Quand on sait que le taux de natalité de la ville sainte équivaut au double de celui de Tel-Aviv, on se dit qu’il serait intéressant de suivre pour quelques heures une obstétricienne hiérosolymite ! Dr Alon nous fait partager son quotidien.

« Il est 8h30. Une réunion importante avec les autres médecins vient de s’achever et je peux commencer ma tournée au sein du service de maternité du grand hôpital de Jérusalem dans lequel je travaille.

Dès la première chambre, je rencontre un cas intéressant : une jeune accouchée est assise sur son lit, de dos, et pleure silencieusement. Non, tout va bien (« Juste un peu fatiguée », précise-t-elle tout en séchant ses larmes), son bébé aussi est en bonne santé grâce à D.ieu, elle est même prête pour sa sortie de l’hôpital, dans quelques heures. Le problème, c’est qu’elle n’a pas où aller… Elle devait se rendre chez sa mère pour se reposer quelques jours mais… celle-ci vient d’accoucher dans un autre hôpital ! Elle ne se voit pas rentrer directement chez elle et assumer son bébé, ses autres enfants en bas âge, la maison, etc. Je lui conseille de séjourner quelques jours dans une maison de repos pour accouchées (un « Beth Ha’hlama », interrogez n’importe quelle femme orthodoxe en Israël, elle vous expliquera ce que c’est) et je vois que l’idée lui plaît bien. Je me dépêche de demander à l’assistante sociale de régler les papiers et les détails administratifs et voilà notre jeune femme rassurée et à nouveau souriante. Mission accomplie, nous pouvons passer à la chambre suivante… »

Dans les couloirs, Dr Alon nous explique qu’elle a travaillé dans le passé en tant que chef de service au Beth Ha’hlama de Telz-Stone. Elle se souvient d’une tournée faite en compagnie du Rav Yaakov Bloï en veille de Yom Kippour. Il s’agissait de définir qui parmi les femmes était en mesure de jeûner et qui en était dispensée. Elle se rappelle avec le sourire que le Rav Bloï l’avait à cette occasion taxée d’être « trop rigoureuse à son goût », car elle était d’avis que certaines femmes pouvaient tout à fait jeûner intégralement tandis que lui-même donnait la permission de briser le jeûne dans de nombreux cas. C’est d’ailleurs à Telz-Stone que Dr Alon a découvert que la plupart des femmes de Jérusalem ne jeûnent pas en dehors de Yom Kippour (voir Ticha’ Béav pour les plus strictes !) : « Elles sont soit enceintes, soit en train d’allaiter ! », dit-elle en riant.

Nous voilà dans une autre chambre. Et là, surprise ! Une mère et sa fille ont toutes deux accouché à quelques heures d’intervalle. Là au moins, la mère se trouve à proximité pour donner un coup de main à sa fille… 

« La tournée achevée, je monte dans l’ascenseur pour entamer ma visite au service gynécologie. Dans les couloirs, une femme d’une cinquantaine d’années m’accoste pour me présenter le genre de requêtes qui vous réveille, où cas où vous vous seriez endormie : "Ma fille vient d’accoucher, me dit-elle, et j’ai assisté à l’accouchement. Je ne sais pas pourquoi, mais c’était tellement merveilleux que j’ai été prise d’une envie incontrôlable de tomber à nouveau enceinte ! Serait-il possible que vous me receviez pour des traitements de fertilité ?" Contrairement à l’infirmière qui se tient à mes côtés, je ne suis pas choquée outre mesure. Ma foi, ce n’est pas la première fois de ma carrière que j’entends des choses pareilles. Je lui tends ma carte, en lui précisant bien toutefois que les chances de procréer à son âge sont très faibles. Elle fait fi de ma remarque et me remercie chaudement.

Encore quelques femmes alitées avec lesquelles je prends le temps de m’entretenir, d’autres qui me posent des questions au comptoir de l’accueil. La patience de ces infirmières qui répondent au téléphone, préparent des boissons chaudes et se font parfois admonester pour ne pas avoir répondu à l’une des multiples requêtes des malades me surprendra toujours !

La matinée est passée à toute vitesse, je n’ai même pas eu le loisir de prendre une pause. Je raccroche mon téléphone et file en voiture à Méa Chéarim, là où je reçois mes patientes en dehors de l’hôpital. La salle d’attente n’est pas encore pleine, grâce à D.ieu. La secrétaire me sert un café et me supplie de prendre un peu de repos avant de commencer les consultations. Debout depuis 6h ce matin, autant vous dire que je ne me fais pas prier…

Les femmes se succèdent les unes après les autres, certaines pour des conseils en contraception compatibles avec les exigences de la Halakha, d’autres pour des questions de fertilité, d’autres pour de simples ordonnances. Entre deux, je reçois une femme de quarante ans tout juste, enceinte de jumeaux, dont la fille vient de se fiancer. Elle souhaite connaitre précisément sa date d’accouchement afin de ne pas se retrouver en salle de travail pendant que sa fille sera dans la salle de mariage…

Quelques femmes se succèdent encore. Et me revoilà face à mon amie de ce matin, celle rencontrée au détour d’un couloir au service gynécologie de l’hôpital. Elle me réexplique que la vue de sa fille en train de tenir dans ses bras son bébé et l’allaiter a réveillé chez elle un instinct qu’elle croyait disparu et qu’elle se met à rêver du jour où elle aussi pourra à nouveau tenir son propre bébé dans ses bras. Je l’écoute attentivement. Puis, avec tout le tact du monde (du moins tout le tact dont je puis faire preuve à la fin d’une journée-marathon comme aujourd’hui), je lui explique que cinquante ans est ce que l’on appelle l’âge d’or, qu’elle a tant de choses auxquelles aspirer à son âge et que beaucoup d’énergie lui est désormais nécessaire afin d’accomplir son nouveau rôle de grand-mère. Que neuf enfants, c’est déjà très bien ! Bref, qu’il faut renoncer à ces idées farfelues. Mais elle, campe sur ses positions. Elle veut un enfant, un point c’est tout. Vaincue, à bout de forces, je lui donne rendez-vous dans une semaine. Ces femmes de Jérusalem, décidément, elles me surprendront toujours… ! »

Adapté par Elyssia Boukobza