Les premiers frères présentés par la Torah furent malheureusement les premiers hommes qui se disputèrent. Finalement, Caïn obtint le titre déplorable de « premier meurtrier de l’histoire ». On parle souvent de son attitude odieuse, mais nos Sages n’innocentent pas Hével complètement non plus. S’il n’avait pas mérité de mourir, Hachem l’aurait certainement protégé. Quelle fut sa faille ?

Le Ari zal nous aide à comprendre les erreurs des deux frères. Le nom de Hével a une valeur numérique de 37. Si l’on y ajoute celle du nom de Kora’h (345), on obtient la valeur numérique de Moché ! Le Ari zal explique que Moché est une réincarnation de Hével, tandis que Kora’h est une réincarnation de Caïn. En analysant le lien entre ces personnages, nous comprendrons mieux ce qui fut reproché aux deux frères.

Comme bon nombre de personnages peu recommandables par la Torah, Caïn n’était pas simplement un homme méchant, sans qualités. Notons que c’est lui, et non Hével, qui prit l’initiative d’approcher un sacrifice à Hachem. Les commentateurs soulignent que l’on trouve une allusion à son principal défaut dans son prénom, Caïn, que ’Hava lui donna à sa naissance (« J’ai acquis – Kaniti – un homme pour Hachem »[1]). Dans son essence, Caïn désirait acquérir des biens pour lui-même. D’ailleurs le Kli Yakar précise qu’il choisit de travailler la terre parce qu’il souhaitait profiter du monde matériel au maximum. C’est aussi la raison pour laquelle son sacrifice était constitué de produits agricoles de qualité médiocre ; il ne voulait pas donner le meilleur de sa récolte à Hachem. Cette volonté d’acquérir un maximum de choses le rendit arrogant, jaloux et coléreux. Quand il vit que son offrande ne fut pas agréée, contrairement à celle de son frère, il devint furieux. La colère monte quand les choses ne se passent pas comme prévu. Ainsi, celui qui s’énerve estime qu’il sait mieux qu’Hachem ce qui doit se produire. C’est évidemment une preuve d’arrogance, car on est tenu de réaliser qu’Hachem sait mieux que nous ce qui doit se passer et qu’Il agence les événements de la meilleure façon possible. L’arrogance de Caïn le poussa à se mettre en colère et finalement, à tuer son frère.

Par ailleurs, le prénom de Hével semble être l’antithèse de celui de Caïn. Le mot « Hével » signifie « vide » et il décrit bien le caractère de Hével qui personnifiait la soumission. Certes, cette Mida a un côté positif, puisqu’elle montre une grande modestie et un détachement de toute matérialité (c’est d’ailleurs pour cela qu’il fut prêt à offrir ses meilleures bêtes en Korban à Hachem), mais l’humilité excessive est également négative. Ceci, surtout quand l’individu est tellement modeste qu’il se croit incapable d’initier quoi que ce soit ; il se contente de suivre la masse. Il ne réalisera jamais son potentiel. Hével montra cette faille quand il approcha un sacrifice, mais sans être l’instigateur de ce projet. Il connaissait bien l’importance et la valeur des Korbanot et de la proximité avec Hachem, mais ne décida d’en approcher un que quand son frère le fit de son côté. C’est pourquoi il ne fut pas protégé du meurtre de Caïn, en dépit de sa Mitsva (qui devait théoriquement le protéger de toute souffrance).[2]

Les commentateurs précisent que ni Caïn ni Hével ne furent dignes d’être les précurseurs de l’humanité ; cet honneur fut accordé au troisième fils de Adam – ’Het.

Comme nous l’avons souligné, les livres de Kabbale enseignent que Kora’h fut une réincarnation de Caïn, tandis que Moché fut celle de Hével. Le concept de réincarnation dépasse grandement la compréhension de la plupart des gens, mais on sait que ceux qui sont liés par la réincarnation affrontent les mêmes épreuves et sont censés rectifier les erreurs commises.

Il est alors facile de comprendre le lien entre Kora’h et Caïn. Tout comme ce dernier, Kora’h avait de nobles qualités ; le Midrach affirme qu’il était un grand Talmid ’Hakham[3]. Sa mission était de rectifier l’attrait pour les acquisitions que Caïn développa, mais il échoua.

L’erreur de Hével était sa soumission excessive et Moché rectifia cette faille ; tout en restant extrêmement humble, il ne sombra pas dans l’inactivité. Il fit souvent preuve de grand courage, d’initiative et de confiance en soi dans son service divin.

Ainsi, les caractères de Caïn et de Hével nous enseignent la nécessité de trouver l’équilibre entre – d’une part – la confiance en soi et le désir d’accumuler des biens, et la modestie – d’autre part. La première qualité est à utiliser dans le domaine spirituel. Si l’individu se laisse entrainer par ce désir dans la matérialité, il risque de tomber dans le piège de la jalousie et de la colère, ce qui fut le cas de Caïn et de Kora’h. L’humilité est une qualité admirable, mais elle peut également être mal utilisée ; par exemple, en servant d’excuse pour rester inactif.

Puissions-nous tous mériter d’émuler Moché et de trouver le bon équilibre entre l’initiative, la confiance en soi et la modestie.

 

[1] Béréchit 4,1.

[2] Voi Kli Yakar, Béréchit 4,3 et Maharal.

[3] Bamidbar Raba 18,3.