Les deux Parachiot de cette semaine, Matot-Massé, possèdent une grande solennité dans la mesure où nous sentons poindre le départ de Moché Rabbénou, l’angoisse qui étreint les Bné Israël à cette idée, et la fin d’un premier chapitre de l’histoire de notre peuple.

Intéressons-nous à la Paracha Matot. Parmi les différents thèmes évoqués dans cette dernière, une notion centrale concerne les vœux que l’homme formule afin de s’interdire de profiter de certaines choses. Ces développements sont à nouveau l’occasion pour le lecteur de mesurer l’importance du langage et de la parole.

Les premières lignes de la Paracha nous enseignent donc qu’il est possible pour l’homme, même si ce n’est pas souhaitable a priori, de s’ajouter des interdictions au-delà de ce que prévoit la Torah.

Précisons en premier lieu que la Torah ne préconise pas l’ascétisme comme mode de vie, elle a même tendance à réprouver le fait de se rajouter des interdictions. Cependant, elle conçoit que certaines personnes peuvent avoir besoin, parfois pour une durée limitée, de s’interdire certaines choses qui les menacent ou les déséquilibrent.

C’est ainsi que l’homme, par sa seule parole, peut s’imposer des obligations auxquelles il n’a pas le droit de déroger, et qui ont une valeur presque semblable aux Mitsvot énoncées dans la Torah. Voilà matière à réflexion pour tous ceux qui pensent que les paroles ne sont que du vent et qu’elles n’engagent pas leur auteur. Le texte de la Torah évoque même explicitement la dimension sacrée de la parole humaine en exigeant de l’homme qu’il ne profane pas sa parole, comme le dit le verset (chap. 30, verset 3) : « Il ne profanera pas sa parole », que Rachi commente de la manière suivante :

Il ne profanera pas sa parole : Il ne fera pas de ses paroles quelque chose de profane (Sifri).

Pour comprendre cette dimension sacrée de la parole, il faut se remémorer l’origine de la parole humaine. Lors de la création de l’homme, le texte nous dit : « D.ieu insuffla à l’homme une âme de vie et l’homme devint un être vivant ». La traduction en araméen, le Targoum, interprète ce verset comme signifiant que l’homme est devenu un « être parlant ».

La parole est donc intimement liée à la vocation spirituelle de l’homme et à sa proximité avec Hachem. Le souffle qui sort de la bouche de l’homme a une dimension divine, il a donc la responsabilité d’en préserver la pureté et la sainteté.

Dès lors, de nombreuses règles viennent encadrer l’usage que l’homme doit faire de la parole : ne pas la souiller par des propos inconvenants ou vulgaires, ne pas utiliser sa parole pour dénigrer ses prochains, et également ne pas l’utiliser pour formuler des vœux et prendre des engagements qu’il ne tiendra pas.

Et inversement, il est recommandé que l’homme fasse un usage positif de sa parole, en témoignant de la sollicitude, de l’affection, des sentiments positifs à ses proches. Un usage sacré de la parole réside également bien sûr dans la prière et l’étude de la Torah.

La parole est si forte que notre tradition nous enseigne que le monde a été créé grâce à la parole : « Que la lumière soit ! Et la lumière fut ».

Le langage possède ainsi une force créatrice intrinsèque, « performative » selon les linguistes, que nous retrouvons parfois encore dans certains évènements de la vie où il suffit que nous prononcions certaines phrases pour créer des réalités, notamment lors du mariage.

La législation relative aux vœux a également ceci de spécifique qu’elle prévoit les conditions d’annulation des vœux. Selon les cas de figure, différentes personnes sont habilitées à annuler les vœux qu’une femme ou un homme ont formulés. Ce qui est intéressant là encore, c’est de constater que la Torah n’appréhende pas l’homme comme une entité isolée, mais qu’elle le considère toujours comme membre d’une société, d’un collectif. Et c’est uniquement grâce à l’intermédiaire d’un tiers qu’il a la possibilité d’être libéré de son vœu.

Cette spécificité nous rappelle également que le langage a pour vocation de rendre l’homme sociable, capable d’échanger avec ses semblables. Dès lors, l’homme doit faire de sa parole un outil pour bâtir et enrichir ses relations sociales.

Lorsque Moché énonce cette législation relative aux vœux, il l’introduit en précisant : « Voici la parole que D.ieu a ordonnée ». De même, notre Haftara commence par l’exhortation faite aux enfants d’Israël d’écouter le « Davar » de D.ieu, la parole divine. Ces expressions renvoient à l’idée d’une parole forte, claire, limpide, mais aussi éminemment constructive dans son objet. Ce sont là les principales qualités que nous devons rechercher dans l’usage que nous faisons de la parole.  

Puisse Hachem nous aider à raffiner notre parole, à en faire un outil de construction pour développer des relations d’affection et de sollicitude au sein de notre peuple. En devenant ainsi des orfèvres de la parole, nous serons en mesure de développer cet amour gratuit entre les enfants d’Israël (« Ahavat ‘Hinam »), auquel nous appelle notre tradition afin de permettre la reconstruction du Temple.