil à vivre dans cet antagonisme n'est que le côté négatif, la conséquence néfaste d'un dévoilement divin d'une incommensurable intensité.

Il existe plusieurs modalités de dévoilement divin. Dans le jargon kabbalistique l'un s'appelle Yochèr et l'autre Igoulim.

Yochèr, c'est une lumière divine limitée, contractée. On pourrait même dire hiérarchisée ; en haut cela « brille » fort et plus on baisse de niveau spirituel, plus la lumière s’amenuise.

A contrario, Igoulim est une lumière sans limite. A ce niveau, il n’existe pas de définition de haut et de bas, pas de hiérarchie. Tout est au même niveau. Comme dans un cercle (Igoul) qui n'a pas de début ou de fin. Au niveau des Igoulim, même deux choses contraires peuvent coexister, comme il est dit par exemple dans les Téhilim (Psaumes)[4] « l’obscurité est clarté [pour toi] », ou comme on dit dans une prière des jours de Pénitence « Tu mets au même niveau petits et grands ».

C'est ce niveau du divin qui se dévoilera au temps de la Délivrance. Seulement, une telle intensité spirituelle ne peut être intégrée sans préparation adéquate. C'est cela la Galout, l'exil. Pendant cette période, ce niveau d’Igoulim est présent mais D.ieu, pour notre bien, pour que nous n'y soyons pas totalement annulés, nous le cache. L'exil procède donc d'un dévoilement divin encore plus grand que celui qui avait court lorsque le Temple était encore debout. Cependant, l'obscurité de l'exil permet à cette lumière divine de se répandre discrètement jusqu'à ce que nous soyons prêts à la recevoir effectivement lors du dévoilement du Machia'h.

En attendant, la conséquence de ses « Igoulim », cette lumière qui marie les contraires, c'est qu'effectivement, nous pouvons en temps d'exil dans la même journée, ou la même heure parfois, avoir une profonde conscience des choses véritablement importantes, la Torah les Mitsvot et l'instant d'après, oublier tout cela comme si cela n'avait jamais existé et être totalement happé par ce monde matériel jusqu'à même parfois aller contre la Volonté de D.ieu !

Malgré tout, l'Admour Hazakène précise bien : ces réveils spirituels ne sont pas des fantasmes, des rêves. Ils sont vrais et procèdent de notre âme divine. Seulement, l'obscurité de l'exil nous empêche de faire durer ces éveils.

Nous devons donc prier que ce rêve (cauchemar ?) de l'exil prenne fin et que nous rentrions dans la réalité : la Délivrance vraie et entière...


[1] Téhilim 126.1.

[2] Parachat Vayéchev.

[3] Voir Chémoné Prakim du Rambam Chapitre 1.

[4] Psaumes 139.12.