Un an s’est écoulé depuis la tragédie de Toulouse. Le traumatisme des Juifs du monde entier est lui, toujours aussi profond. Comment sortir de l'épreuve ?

Jonathan Sandler était un jeune rabbin francophone qui quitta Jérusalem pour enseigner la Torah à Toulouse. Il s’y installa donc avec sa famille et travailla à l’école Ozar HaTorah. Il y a précisément un an, le 12 mars 2012, il fut sauvagement assassiné par un homme en moto. Il avait 33 ans. Le meurtrier tua également ses deux fils Arié et Gabriel, âgés de 3 et 6 ans ainsi que Myriam, âgée de 8 ans, fille du directeur de l’école.

Le Silence et les Larmes

Les funérailles eurent lieu deux jours plus tard à Jérusalem. Des centaines de Juifs se rendirent au cimetière rendre un dernier hommage aux défunts. L’officiant récita des Psaumes dans un silence total : tous ceux présents, atterrés, muets, en état de choc, devant l’ampleur de la tragédie.

 

Au fil des témoignages d’amis, de membres de la famille, de Rabbanim, nous avons pu découvrir la personnalité hors du commun de Jonathan Sandler. Son ancien Rosh Yéchiva avoua ne jamais avoir constaté chez lui le moindre signe de négativité, « ni dans ses mots, ni dans son comportement, ni même dans son regard ». Tous évoquèrent sa discrétion, son humilité, son dévouement. L’accablement et le chagrin étaient ressentis par tous. Certains pleuraient tant qu’il était impossible de différencier les proches des victimes des étrangers venus payer leurs respects. Aux quatre coins de la planète, d’autres Juifs suivaient l’enterrement à la radio ou à la télé.

Dans de pareils moments, nous sommes saisis d’un sentiment d’incompréhension et de détresse. Nous imaginons la douleur de la famille et des proches. Même si nous avons la Foi et pouvons accepter ce décret comme celui venant du « Dayan Haemet », le Juge de Vérité, il est difficile d’empêcher les questions de venir nous hanter. Comment un homme peut-il perpétrer un acte d’une telle sauvagerie ? Pourquoi D.ieu nous enlève-t-Il prématurément des âmes aussi innocentes ? Comment les proches de ces victimes pourront-ils surmonter une pareille douleur ?

Questions qui ne font qu’accentuer notre désarroi. Notre confiance dans la justice infinie de D.ieu n’empêche pas la douleur d’exister. La tragédie de Toulouse est une épreuve. Le propre d’une épreuve est de nous faire vivre une situation qui nous déstabilise, jusqu’à nous pousser au doute et à la peur, nous trouvant incapables de savoir comment nous en sortir. Etourdis par la violence du choc, nous aimerions savoir pourquoi D.ieu nous éprouve ainsi et plus précisément, ce qu’Il attend réellement de nous.

Qui est l’agneau du sacrifice?

Itshak, en chemin vers le sommet du mont Moria, demanda à son père Avraham « où se trouve l’animal que nous devons offrir en sacrifice ? » Il réalisa alors que le sacrifice n’était autre que lui-même. Il dut faire face à une terrible épreuve : non parce qu’il craignit pour sa vie, son immense confiance en D.ieu lui aurait fait donner sa vie sans hésiter pour satisfaire Sa volonté, mais par le trouble qu’il ressentit. Car D.ieu n’avait-Il pas promis à Avraham une descendance aussi nombreuse que les grains de sable du désert ?

Comment concilier cette promesse avec l’ordre de sacrifier son enfant unique ? Itshak avait en fait déjà perçu la vérité, il savait bien avant qu’il ne posât la question, qu’il serait, lui, le sacrifice. En demandant « où est l’agneau du sacrifice ? » Itshak laissait paraitre son incompréhension : « D.ieu, j’ai compris que je serais celui qui doit être sacrifié mais je ne sais alors que penser de la promesse faite à mon père. Je ne vois plus clair, le doute m’envahit. Quand je Te sens à mes cotés, je sais avec certitude. Mais là, où es-Tu ? »

Ressentir la présence de D.ieu dans sa vie est le plus grand bonheur qui puisse exister. La souffrance que nous éprouvons lors d’une épreuve provient de notre perception de la présence de D.ieu qui semble s’être voilée. Nous sommes alors en proie au doute. Nous ne percevons plus aussi clairement Sa bonté, Son amour qui se traduise au quotidien par conseil et soutien qu’Il dispense pour nous sortir des situations difficiles et mieux nous guider.

L’expérience que nous vivons nous plonge dans l’obscurité alors que D.ieu est lumière. Celui qui s’adresse alors à D.ieu avec sincérité, de tout son cœur, exprime par ces mots « où es-Tu ? » non pas, D.ieu préserve, un quelconque doute quant à Son existence, mais tout au contraire, sa conviction de Le savoir à ses cotés, son désir intense de Le voir se manifester, alors que Sa présence semble s’être momentanément voilée. L’interrogation « Où ? » traduit une attente, un désir de trouver D.ieu. En posant cette question il se lance déjà à Sa recherche.

C’est précisément dans ce but que nous venons au monde : chercher D.ieu, Le trouver et Le dévoiler. Ainsi, celui qui, au plus fort de l’épreuve, mobilise ses forces amoindries pour chercher D.ieu, celui-là, comme Itshak, méritera de voir sa chute se transformer en ascension. Car après avoir exprimé ce désir, Itshak demanda à Avraham de resserrer encore plus fort ses liens, prouvant qu’il avait non seulement vaincu le doute mais également renforcé sa confiance en D.ieu. Il atteignit ainsi un niveau spirituel encore plus élevé que le précédent.

Des hauts et des bas

Durant notre passage sur terre, nous passons tous par des phases spirituelles ascendantes et descendantes. Au plus bas de la phase descendante, lorsqu’en dépit de notre confusion et notre douleur, nous continuons à chercher D.ieu, nous transformons alors la descente en une nouvelle ascension.

Lors de son Hesped, le frère de Myriam lança un appel déchirant : « Myriam, il y a une chose que je veux te demander, je t’en prie Myriam, prie, et surtout ne t’arrête pas de prier, que D.ieu donne des forces à Papa et Maman pour tenir le coup ». D.ieu attend de nous, dans l’épreuve, que nous prions et que nous n’arrêtions pas de prier. Le frère de Myriam nous donne ici la clé pour sortir de l’épreuve : tenir le coup et ne céder sous aucun prétexte au découragement, même si elle nous semble insupportable, même si elle nous semble interminable. Le frère de Myriam ce jour-là cria vers D.ieu « Day lé tsarotenou, day ! » « D.ieu, je T’en prie, mets un terme à nos souffrances ».

Lorsqu’une tempête fait rage, élevons notre regard et notre voix vers le Ciel, demandons simplement, avec force, à D.ieu de nous sortir de là et prenons patience jusqu’à la sortie du tunnel. Car ceux qui abdiquent, arrêtent de chercher ou, pire encore, abandonnent le combat en tournant le dos à D.ieu, sombrent dans la tristesse et le désespoir Au lieu de remonter, ils ne font que chuter de plus belle. D.ieu sait exactement ce que nous traversons. L’effort aussi minime soit-il que nous fournissons pour nous maintenir, pour ne pas tomber, est d’une très grande valeur à Ses yeux.

Toulouse entre Pourim et Pessah

Le décret d’extermination signé par le roi Assuérus sous l’influence d’Amman, plongea les Juifs dans une très grande détresse. La Reine Esther demanda à chaque Juif de jeûner et de prier pendant trois jours afin que D.ieu fasse accepter par le roi Assuérus sa requête d’annuler le décret de destruction. Ainsi, dans un des moments les plus sombres de notre histoire, où tout semblait définitivement perdu, le Peuple juif fut sauvé car il choisit de s’adresser à D.ieu. Ce fut le cas également en Egypte. Il est écrit que D.ieu entendit « leurs plaintes et se souvint de Son alliance ». La Délivrance qui ne devait se faire que 200 ans plus tard, fut accélérée par le cri des Juifs épuisés par l’esclavage. Alors qu’ils furent au plus bas, ils élevèrent leur voix vers D.ieu.

Nissan est un mois propice pour revenir vers D.ieu. Le drame qui nous plongea dans l’épreuve, se déroula justement dans ce mois, entre Pourim et Pessah. Aussi bien dans l’histoire de Pourim que dans celle de Pessah, la situation se renversa dès que les Juifs se tournèrent vers D.ieu et prièrent de toute leur force exprimant ainsi leur douleur et leur désarroi. Ils transformèrent leur chute en ascension d’une hauteur inouïe.

Après un an, notre douleur est toujours vive car la tragédie de Toulouse nous a atteints au plus profond de nous-mêmes, par son atrocité. Elle matérialise la menace grandissante que font peser sur nous ceux qui nous haïssent. Nous devons en aucun cas oublier cet enseignement livré par notre histoire : c’est précisément lorsque les Juifs toucheront le fonds de l’abîme, et qu’ils continueront à chercher D.ieu et Sa lumière malgré l’obscurité, que surgira la Délivrance.

La lutte quotidienne de Jonathan Sandler fut d’enseigner aux enfants comme Arie, Gabriel et Myriam, les outils nécessaires à la recherche de D.ieu : la prière, l’étude de la Torah, l’accomplissement des Mitsvot et les bonnes actions. En suivant sa voie, nous honorerons ainsi sa mémoire et celle de ces enfants, et peut-être, D.ieu mettra t-Il enfin un terme à nos souffrances.


Rav Aharon Chetrit
pour Torah-Box