Question d'une internaute : Il y a un an et demi, ma fille a fait une tentative de suicide. Elle a ouvert la fenêtre et si je n'étais pas arrivée à temps, je crois qu'elle serait passée à l'acte. Son père et moi l'avons amenée d'urgence à l'hôpital en service psychiatrique et elle a été traitée. Mais le plus difficile, c'est la suite. Mon mari et moi sommes très paniqués et nous avons peur qu'elle recommence. Apparemment, elle aurait subi un chagrin d'amour qui l'a amenée à un tel acte, mais elle refuse de rentrer dans les détails. Elle qui était tellement heureuse et bien dans sa peau, la voilà sous médicaments. Elle ne peut pas se lever avant 14h (j'ai dû l'inscrire dans une école spécialisée) et elle a pris énormément de poids. Son père et moi sommes totalement désemparés, merci de nous aider.

La réponse de Mme Nathalie Seyman

Tout d’abord, je voudrais vous dire combien je compatis à la terrible épreuve que vous vivez et qu’aucun parent ne devrait connaître. Votre fille a appelé à l’aide et aujourd’hui il convient de comprendre pourquoi et ce qui se passe en elle afin de pouvoir lui apporter la meilleure aide possible et que cet épisode ne soit désormais qu’un mauvais souvenir.

Le chagrin d’amour chez un adolescent

Vous avez pu apprendre que votre fille avait subi un chagrin d’amour. Les adolescents n’appréhendent pas les peines de cœur de la même façon que les adultes. Etre adulte, c’est savoir qu’il y a quelque chose derrière une rupture et derrière le chagrin que l’on ressent. On sait qu’on se remet de tout, que le temps fera son travail et qu’on finira par se relever.

Or un adolescent n’a pas conscience de l’après. Pour lui, il n’y a pas de continuité, c’est une fin, sa vie est brisée et il n’y a plus aucun espoir. Il est totalement absorbé par son malheur. C’est pourquoi il ne faut jamais banaliser le chagrin d’amour d’un adolescent. En tant que parents, on aurait tendance à vouloir réagir avec légèreté en lui assurant qu’il n’y a rien de grave et qu’il « en verra d’autres », mais il s’agit d’une très mauvaise réaction. Il faut compatir à sa peine, le laisser éprouver du chagrin sans jamais chercher à le minimiser et être présent au moment où il ressent l’envie de se confier.

Comment différencier un simple chagrin d’une vraie dépression ? Tout est une question de durée. Au bout d’un mois, si son état ne s’est toujours pas amélioré, il faut alors s’inquiéter. L’adolescent peut basculer dans une pathologie plus sérieuse si cette rupture intensifie un important manque d’estime de soi et une personnalité fragile et sensible. L’échec amoureux sera alors vécu comme l’échec global de toute sa vie avec une telle souffrance morale qu’il pourrait perdre pied. Une aide psychologique chez un thérapeute sera alors indispensable. Mais il faut bien comprendre qu’un adolescent ne devient pas dépressif à cause d’une déception amoureuse. Si une pathologie aussi grave se déclare, c’est qu’elle était là avant. La rupture est alors un révélateur.

La tentative de suicide chez l’adolescent

Autant un enfant parle plus ou moins à ses parents, autant un adolescent ne se livre pas. C’est sa façon de se détacher de l’objet parental afin de se construire une identité propre. Il est donc très difficile de savoir d’une façon précise qu’un adolescent va mal. Plusieurs signes peuvent nous mettre sur la voie, tels qu’un isolement trop important, un désinvestissement scolaire, une conduite agressive, des plaintes répétitives à propos de maux de tête, de ventre, etc. Un changement brusque dans son comportement également (d’un coup il est heureux et a l’air de se sentir parfaitement bien) peut inquiéter, car il arrive qu’après avoir pris la décision de mettre fin à leurs jours, les adolescents paraissent apaisés d’avoir trouvé « une porte de sortie » à leurs souffrances.  Car ce qu’il faut bien comprendre, c’est que lorsqu’un adolescent tente de se suicider, il a rarement envie de mourir : il cherche plutôt un moyen de cesser de souffrir tant ce qu'il vit est intolérable. C’est pourquoi il faudra s’employer à lui apprendre qu’il y a d’autres issues pour en finir avec ce désespoir qui l’accable.

Mes conseils

Le but va être de créer, par le dialogue et la confiance, un processus de responsabilisation de l’adolescent afin de l’ouvrir à d’autres solutions pour se sentir mieux dans sa vie.

- Commencez par discuter avec elle et l’aider à s’exprimer sur ce qu’elle ressent aujourd’hui et sur sa tentative de suicide. N’hésitez pas à lui faire part de vos craintes qu’elle ne recommence et de votre douleur face à ce qui s’est passé. Même si elle ne veut pas parler, faites-le de manière progressive et patiente : vous créez un moment propice au dialogue et commencez à parler d’une chose banale et qui prête à sourire. Puis commencez à parler petit à petit de vos sentiments. Cela doit être progressif. Et n’hésitez pas à recommencer le lendemain si cela n’a pas fonctionné. Il est important de vivre dans une ambiance de confiance afin qu’elle comprenne que, dans des moments difficiles, elle peut parler et qu’elle sera écoutée.

- Soyez disponible pour elle mais avec des limites. Même si c’est très difficile, il va falloir lui faire confiance si elle vous dit qu’elle n’a pas l’intention de recommencer. Car il n’est pas sain de vivre dans cette inquiétude constante.

- Par contre, ne la laissez pas s’isoler trop longtemps de manière énigmatique. Le contact ne doit pas être perdu entre vous et votre fille, car c’est avec sa solitude que s’intensifient ses pensées négatives.

- Les parents ont un rôle à jouer par leur valeur de modèle. Il faut être présent sans être harcelant ou constamment derrière eux, mais savoir garder du temps pour eux, pour parler, partager, jouer. Ils doivent renvoyer une image positive de ce qu’est la vie.

- Elle ne doit pas vivre constamment sous médicaments car elle ne pourra alors jamais vraiment s’en sortir et sera prise dans un cercle vicieux. Il faut qu’elle soit suivie très consciencieusement par un thérapeute spécialisé qui devra lui diminuer ses doses progressivement afin qu’elle parvienne à s’en sortir par elle-même. La prise de poids ainsi que le fait de dormir beaucoup sont des symptômes de la dépression et/ou des effets secondaires des médicaments. D’où l’urgence de parvenir à les stopper et traiter son état dépressif par un suivi psychologique et psychiatrique.

- Allez ensemble à des cours de Torah. Dans le judaïsme, le suicide est un acte grave car la vie étant un cadeau de D.ieu, seul Lui dispose du droit de la reprendre. Il est nécessaire qu’elle l’entende. Au-delà de ça, des enseignements de Torah peuvent lui donner une vision de la vie plus positive, renforcer sa Emouna (sa foi en D.ieu) et l’aider à traverser son épreuve avec plus de force et d’espoir.

- Peut-être aurait-elle besoin d’une rupture complète avec son environnement ? Elle trouvera alors peut-être les armes nécessaires pour se reconstruire : un séminaire d’étude, un centre spécialisé, un séjour pour quelque temps dans un endroit où elle se sent bien…

- Priez Hachem de tout votre cœur pour que la vie de votre fille retrouve le chemin de la lumière. On ne se rend pas compte du pouvoir de la prière lorsque l’on est confronté à une difficulté et en particulier lorsque cela concerne nos enfants.

Il est normal en tant que parents de se sentir désemparés et impuissants face à cette situation et de ne pas savoir quoi répondre ni comment réagir. Mais avec beaucoup de patience, de prière et d’amour, votre fille en sortira grandie et comprendra que la vie est un cadeau précieux.

Béhatsla’ha !

Si vous avez une question à poser à la psy, envoyez un mail sur l'adresse suivante [email protected]. Mme Seyman essaiera d’y répondre et la réponse sera diffusée de façon totalement anonyme.