Activité : mère, grand-mère et arrière grand-mère à plein temps

Âge : 74 ans

État civil : mariée + 11 enfants et de très nombreux petits et arrière petits-enfants

Nationalité : française


Mme Blum est la fille du docteur Charles Merzbach, qui a participé à la renaissance du judaïsme français du Paris d’après guerre, et de Elle Suzy Meyer, la petite dernière de la grande famille Meyer d’Alsace.

Son ascendance, qui remonte jusqu’à Rachi, est parsemée d’érudits qui ont subi les affres de l’Exil, depuis les Croisades jusqu'à la Shoah.

Elle a grandi à Paris, avec ses 9 frères et sœurs, dans un immeuble cossu de l’avenue Malakoff, auprès de parents exceptionnels, qui ont transmis à leurs enfants joie de vivre, ténacité, et un amour sans limites pour la Torah.

Elle est la grand-mère rêvée. Toujours du temps pour vous : sa porte est ouverte Chabbath et en semaine à qui en a besoin.

Elle a côtoyé pendant 30 ans la Rabbanit Kanievsky, assise à ses côtés lors de la Téfila, à la synagogue Ledermann de Bné Brak.

Quand elle vous parle de Emouna (foi en D.ieu), la résonance de ces mots prend chez elle une tout autre dimension. Les racines sont très, très profondes…

Mme Blum, merci de nous recevoir. Vous avez fondé une très grande et très belle famille. Quand vous étiez enfant, ou jeune adolescente, vouliez-vous également, comme votre maman, une famille nombreuse ?

Pas du tout ! (rires) Bien sûr que je ne voulais pas !

Pour ma mère, la vie c’était essentiellement son mari et ses enfants. C’était une femme heureuse et épanouie, mais qui ne cherchait rien pour elle-même.

Moi, pas du tout : je voulais profiter de la vie et de tout ce que le monde offre. Théâtre, peinture, une profession qui me plaise.

J’avais des dons que je voulais développer. La culture française m’attirait beaucoup.

Vers 16 ans, j’ai commencé à me rendre compte que ce que me proposait la société française d’une part, et, de l’autre, les valeurs fortes de judaïsme de la maison de mes parents, n’étaient pas vraiment compatibles.

D’un point de vue intellectuel, j’avais des questions, même si, affectivement, je me sentais très attachée aux valeurs de mes parents.

Vos parents avaient des réponses à vos questions ?

Non. Mon père était médecin, et, bien qu’il recevait lui-même des jeunes pour les renforcer en Torah et leur parler de l’importance du Limoud (l’étude), leur prouvant la force et le génie de la Torah, pour mes questions spécifiques, il n’avait pas toujours les réponses.

Mais attention, j’avais une confiance totale en mes parents. Un jour, suite à l’une de mes questions, maman m’a répondu : « Je t’expliquerai lorsque tu seras plus grande ». Et bien cette réponse m’avait complètement satisfaite et apaisée ; je savais que ma mère me répondrait un jour.

Où avez-vous finalement trouvé les réponses ?

Au séminaire de Gateshead. Auprès des Rabbanim. Tout est devenu clair. J’ai compris là-bas que la culture occidentale (et tous ses attraits) enjolive la vie, mais qu’au final, elle ne rehausse l’homme, ni moralement, ni spirituellement.

La morale, dans sa conception occidentale, n’est là que pour faciliter la cohabitation entre les hommes, mais certainement pas pour les transformer en des êtres meilleurs.

C’est une approche diamétralement opposée à celle du judaïsme qui vise au perfectionnement incessant de la nature humaine.

Quels sont les principaux enseignements dont vous avez hérité de la maison de vos parents et que vous avez transmis à vos propres enfants ?

Il y a beaucoup de valeurs que j’ai vues, mais peut-être la plus importante c’est le Emèt - la vérité. Chez mes parents, même le mot « mensonge » ou « mentir » n’était pas utilisé. Il n’existait pas dans notre vocabulaire. Au pire, maman pouvait demander à un enfant : « Est-ce que c’est bien vrai ? ».

J’ouvre ici juste une parenthèse : il arrive que des enfants inventent et fabulent. Ce n’est pas du mensonge, et, à ce moment, il ne faut surtout pas leur coller une étiquette de menteur, ce serait très grave. Il faut apprendre à l’enfant à faire la différence entre son imagination et le réel.

Que conseillerez-vous à une jeune fille qui voudrait comme vous une grande famille ? Quelles sont les priorités ?

Vivre son idéal sans trop faire attention aux détails.

Il faut savoir que lorsque les enfants sont petits, on doit mettre certaines choses en sourdine. La maison ne pourra pas être rangée et propre comme on l’aurait souhaité. Il faut, dans une certaine mesure, assouplir sa personne et essayer de comprendre et d’apprécier la nature différente de chaque enfant.

De plus, j’ai utilisé avec mes enfants mes dons : je dansais et je dessinais avec eux, j’ai organisé un théâtre de marionnettes sur la Paracha, et j’ai installé une piscine dans mon salon l’été (oui, oui, mes enfants s’en souviennent encore !). J’organisais des concours de nettoyage veille de Pessa’h, tout ça dans la joie et la bonne humeur.

Donc, je me suis servie, dans le cadre de mon activité de maman, de mes aptitudes innées, et je n’ai jamais senti de frustration.

Mais il y a encore un point important lorsqu’on décide de se consacrer à une vie de Torah : il faut s’entourer d’amis qui ont vécu les mêmes expériences que nous, et d’un Rav avec lequel on peut prendre conseil ouvertement et qui nous comprenne parfaitement.

Vous êtes 11 fois belle-mère. Comment gérer de bons rapports avec beaux-fils et belles-filles ?

On devient belle-mère graduellement, et on a donc le temps de comprendre comment gérer de bonnes relations.

Mais, en effet, je me souviens ne pas toujours avoir compris des lignes d’éducation que certaines de mes belles-filles donnaient à leurs enfants. Au début, j’étais étonnée, et je ne comprenais pas. Mais, avec le temps, je suis en admiration devant ce qu’elles ont fait et les résultats obtenus.

Donc, vous n’intervenez jamais…

Si. Cela m’arrive. Je suis même une fois intervenue sur un sujet de Tsniout (pudeur) où je pensais qu’une de mes petites-filles n’était pas suffisamment couverte. Ma belle-fille a été très blessée, et mon fils m’a demandé de ne plus intervenir sur ces sujets. Et bien, je me suis excusée, sincèrement.

Nous avons aujourd’hui d’excellentes relations. Je sens qu’elle m’aime. On se demande mutuellement des conseils, et j’ai beaucoup de plaisir à parler avec elle. Elle a une vision différente de la mienne, et ça m’enrichit.

Chaque être est un tout. Et même si j’ai moins d’affinité avec l’une ou l’autre, je regarde ses qualités.

J’en ai une qui est très propre, rangée et économe. J’apprécie beaucoup ces qualités. Je lui ai dit l’autre jour : “Tu sais, sans toi, mon fils ne pourrait pas étudier comme il le fait. Tu le mets dans des conditions optimales.”

Mais j’ai beaucoup de chance : ils sont tous adorables !

Vous avez une ligne de téléphone réservée uniquement pour vos enfants et petits-enfants. Ils prennent conseil avec vous ?

En fait, c’est par praticité. Le soir, je ne réponds plus au téléphone, mais cette ligne reste ouverte. Je suis donc disponible pour mes enfants et petits-enfants. D’ailleurs, l’autre soir, ma belle-fille m’a appelée, car ma petite-fille était sur le point d’accoucher. J’ai filé à l’hôpital : ils étaient tous épuisés et j’ai un peu relayé.

Quelle école fréquentiez-vous dans le Paris d’après guerre ? Il n’y avait pas de Beth Ya’acov à l’époque...

J’allais à l’école Yavné, qui était une école juive, mais pas spécialement religieuse. Les classes étaient mixtes, et beaucoup d’enfants venaient de familles non-pratiquantes. Ces écoles juives, à mes yeux, ont été quelque chose de très positif, car elles ont donné des racines juives à des enfants qui auraient pu complètement s’assimiler.

Pour moi, qui venais d’une maison orthodoxe, il était clair qu’à la récréation je ne pouvais pas me mêler aux discussions des garçons et des filles qui parlaient ensemble, et c’était difficile, car je n’aimais pas passer pour la petite « sainte », la Tsadika.

Mais je dois dire qu’évoluer dans un milieu scolaire non-pratiquant ne nous a fait aucun mal, à moi et à mes frères et sœurs, au contraire, se fut l’occasion de confronter, d’affirmer, et de consolider nos valeurs.

Vous priez chaque matin à la synagogue Lederman de Bnei Brak. Pendant près de 30 ans, vous étiez assise à côté de la Rabbanit Kanievsky. Qu’est-ce qui la caractérisait ?

L’amour des autres. Elle aimait tout le monde.

Mais qu’est-ce que ça veut dire « aimer » ? Ça veut dire vouloir le bien-être de l’autre. Et elle, elle voulait le bien de chacun.

Une fois, je lui ai demandé de prier pour ma belle-fille qui était sur le point d’accoucher, et ça tardait. Quelques jours ont passé, et elle me demande : « Alors, votre belle-fille a accouché ? Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? Je me faisais du souci. »

C’était complètement sincère : elle prenait à cœur.

Je lui ai répondu : « Rebetzin, je ne voulais pas vous déranger, vous êtes tellement sollicitée. »

Elle était très méticuleuse dans chaque Mitsva, et, pourtant, elle savait se fondre dans le Klal, avec simplicité, se comportant comme tout le monde.

Elle était également d’une humilité incroyable. Un jour, une touriste américaine est venue la voir, et la Rabbanit lui a demandé pourquoi elle ne s’installerait pas en Israël. Une fois la personne partie, j’ai demandé : « Excusez-moi, Rabbanit Kanievsky, peut-être cette femme fait un travail incroyable de “Kirouv” (rapprochement des juifs au judaïsme) aux USA ? Pourquoi la faire venir ici ? »

Et bien, elle m’a répondu, tout simplement : « Rabbanit Blum, vous avez raison ! »

Il y avait une pauvre femme qui avait passé tous les malheurs du monde qui venait de temps en temps à Bnei Brak pour ramasser de la Tsédaka. Si elle ne savait pas où passer la nuit, elle allait dormir chez la Rabbanit. Comme l’appartement était très petit, elle lui réservait l’entrée du logement, et, au petit matin, lorsque le Rav Kanievsky se levait, la Rabbanit veillait à ce qu’elle soit bien couverte.

Cette femme n’avait malheureusement pas d’hygiène corporelle, et la Rabbanit lui faisait sa toilette. Elle a pu lui donner des soins que seule une mère pourrait prodiguer à un petit enfant.

Je le sais de source première.

Vous avez écrit une biographie passionnante qui raconte votre enfance et la maison de vos parents. Lors d’un passage, vous décrivez votre maman, à la sortie du Chabbath, après la Havdala, qui regardait par la fenêtre et espérait le voir arriver (le Machia’h)…

La foi chez vous et vos parents, ce n’est pas de la théorie. Mais du vécu. Au quotidien, dans la vie de tous les jours. De là vient votre sérénité ?

Vous me voyez sereine, mais je pense que je ne le suis pas assez. Après avoir vu à milles reprises comment D.ieu gère le monde, je m’en veux de ne pas l’être plus.

Bien sûr, il y a des problèmes, mais ils ne sont là que pour nous rapprocher de Lui, car, au final, c’est Lui qui arrange tout. Et à mon âge, avec mon expérience et mon vécu, c’est tellement flagrant. Avec le temps, je me rends compte que tous les soucis n’étaient là que pour me rapprocher de Lui et faire de la Téfila.

Mais attention, je pense qu’il faut chercher des solutions, on est dans ce monde-ci pour travailler ! On ne doit pas attendre passivement que les choses s’arrangent d’elles-mêmes. Mais parfois, après avoir essayé de solutionner un problème, il faut savoir accepter le dénouement, même si, a priori, on ne l’aurait pas choisi. Et on verra au bout du compte que c’était pour le bien.

Vous avez atteint vos objectifs…

Ce qui est sûr, c’est que je sens une plénitude intérieure, je suis en harmonie avec moi-même. La Torah n’a rien frustré en moi, bien au contraire : elle m’a discipliné et m’a permis d’exprimer mes forces. Je remercie Hachem.

Avant de nous quitter, Mme Blum me fait découvrir une petite pièce secrète : elle a aménagé sous l’escalier intérieur de son appartement, une pièce grandeur de poupée, avec des jeux, chaises et table à dimension réduite, où ses petits-enfants peuvent jouer lorsqu’ils viennent la visiter.

Mme Blum, ou l’art d’être grand-mère.