Nous sommes en pleine Égypte il y a environ 3400 ans. Les Juifs sont sous l’emprise des Égyptiens qui les font travailler dur du matin jusqu’au soir sans recevoir aucun salaire, ni aucune compensation. C’est l’esclavage total. Puis, Pharaon sort un décret abominable : “Tous les nouveau-nés garçons devront mourir noyés dans le Nil !” Et là, le désespoir s’empare de chacun. À quoi bon continuer de vivre dans ces conditions…? À quoi bon continuer d’avoir des enfants...?

Lorsque Amram, le chef du peuple juif, apprend que tous les nouveau-nés mâles sont voués à l'extermination, il se dit : “pourquoi continuer à avoir des enfants s’ils doivent être assassinés…?” C’est ainsi qu’Amram décide de divorcer de son épouse Yokhévèd, afin de cesser de mettre des enfants au monde. Etant donné qu’il est le chef spirituel, son attitude donne la marche à suivre à tous les Hébreux, et ceux-ci se mettent à suivre son exemple, et tous les couples décident, tristement, d’un commun accord, de se séparer…

Myriam, la fille d’Amram alors âgée de 5 ans, se met à protester vivement contre son père : “Papa, ta décision aura des répercussions encore plus graves que le décret de Pharaon ! Son décret menace seulement les garçons, tandis que ta décision concerne les filles et les garçons. Et Pharaon veut tuer leur corps, mais leurs âmes continueront de vivre dans le ‘Olam Haba, le monde futur. Par contre, toi, tu les empêches de naître, et donc d’avoir accès au ‘Olam Haba. De plus, c’est vrai que le décret de Pharaon représente une menace pour nous, mais ce n’est pas sûr qu’il sera appliqué. En revanche, ta décision entraînera la disparition irrévocable du peuple juif…”

“Tu as raison ma fille.” Amram, l’homme le plus sage de la génération, reconnaît le bien-fondé des paroles de sa fille de 5 ans et décide de se remarier avec Yokhévèd. Il se dirige vers Yokhévèd pour la redemander en mariage. Afin de publier la nouvelle au maximum et pousser les Bné Israël à se remarier, ils organisent une ‘Houppa en grande pompe à laquelle tout le monde est invité ! Lors des réjouissances, la petite Myriam danse de tout son cœur et apprend aussi à danser à son petit frère Aharon, alors âgé de 2 ans. Les deux petits enfants savent par intuition que la nouvelle union de leurs parents est de bon présage pour l’avenir du peuple juif.

Ils ont raison puisque, quelques mois après leur remariage, le 7 Adar 2368, naît Moché Rabbénou, qui sera destiné, plus tard, à sortir les Bné Israël d’Égypte. Mais la joie est de courte durée, puisque Yokhévèd, connaissant le décret de Pharaon, est contrainte de jeter son fils dans le Nil. Elle le porte donc donc jusqu’à la rive et l’installe dans un panier qu’elle a préparé pour qu’il soit à la fois solide et imperméable. Yokhévèd rentre chez elle avec beaucoup de peine et de tristesse sachant, que son fils a toutes les chances de mourir noyé dans le fleuve…

Mais, quelques heures plus tard, voici que la fille de Pharaon, Batya, vient se baigner dans le fleuve. En réalité, elle vient pour s’immerger dans les eaux du Nil afin de se convertir au judaïsme. Elle avait été depuis quelque temps révoltée par les cultes idolâtres, et surtout par la cruauté de son père, et elle se sentait très attirée par les valeurs du judaïsme qu’elle souhaitait adopter définitivement en ce jour-là. Lorsqu’elle aperçoit le panier, elle s’en approche, intriguée. En vérité, ce qui l’a attirée surtout, c’est la Chékhina[1], la Présence Divine, qui se trouve en permanence au-dessus de Moché. Elle prend alors le petit bébé en pitié et décide de l’adopter. Ses servantes alors présentes essayent de l’en dissuader, lui disant qu’elle est complètement folle de faire une pareille chose ! En effet, aller à l’encontre du décret de son père est un acte suicidaire. Elle n’avait rien à gagner, et tout à perdre ! Mais la compassion et la droiture de Batya lui ont donné le courage de faire un acte noble et dénué d'intérêt personnel : sauver cet enfant coûte que coûte, l’adopter et lui prodiguer tout l’amour du monde. C’était pour elle la concrétisation de la rébellion contre la cruauté de son père et de la Nation égyptienne tout entière !

Nous voyons à travers les parcours de Myriam et de Batya deux jeunes filles qui remettent en question les certitudes de leur père. Batya avec Pharaon, le chef de la Nation égyptienne, et Myriam avec Amram, le chef du peuple juif. Dans le premier cas, de s’opposer aux décisions de Pharaon, pour Batya, c’est risquer d'encourir la mort ; tandis que lorsque Myriam remet en question la décision de son père, ce dernier est ouvert à écouter les idées de sa fille et va même se raviser. Ces deux réactions opposées sont à l’image de la différence entre le peuple égyptien qui symbolise la dictature des idées et le peuple juif, où même le plus grand des rabbins est à l’écoute des idées d’une petite fille de 5 ans. Et il va même être capable de se remettre en question publiquement, et il va proclamer devant tout le peuple entier à travers le remariage qu’il organise : “Ma petite fille de 5 ans a eu raison de moi...”

Il convient également de s'arrêter sur le comportement de Batya. Le Roi Salomon nous dit dans le poème Echèt ‘Hayil : “Elle se lève dans la nuit”; il s’agit de Batya[2]. En effet, la nuit symbolise l’obscurité dans les environnements les plus sombres. Elle est née dans une famille entachée par l’impureté de l'idolâtrie et dont le père était d’une cruauté sans bornes. Elle aurait pu aller dans le même sens que sa famille et que toute la nation égyptienne, mais elle a suivi ses principes et son cœur pur en risquant sa vie pour aller au bout de ses principes. Il est si difficile d’aller à l’encontre de ce que la société nous crie en permanence, mais encore plus à l’encontre de sa famille et de son propre père, qui est le chef de toute la nation égyptienne.

C’est pourquoi, Hachem l’a nommée Batya, qui signifie “fille de D.ieu” : en quelque sorte comme pour lui dire “tu n’as plus voulu être la fille de ton père cruel, mais ne t’en fais pas, cela ne fait pas de toi une orpheline, car, désormais, tu deviendras Ma fille”. Il en est de même pour chaque femme née au sein d’un milieu dont les valeurs ne sont pas les valeurs de la Torah, et qui, malgré tout, a le courage d’aller au bout des principes et qui parvient à se détacher des valeurs profanes inculquées par sa famille depuis sa plus tendre enfance. À l’instar de Batya, à chaque fois qu’une femme a le courage d’affirmer haut et fort ses valeurs juives, pourtant à contre-courant du milieu dans lequel elle a grandi, alors cette femme mérite le plus beau des titres : celui de fille d’Hachem.


[1] Rachi Chémot (2,6)

[2] Midrach Rabba