Dans un article du New York Times, on demanda à un certain Marshall Duke, psychologue à l’université Emory de se pencher sur les rituels et les mythes chez les familles américaines. Résultat, les enfants qui en savent beaucoup sur leur famille et leur histoire ont tendance à mieux surmonter les situations difficiles. « Plus les enfants connaissent l’histoire de leur famille, plus ils savent gérer leurs vies, plus leur confiance en eux est forte et ce sont ceux qui estiment avoir eu une famille heureuse et prospère. »

Duke et ses collègues testèrent donc la connaissance des enfants sur l’histoire de leur famille. Voici quelques exemples de questions faciles qui leur furent posées :

« Sais-tu où tes grands-parents ont grandi ? Sais-tu dans quel collège tes parents ont étudié ? Sais-tu où tes parents se sont rencontrés ? Es-tu au courant d’une maladie ou d’un événement tragique qui s’est produit dans ta famille ? Connais-tu l’histoire de ta naissance ? »

Plus l’enfant savait répondre aux questions, plus cela témoignait de sa santé émotionnelle et de sa résistance.

Ils étudièrent également différents types de récits familiaux et conclurent que les plus utiles et précieux étaient les récits de famille « oscillants », du genre :

« Mon chéri, laisse-moi te raconter les hauts et les bas de notre famille. Nous avons monté un business familial. Ton grand-père était un pilier de notre communauté. Ta mère était membre du comité central de l’hôpital. Mais nous avons aussi essuyé des revers. Un de tes oncles fut arrêté. Notre maison fut, un jour, réduite en cendres. Ton père perdit son travail… Mais peu importe les circonstances, notre famille est toujours restée unie. »

Cet article me trottait dans la tête à l’approche de Pessa’h. Je réalisai que le peuple Juif avait enduré bien des épreuves. Nos enfants connaissent l’histoire de leur famille par le biais des histoires que nous répétons chaque année, lorsque nous leur enseignons la Bible. Le récit de notre famille est de loin, le plus « oscillant ».

Pendant Pessa’h, j’ai lu la Haggada du Grand-Rabbin d'Angleterre, rav Jonathan Sacks. Le paragraphe suivant se détachait, alors que je gardais à l’esprit l’idée du récit « oscillant » :

« Ce n’est pas par hasard que le Livre de la Genèse parle longuement des familles et du mariage : Adam et ‘Hava, Noa’h et sa famille, Avraham et Sarah, Its’hak et Rivka, Ya'acov, Ra’hel et Léa… Bien que maîtrisant les histoires de la Bible, nous nous arrêtons rarement pour considérer à quel point cela est étrange. Étrange, mais en réalité, unique. Chaque autre texte, jusqu’à l’ère moderne… évoque des héros épiques, des divinités et des semi-divinités, des personnages aux forces et aux pouvoirs légendaires. L’originalité remarquable du Livre de Genèse est que ses héros et héroïnes sont des personnes ordinaires, dans des situations ordinaires, qui parvinrent à accomplir l’extraordinaire, non pas grâce à leurs pouvoirs, mais à leur loyauté envers autrui et envers D.ieu. »

La Haggada est un exemple encore plus marquant du récit familial juif « oscillant ». Le rav Sacks écrit que bien que la majorité des Juifs n’assistent pas à des cours de Torah et n’étudient pas la Torah, nombreux sont ceux qui restent fortement attachés à la fête de Pessa’h et qui feront tout pour assister à un Séder, afin d’entendre l’histoire de la sortie d’Égypte.

Selon lui, la Haggada et l’histoire de l’exode ont eu un impact primordial sur le peuple Juif ainsi que sur la société occidentale en général. Bien au-delà de l’histoire même, il y des répercutions sociales, politiques et religieuses. C’est aussi ce qui a maintenu le peuple juif et ce qui nous a rendus forts et résistants, comme aucune autre histoire biblique, en évoquant les sujets de liberté, de justice sociale et le fait que la force ne prime pas de droit.

Arami oved Avi, et plus particulièrement le texte de Vehi Ché’amda ne sont que deux exemples de la liturgie « haggadique » qui relatent les tribulations du peuple juif.

C’est ce qui se maintint pour nos pères et pour nous ! Car il ne s’agit pas seulement d’un [peuple] qui se leva contre nous pour nous anéantir, mais dans chaque génération, ils se levèrent contre nous pour nous anéantir ; et le Saint Béni soit-Il, nous sauve de leurs mains !

Sors et apprends ce que Lavan, l’Araméen voulut faire à notre père Jacob. Pharaon avait émis un décret contre les enfants mâles, mais Lavan voulut anéantir tout le monde – comme il est dit : « L’Araméen voulut détruire mon père ; et il descendit en Égypte et y séjourna, en petit nombre ; puis il devint là-bas un peuple – grand, puissant et nombreux. »

Il semblerait que les psychologues viennent de découvrir quelque chose que nous savons depuis des millénaires. Le peuple Juif aurait-il eu le monopole du récit familial « oscillant » grâce à notre Torah ? Quelle autre nation possède un « livre d’histoire » qu’elle répète chaque année ? C’est certainement une des nombreuses raisons qui explique pourquoi les familles juives sont célèbres pour leur force et sont souvent protégées des défis que d’autres familles rencontrent.

Continuons de raconter à nos enfants les histoires concernant nos épreuves et la façon dont nous les avons surmontées, ainsi que les tribulations du peuple Juif, afin de les garder forts et émotionnellement sains et de les aider à affronter les défis quotidiens.

Adina Soclof