Un jour, j’ai reçu une lettre exprimant la gratitude d’une femme qui avait bénéficié, il y a de nombreuses années, de mon travail.

Pourquoi ai-je considéré ce geste comme inhabituel ? Ne disons-nous pas tout le temps « merci » ? J’aimerais pouvoir dire que la réponse est « oui », ou même, oui et non, mais mon expérience a montré que, très souvent, c’est non. Ce n’est pas un signe de malveillance ou de méchanceté. Mais, tout simplement, les gens n’y pensent pas.

Nous vivons dans une culture des droits. L’attitude prédominante, c’est : « Cela me revient, tu me le dois ». Contraste frappant, la Hakarat Hatov, la gratitude, est l’un des principaux piliers de notre foi. Dire un « merci » sincère n’a pas de limites. Il n’y a pas non plus de date d’expiration. Des milliers d’années se sont écoulées depuis notre Exode, mais jusqu’à aujourd’hui, lors du Séder, nous remercions D.ieu pour notre libération d’Egypte. Cet événement s’est certes produit il y a des millénaires, mais le sentiment d’être redevable et notre gratitude pour D.ieu sont immuables.

Je ne viens pas suggérer que tout le monde est ingrat. Nombreux sont ceux à exprimer sincèrement leurs remerciements. Mais ils sont bien plus nombreux à accepter des faveurs avec une attitude du « tout m’est dû », et ne ressentent aucune raison de manifester leur gratitude.

Le raisonnement est simple. Si je ne suis pas redevable, je peux choisir ma propre voie et agir comme bon me semble. Je ne suis lié à personne. Rien ne m’oblige.

Cette attitude a joué un rôle majeur dans la désintégration de la famille. Vous écoutez le langage devenu acceptable dans la plupart des foyers et une révulsion profonde vous saisit. Si ce n’est pas le cas, c’est parce que vous vous y êtes habitués.

De nombreuses lois de la Torah concernent nos relations à nos parents. Mais nous sommes trop occupés pour jeter un œil à ces enseignements « ancestraux ». Nous nous targuons de nos connaissances scientifiques et technologiques. Mais à quoi bon notre capacité à atteindre la lune si nous devons encore apprendre à atteindre le cœur ?

La Torah place l’honneur dû aux parents du même côté des Tables de la Loi que notre relation à D.ieu. Ce n’est pas innocent. Si les enfants ne savent pas comment se conduire avec leurs parents avec respect, ils ne seront pas non plus capables d’avoir un rapport à D.ieu.

Vous comprenez peut-être mieux pourquoi je vous ai cité cette lettre. Je pourrais écrire des volumes entiers sur les visiteurs qui se présentent dans mon bureau, remplis de colère et d’amertume. « J’ai prié et D.ieu m’a laissé tomber », se lamentent-ils. « Quel intérêt ? Je ne peux plus croire en Lui désormais. Je suis à bout. »

Et certains jeunes gens viennent se plaindre de leurs parents qui ne leur donnent pas le soutien financier dont ils s’estiment en droit de recevoir. Le Chalom Bayit disparaît lorsque la mère et le père ne tiennent pas leurs promesses. Cette attitude est, bien sûr, antithétique à une vie conforme à la Torah.

L’hébreu, la langue sainte, est le langage de D.ieu. Si nous pouvions nous concentrer sur le sens des mots, nous constaterions qu’ils sont riches de sens. Les termes hébraïques signifiant la gratitude, « Modé » et « Toda », signifient également « admettre ». Lorsque nous disons « Merci », nous admettons le fait que nous sommes redevables, nous reconnaissons la bonté et l’aide qui nous ont été prodiguées. C’est un aveu, venu du cœur, qui proclame haut et fort : « Nous sommes reconnaissants ».

Dans notre culture, nous n’avons pas de mal à dire « merci » au vendeur du magasin, au portier, au postier, au chauffeur de taxi, etc. C’est un mot de politesse que nous prononçons sans pensée ni sentiment. Mais combien, dans notre génération, peuvent-ils exprimer une gratitude réelle à leurs parents en déclarant du fond du cœur : « Je vous suis reconnaissant, merci beaucoup, maman et papa, pour tout ce que vous avez fait pour moi. »

Certains rétorqueront : « Mes parents ne m’ont jamais rien donné. Ils ont été une force destructrice dans ma vie. J’ai été élevé dans une famille dysfonctionnelle. Il n’y a aucune raison que je les remercie, ce serait une plaisanterie ! »

Le cinquième commandement ne stipule néanmoins pas que nous devons dire « merci » seulement si nous estimons que nos parents le méritent. Le commandement déclare haut et fort : « Honorez vos parents », un point c’est tout. Nous avons l’ordre de les honorer pour nulle autre raison qu’ils sont nos parents. Et ceci, en soi, est suffisant pour leur être reconnaissant à vie.

Notre incapacité à dire « merci » à nos parents a affecté notre relation à D.ieu. Chaque matin, il nous est prescrit de commencer notre journée par deux mots faciles « Modé Ani », témoignant notre reconnaissance envers Hachem pour nous avoir restitué notre âme. La plupart des Juifs ne récitent pas cette formule. Même parmi la minorité qui commence sa journée par la récitation de ces mots, la majorité se contente de les marmonner machinalement.

Les jours et les années passent, et nous nous enlisons dans la routine qui nous conditionne à penser que tout nous revient. Merci ? Pourquoi devrions-nous dire « merci » ?

Si nous voulons élever une génération qui sache dire « merci », il faut commencer tôt et enseigner à nos enfants à exprimer la gratitude pour chaque faveur reçue, même pour un biscuit ou un bonbon.

Les valeurs de l’existence ne peuvent se transmettre dans une salle de classe formelle. Aucune université ne se spécialise sur le sujet. De tels concepts doivent être enseignés par les parents qui en sont les exemples vivants et ont édifié leur foyer sur les piliers de la Hakarat Hatov.

La vie serait tellement différente si nous pouvions réaliser à quel point nous sommes riches des « petits » présents de la vie qui sont, en réalité, immenses. Ces cadeaux nous ont été offerts par D.ieu pour que nous puissions avancer dans une vie chargée d’un sens et d’un but, même lorsque la route s’avère cahoteuse et difficile.

Entrainons-nous nous-mêmes ainsi que nos enfants à comprendre que rien ne nous est dû et que nous devons être reconnaissants pour tout ce que nous possédons.