Je suis à Jérusalem, la ville que tout Juif devrait aimer. Le monde est devenu tout petit ; en un clin d’œil, nous pouvons traverser des continents. Nous appartenons à la génération qui peut visiter de nombreuses villes, villages, et lieux de villégiature. Au bout d’un temps, nous en sommes immunisés. Mais Jérusalem est différente.

Si vous êtes juifs, Jérusalem est dans votre sang. C’est une ville gravée sur votre cœur. Il y a des siècles, Yéhouda Halévi avait écrit : « Mon cœur est à l’est, tandis que je suis à l’ouest. » Peu importe où la vie nous conduit, nos cœurs sont restés pour toujours à l’est, à Jérusalem.

Lorsque j’étais une petite fille en Hongrie, je ne connaissais peut-être pas l’emplacement de Paris ni de Rome, mais je savais où se trouvait Jérusalem. Mes parents, de mémoire bénie, le Rav et Gaon Avraham Halévi Jungreis et la Rabbanite Miriam Jungreis, nous ont nourris du lait et du miel de Jérusalem. De nos jours, ils sont peu à avoir soif de cette douceur. Et pourtant, avec toutes les distractions offertes par la vie moderne, Yérouchalayim nous touche au cœur.

J’ai vu de mes propres yeux et entendu de mes propres oreilles la véracité de cette relation entre le Juif et la ville sainte.

Je prenais la parole à la Grande Synagogue de Jérusalem. Il n’y avait pas de place libre et malgré l’heure tardive, les gens continuaient à affluer. De nombreuses personnes s’attardèrent après mon discours. Certains cherchaient des conseils. D’autres voulaient juste parler.

Ils me demandèrent surtout des bénédictions : pour trouver un conjoint, pour une bonne santé, pour la Parnassa. Ensuite, une grande et belle jeune fille blonde s’approcha de moi. Elle pleurait. Quelque chose me poussa à lui demander : « Êtes-vous juive ? » Avec une voix entremêlée de larmes, elle murmura : « Je suis convertie. Je suis venue à Jérusalem pour faire partie du peuple juif. »

Elle expliqua qu’elle venait d’un pays où les Juifs avaient été battus et torturés, mutilés, estropiés, et tués pendant la Shoah. Mais son âme lui murmura un message : « Va rejoindre le peuple qui s’est tenu au Sinaï ; va à Jérusalem ! »

Je pensai naturellement qu’elle recherchait une bénédiction pour trouver un bon parti. « Non, non, protesta-t-elle, je ne suis pas venue pour cela. Vous venez juste de raconter une histoire qui a pénétré mon âme. Bénissez-moi de grâce de l’aptitude à ne pas oublier. »

Et elle me répéta l’une des histoires que je venais de raconter.

C’était l’histoire d’une mère qui avait perdu son mari et onze de ses enfants à Auschwitz. Elle avait fait son Aliyah, mais ne trouvait pas de repos. Elle n’arrivait pas à dormir ni à travailler. Elle n’arrivait pas à accepter son destin.

Elle alla consulter un Rebbe, peut-être pourrait-il lui offrir une forme de consolation. Elle déversa ce qu’elle avait sur le cœur et décrivit chacun de ses enfants. Le Rebbe écouta et pleura avec elle. Il dit ensuite quelque chose d’incroyable : « Je crois avoir vu quelqu’un parmi les enfants nouvellement arrivés et installés dans un Kibboutz qui correspond à la description de votre Dovid ! »

Le Rebbe lui assura qu’il essaierait de retrouver la trace de l’enfant.

Quelques jours plus tard, le Rebbe l’appela. « J’ai peut-être des bonnes nouvelles pour vous », lui annonça-t-il. Le cœur battant, elle retourna au domicile du Rebbe - et y retrouva son petit garçon.

« Dovid, Dovid ! » hurla-t-elle. « Maman, maman », s’écria-t-il en pleurant tout en courant dans ses bras. Lorsque le petit garçon reprit sa respiration, il posa une question douloureuse : « Où est mon père ? Et où sont Moichélé et Ro’hélé ? » Alors que Dovid énumérait les noms de tous ses frères et sœurs, il pleura avec sa mère sans pouvoir s’arrêter. Ils continuèrent à pleurer longtemps dans la nuit.

En relatant cette histoire, je fis remarquer au public que les enfants et petits-enfants de Dovid n’ont aucun souvenir de ceux qui les ont précédés. De même, nous arrivons en Israël, descendons en toute hâte de l’avion, prenons nos bagages, et nous mettons en route pour Jérusalem. Et à quoi pensons-nous ?

Nous sommes affairés à nous demander : « Où peut-on bien manger ? Y a-t-il de nouveaux restaurants ? Avez-vous essayé ce nouvel hôtel ? Vaut-il le prix payé ? »

Mais est-ce que quelqu’un se demande : « Où est le Beth Hamikdach (Temple) ? » Est-ce que quelqu’un a vraiment la nostalgie du Beth Hamikdach ? Est-ce que quelqu’un le recherche ? Est-ce qu’on y pense ? Est-ce qu’on veut s’en souvenir ?

La jeune fille devant moi m’implora, les larmes aux yeux : « De grâce, Rabbanite, donnez-moi une Brakha (bénédiction) pour que je n’oublie jamais de pleurer pour le Beth Hamikdach. J’ai si peur d’oublier et de devenir insensible à sa perte. Je ne veux pas ressembler aux enfants de Dovid. »

Je l’observai en silence. Elle m’avait coupé le souffle. Je ne souviens pas que l’on m’ait déjà demandé une telle Brakha : être capable d’être constamment conscient de la présence du Beth Hamikdach, et, oui, pleurer pour lui.

Pendant des milliers d’années, nous avons prié, pleuré et espéré Yérouchalayim. Revoir Yérouchalayim, assister à la reconstruction du Beth Hamikdach, a toujours été au centre de nos prières. Au cours des mariages, en pleine joie, nous cassons un verre pour nous souvenir du Temple qui n’est plus. Lorsque nous peignons nos maisons, nous laissons un espace vide pour nous remémorer qu’aucune maison ne peut être parfaite si le Temple n’a pas été reconstruit.

Nous avons mille et un rappels dans nos prières, nos traditions, notre pratique, qui rappellent constamment Jérusalem et le Saint Temple. Or, depuis que nous avons à nouveau Jérusalem, nous avons en quelque sorte oublié notre rêve - le Beth Hamikdach pour lequel nous avons prié et continuons à prier.

Malheureusement, les prières pour le Temple sont devenues de simples mots récités par habitude. Et voici une jeune fille, novice dans notre foi, qui recherche une bénédiction, non pas pour trouver un mari, ni pour la subsistance, ni pour la santé, ni pour le bonheur, mais pour la faculté à verser des larmes et aspirer à la reconstruction du Beth Hamikdach. Nous devrions marquer une pause, prendre le temps de réfléchir et de méditer.

Ne devrions-nous pas demander à nouveau, sans relâche : « Où est le Beth Hamikdach ? ». Il me manque tellement. Je suis à Jérusalem, mais la couronne resplendissante de la Vieille Ville est absente, et ma joie ne peut être complète tant que je n’assiste pas à la restauration de sa gloire.