« Vous ne flatterez pas (Lo Ta’hanifou) la Terre dans laquelle vous êtes, car le sang, lui, souillera le Pays... » (Bamidbar 35,33).

Le Ramban explique : « ... Et dans le Sifri, il est dit : "Vous ne flatterez pas la terre" – c’est un avertissement aux flatteurs, parce que [la Torah] a d’abord averti que nous ne devions pas accepter de pots-de-vin pour les meurtriers, et le verset revient et avertit que nous ne devons pas les flatter pour leur niveau ou leur force, parce que si nous les flattons, alors nous flattons la terre et elle "flattera" ses habitants ».

La Torah décrit les lois du meurtrier involontaire qui doit fuir vers une ville de refuge. La Torah avertit ensuite de ne pas flatter la terre, car le sang souillera alors cette dernière. Le lien entre cet avertissement et les lois du meurtrier involontaire n’est pas évident à comprendre. Et le sens même de cet avertissement n’est pas clair.

Le Ramban rapporte l’avis du Sifri qui en déduit l’interdit de flatter les meurtriers accidentels pour leur faute, et, par extension, de flatter tout pécheur. En effet, en les flattant, c’est un peu comme si nous les félicitions d’avoir mal agi. Quand le verset parle de flatterie de la terre, il semble dire que si nous flattons les pécheurs, alors la terre nous flattera – comment ? En feignant de donner beaucoup de produits, mais en n’en donnant qu’un peu, concrètement. Le Ramban explique qu’en fait, la flatterie revient à transmettre un message opposé à la vérité.

Le Séfer Yéréim compte la flatterie parmi les 613 Mitsvot.[1] Ce n’est pas l’avis de tous les Richonim, mais tous s’accordent à dire qu’il s’agit d’un interdit de la Torah, basé sur plusieurs sources rabbiniques.

La Guémara de Sota[2] évoque la gravité de la flatterie : elle raconte que lors d’un rassemblement du peuple (Hakel), le roi Agrippas, qui lisait la Torah, a pleuré en arrivant au verset qui interdit à un converti ou à un enfant de converti de devenir roi, parce qu’il était lui-même fils d’un converti. Les rabbins l’ont rassuré en lui disant qu’il était leur frère. La Guémara précise qu’en faisant cela, ces rabbins se rendirent passibles de mort par le Ciel, parce qu’ils flattaient Agrippas en lui faisant croire qu’il était autorisé à régner, alors qu’il ne l’était pas. La Guémara parle ensuite longuement de la gravité de la ’Hanoufa, du fait que les flatteurs ne sont pas dignes de jouir de la Présence divine, et elle ajoute que la punition pour cette faute est la destruction.

Rabbénou Yona[3] pense que si les rabbins n’avaient pas rassuré Agrippas, ils auraient été tués pour ne pas l’avoir défendu. Il en déduit donc qu’il convient d’éviter la flatterie, même au risque d’en mourir. Or, la Guémara dans Nédarim[4] raconte qu’Oula voyageait avec deux hommes quand l’un a soudainement tué l’autre. Il a ensuite demandé à Oula s’il avait bien agi, et Oula répondit par l’affirmative, de peur que son accompagnateur ne le tue. Par la suite, Oula demanda à Rabbi Yo’hanan s’il avait bien fait d’encourager le pécheur, et Rabbi Yo’hanan lui dit que c’était permis parce qu’il l’avait fait pour avoir la vie sauve. 

 

Tossefot[5] prouvent de cette histoire, qu’il est permis de flatter, si la vie de l’individu est en danger. Il estime que dans l’histoire avec Agrippas, les rabbins ne se seraient pas mis en danger en restant silencieux, donc ils n’auraient pas dû le flatter. Cependant, dans un cas réel de danger, la flatterie est autorisée.

Comment Rabbénou Yona expliquerait-il la Guémara à Nédarim ? Les mots du Or’hot Tsadikim peuvent nous aider à répondre à cette question. [6] Un particulier doit se laisser mourir plutôt que de flatter en public, ce qui implique qu’en privé, il serait permis de flatter autrui. Cela explique ce qui s’est passé avec Oula – puisque c’était en privé, il pouvait flatter, parce qu’il était en situation de danger. En revanche, l’histoire avec Agrippas se déroula en public et dans un tel cas, il fallait mourir plutôt que flatter.

Une question évidente se pose. La flatterie ne fait pas partie des trois fautes capitales, alors pourquoi faut-il se laisser tuer plutôt que de transgresser cet interdit ? En réalité, une autre faute est impliquée dans celle de la flatterie – le ’Hilloul Hachem. Flatter un pécheur en public, c’est en quelque sorte une profanation du Nom divin, car on transmet le massage qu’il est acceptable d’agir à l’encontre de la volonté divine.

Le risque de transgresser cet interdit de flatterie se présente souvent dans notre quotidien. Tout d’abord, nous rencontrons inévitablement des personnes qui ne respectent pas la Torah et il faut donc veiller à ne pas louer ou approuver leurs actes interdits. Mais cela peut se présenter également avec des personnes pratiquantes. Prenons l’exemple d’un individu qui dit du Lachon Hara à son ami. Si celui qui écoute montre qu’il est d’accord avec les propos médisants énoncés, il transgresse donc l’interdit de flatter (en plus de celui d’écouter le Lachon Hara) ; c’est comme s’il approuve un interdit de la Torah. D’où l’importance de se montrer vigilant devant une telle situation.

 

[1] Séfer Yéréim, Mitsva 55.

[2] Sota, 41b.

[3] Chaaré Téchouva, 3ème partie, Maamar 187-188.

[4] Nédarim 22a.

[5] Tosefos, Sotah, 41b, Dh: Kol.

[6] Orchos Tzaddikim, Shaar Hachanifus.