Comme je l’ai écrit la semaine dernière, l’enseignante de ma petite-fille a donné comme devoir à sa classe d’interviewer des survivants de la Shoah. Ma petite-fille m’a appelée et m’a demandé : « Mamie, je peux venir t’interviewer ? »

J’ai commencé à vous livrer une partie de son rapport la semaine dernière et je continue ici où nous l’avons laissé.
 

Conversations avec mamie

Peu de temps après leur arrivée en Hongrie, les Allemands entassèrent tous les Juifs dans des ghettos. La rue dans laquelle vivaient mes arrière grands-parents, le Rav, Gaon et Tsaddik Avraham Halévi Jungreis et la Rabbanite et Tsadéket Miriam, devint le centre du ghetto.

Les Nazis rassemblaient des Juifs de partout et un grand nombre d’entre eux résidaient dans la maison de grand-mamie.

De nombreuses années plus tard, ma grand-mère prit la parole en Hongrie, et lorsqu’elle rendit visite aux lieux de son enfance, elle fut choquée de découvrir que la maison de ses souvenirs n’était en réalité qu’un petit appartement. Malgré sa taille réduite, mes arrière grands-parents, mus par leur amour pour chaque Juif, avaient réussi à trouver de la place pour tout le monde.

Une certaine femme attendait un bébé, et les Nazis avaient tué son mari. Les femmes enceintes encouraient un grand danger, les Allemands les tuaient directement. Au prix de grands risques, mes arrière grands-parents l’hébergèrent et la cachèrent dans leur maison. Le moment de la naissance venu, grand-mamie donna naissance au bébé, qui était malade et devait prendre des médicaments. Mon grand-oncle Yanky sauta par-dessus les murs du ghetto. C’était extrêmement dangereux, mais avec l’aide de D.ieu, il revint avec le médicament en main.

Lorsque les Juifs de ce ghetto furent déportés vers les camps de concentration, cette femme fut envoyée dans un camp près de Vienne. Le père de ma grand-mamie, le Roch Yéchiva, Rav et Gaon Tsvi Hirsch Hacohen, y était également incarcéré. Les Allemands, réalisant qu’ils perdaient la guerre, avaient désespérément besoin de fonds. En conséquence, ils proposèrent un pacte en étant prêts à vendre des Juifs pour un certain prix.

Rav Tsvi Hirsch était sur la liste pour être vendu, mais il céda sa place sur le camion le conduisant à la liberté à la veuve et son bébé. Elle était assise dans le camion à côté du Rebbe de Tselem, qu’elle finit par épouser. Ce petit garçon est devenu le révéré Rebbe de Tsélem d’aujourd’hui.

Un soir, les Allemands pénétrèrent dans le ghetto et, brisant la porte de la maison des mes arrière grands-parents, hurlèrent : « Juifs, sortez, sortez, vite, vite ! »

Zaida, mon arrière grand-père, réussit à emporter avec lui les Kitvé Yad, des manuscrits non publiés sur cinq traités du Talmud. C’étaient des œuvres monumentales remontant à sept générations, jusqu’au Rav et Gaon Mordékhaï Bennet. Zaida emporta également avec lui les Téfilines du saint Tsaddik, le Ménou’hot Ocher, le Rav et Gaon Osher Anshil Halévi Jungreis, qui remonte également à sept générations.

Pendant la période où il résida dans les camps de concentration, Zaida réussit à conserver ces deux objets précieux. Les moqueries étaient nombreuses : « C’est ce que tu as introduit clandestinement dans les camps ? Tu aurais dû emporter de la nourriture, de l’argent, des bijoux. Pensais-tu pouvoir imprimer ce manuscrit à Bergen Belsen ? Et les Téfilines - en quoi pouvaient-elles t’être utiles ? »

Mon arrière grand-mère me raconta qu’en dépit de ce scepticisme, chaque matin, à l’aube, des hommes faisaient la queue en risquant leur vie pour réciter une Brakha sur les Téfilines.

En 1947, mes arrière grands-parents, mamie et ses frères arrivèrent aux Etats-Unis avec leurs grands trésors - les Téfilines et les manuscrits. Quelques années plus tard, Zaida fit publier les manuscrits. Ces cinq traités sauvés par Zaida sont étudiés par de remarquables érudits en Torah aujourd’hui, et les Téfilines du Ménou’hot Ocher sont précieusement conservés, un héritage précieux de la famille, source de bénédictions.
 

La marche vers Bergen Belsen

Les Juifs furent transportés vers les camps de concentration dans des wagons à bestiaux. Des multitudes étaient entassées dans chaque wagon. Il n’y avait aucune infrastructure sanitaire. Il n’y avait ni nourriture, ni eau.

Le train qui conduisit la famille de grand-mamie à Bergen Belsen fit un arrêt avant d’arriver à destination. Les enfants furent séparés des adultes et forcés à faire une marche difficile. Grand-mamie, en compagnie des mes grands-oncles Yanky et Brudy furent contraints de marcher à pied jusqu’à Bergen Belsen. Or, Brudy était malade : il avait les oreillons et une fièvre élevée. Grand-mamie demanda à mamie et à ses frères de faire très attention à lui, de le porter tout le temps et de ne pas le laisser tomber. Conséquence : pendant cinq kilomètres, mamie et son frère Yanky portèrent Brudy jusqu’à ce qu’avec l’aide de Hachem ils se réunirent avec mes arrière grands-parents à Bergen Belsen.

Un spectacle horrible attendait ma grand-mère et sa famille à leur arrivée : des morts partout, et dans les baraques il n’y avait pas de lits pour dormir, uniquement des planches en bois. Six personnes se partageaient l’une de ces planches. La salle de bain se réduisait à un trou au sol rempli de rongeurs. La nourriture servie était du pain sec et un liquide horrible - une soupe faite de terre.

Grand-papi demanda à mamie si elle voulait faire une grande Mitsva. « Quel genre de Mitsva pourrais-je bien accomplir ici ? », demanda-t-elle.

  • Essaie de sourire, répondit grand-papi. Si les gens voient une petite fille sourire, ils en seront renforcés.

  • Mais comment pourrais-je sourire ?, demanda mamie. J’ai si faim, si froid, si peur.

  • Essaie, essaie, l’encouragea grand-papi.

Mamie tenta, et sourit.

Des années plus tard, mamie prit la parole à l’université d’Oxford en Angleterre. Une jeune étudiante lui posa une question : « Rabbanite, je lis vos livres et je sais combien vous avez souffert, et tout ce que vous avez traversé pendant la Shoah, et pourtant, vous souriez constamment. J’aimerais savoir : où votre sourire naît-il ? Dans votre cœur ou sur vos lèvres ? »

« Quelle question puissante, répondit mamie. Je pense qu’il commence sur mes lèvres, car, dans mon cœur, j’ai tant de soucis. Mais si je place ce sourire sur mes lèvres, de mes lèvres, il passe aux lèvres de quelqu’un d’autre et de leurs lèvres, il revient vers mon cœur. »

Tout au long du long cauchemar, Zaida et grand-mamie ont tout fait pour faire briller la lumière de la Torah dans le cœur de leurs enfants. Chaque jour, Zaida comptait les jours en référence au Chabbath. Zaida mangeait son morceau de pain sec juste pour pouvoir réciter les jours en référence au Chabbath, puis cachait le reste dans le but de le donner à mamie et ses frères le Chabbath. Il rassemblait sa famille et disait : « Kinderlakh, les enfants, c’est Chabbath ! » Il chantait alors Chalom Alékhem de sa voix douce et mélodieuse.

« Fermez les yeux, déclarait Zaida en Yiddish. Nous sommes à la maison, maman vient de préparer de délicieuses ‘Halot qui sont encore chaudes. »

Un Chabbath, le frère de ma mamie, Brudy, se mit à pleurer et dit : « Papa, papa. Où sont les anges ? Je ne vois aucun ange du Chabbath ici. » Zaida se mit à pleurer et répondit : « Vous, mes précieux petits enfants - vous êtes les anges du Chabbath. »

Cet enseignement n’a jamais quitté mamie. Par la suite, à chaque fois que l’heure de l’appel était venu et que les Nazis hurlaient : « Vous les Juifs, cochons ! » mamie se disait : « Non, je suis un ange de Chabbath ! »

A suivre